Autant le préciser tout de suite! Ce n’est pas moi qui fait du loyalisme béat ou déplacé mais bien le sénateur McCain, grand “ami” de la Russie et “poutinophile” assumé qui l’a dit: Obama a échoué à faire passer son message, c’est Poutine qui a gagné après 10 ans de silence à l’ONU. Obama qui a dépassé de trois fois le quart d’heure imparti à chaque intervenant s’est montré flou, peu convaincant, narcissique et émotionnel. Le leader russe a été clair, concret et lapidaire. Il a clairement signifié que la Russie reprenait l’initiative en Syrie. La presse occidentale, française et allemande en particulier, a abondé dans le même sens. Pour ma part, j’ai relevé un trait intéressant de son allocution: il a su exprimer l’ensemble de ses vues sur la politique menée par les USA et leurs alliés sans avoir nommé ne serait-ce qu’une seule fois les USA et leurs alliés. Pourtant, s’il y a une question qui est tombée aussi sèchement qu’un couperet, c’est bien celle-ci: “Avez-vous au moins conscience de ce que vous avez fait?”. Vous, c’est-à-dire Washington, c’est-à-dire les pays qu’il s’est acquis par voie de satellisation progressive, c’est-à-dire ses créatures wahhabites, saoudienne et qatari, c’est-à-dire, enfin, toute la clique oligarchique qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez et qui fait payer aux civils des notes aussi salées que les eaux sépulcrales de la Méditerranée. Le discours de Poutine a été cinglant. Notamment parce qu’il a alterné les accusations explicites et les sous-entendus quand il le fallait, notamment parce que, se trouvant dans la salle de marbre vert, il a rappelé à l’ONU sa véritable vocation.
Si l’on ventile par catégories une intervention multilatérale allant de l’analyse détaillée du désastre de l’ingérence otanienne en Libye à la problématique des sanctions actuelles, on s’apercevra que la stratégie poutinienne s’appuie sur trois piliers fondamentaux.
- Le westphalisme qui est une forme de national-souverainisme. Le principe westphalien vaut pour toutes les nations excluant de facto toute forme de messianisme. Ce clin d’œil coquet en fera tiquer plus d’un parmi les habitués du Bilderberg.
- Le respect de “a” à “z” du droit international. Si Obama a consacré son temps de parole à l’exaltation de la prédominance américaine dans le monde laissant de facto entendre que les intérêts US transcendaient le droit international quand le besoin s’en faisait sentir, Poutine a souligné que l’ensemble des solutions à la crise mondiale passaient par le strict respect de la Charte des Nations Unies. Ainsi, préalable à l’ingérence de l’OTAN en Libye, la violation de la résolution 1973 du Conseil de sécurité est lourde de conséquences.
- La primauté de la complémentarité sur la rivalité. A quoi bon avancer les frontières de l’OTAN alors que le pacte de Varsovie a été dissout depuis belle lurette et que l’URSS n’est plus? A quoi bon faire passer des armes offensives pour de simples boucliers anti-missiles ressuscitant les démons de la guerre froide? Dans le même ordre d’idées, pourquoi dénaturer l’initiative russe en Syrie alors qu’elle rejoint les objectifs arborés par la coalition? Pourquoi créer des espaces économiques dotés de tous les privilèges, fermés, enclins à éliminer les concurrents, alors donc que ce genre de pratique est contraire aux principes de l’OMC? Lorsque Poutine revient sur l’essence même de l’ONU en rappelant que ses racines remontent d’abord à Yalta ensuite aux principes qu’elle fit siens à Londres en janvier 1946, c’est un idéal de coopération qu’il met en relief. Yalta a rassemblé les leaders de la coalition anti-hitlérienne quand il était clair que les intérêts d’un Churchill étaient loin de coïncider avec ceux d’un Staline. Le sous-entendu est clair: les intérêts de la coalition occidentale ne coïncident pas avec ceux de l’OTSC en Irak et en Syrie. Quoi qu’il en soit, le monde se trouvant au seuil d’une nouvelle guerre mondiale, un dénominateur commun est certainement trouvable. Il n’est pas question de soutenir Assad ou qui que ce soit d’autre mais de rallier, sous l’égide de l’ONU, les forces de la coalition et celle de l’OTSC dans un combat commun contre le djihadisme. A noter que l’apport des pays musulmans dans cette lutte doit être déterminant.
Le terme “coopération ” est récurrent dans ce discours de Poutine qui se veut unificateur. Aux yeux de la communauté internationale, le paradoxe est bien là: c’est un “dictateur” incernable qui vient redorer le blason d’une organisation que beaucoup d’experts trouvent promises à une disparition certaine. C’est un “manipulateur”, spécialiste des guerres hybrides et des annexions, qui vient apostropher de prétendus démocrates en leur demandant s’ils avaient conscience d’avoir détruit la stabilité dans le monde. C’est enfin un nationaliste intolérant (xénophobe, homophobe, misogyne, que n’a-t-on pas entendu ces deux dernières années!) qui dénonce la théorie du fameux choc des civilisations huffingtonien opposant Orient et Occident. Cette opposition, artificiellement cultivée, a longtemps servi les intérêts d’un monde unipolaire qui a disposé de son pouvoir comme il l’a fait. Sauf qu’aujourd’hui, les masques sont tombés: le régime oligarchique ultra-radical de Kiev a remplacé un pouvoir oligarchique versatile et libéral auquel l’on a imposé l’insurmontable dilemme UE ou Russie, les gentils opposants syriens rejoignent par paquets l’EI, les flux migratoires qui inondent l’Europe ne sont que le prolongement des épurations “démocratiques” menées par l’OTAN. Cette énumération qui risquerait d’être bien trop longue est tellement factuelle que la question clé – “Qu’avez-vous donc fait?” – est bien entendu restée sans réponse.
Le monde unipolaire après la Guerre froide ne s’est pas (…) réalisé”, avait déclaré Poutine en février 2007 dans le cadre de la conférence de Munich sur la sécurité. Il avait alors raisonné en termes de morale arguant l’immoralité et l’illégitimité des “actions unilatérales”. Huit ans plus tard, en septembre 2015, Poutine va au-delà de ces catégories en raisonnant presque essentiellement en termes de realpolitik. La Syrie et l’Irak sont encore récupérables, laisse-t-il sous-entendre, mais à condition de … La Russie n’hésitera pas à mener la politique qu’elle juge bon de mener, quant au bloc otano-atlantiste, qu’il fasse enfin ses choix d’orientation en tenant compte de la réalité et non de ses illusions. Laissez-moi supposer que ce message n’atteindra pas les USA – il n’y a aucune raison à cela – mais pourrait atteindre les élites européennes. Au pire, si ce n’est pas le cas, il aura le mérite d’avoir mis les points sur les “i” dans un monde déboussolé qui peine à reconnaître l’endroit de l’envers.
Françoise Compoint
4 Comments
Jean-Claude Meslin
Où est le commentaire que j’ai envoyé hier dans lequel je félicitais Mr Poutine mais en même temps, je ne comprends pas son amabilité avec des salops qui lui souhaitent comme Mc Cain l’a dit publiquement: le même sort que celui de Kadhafi
Equipe rédactionnelle
Vous êtes sûr de l’avoir posté?
Vinipoukh
Belle synthèse de la situation.
Ce qui me navre le plus est la liquéfaction de l’UE devant les USA : les principaux états membres de l’UE se sont dissous dans l’UE, y ont perdu leur souveraineté. Du coup, l’hydre bruxelloise, créature des USA, n’a plus qu’a fonctionner.
Je suis tellement triste pour l’Europe, pour la France !!
Nous avons besoin d’un “V.Poutine” …
Vinipoukh
… D’ailleurs les échos de Russie que j’ai depuis plusieurs mois sont qu’eux aussi sont très triste de cet “abandon” français, peut-être plus que les attaques US auxquelles ils sont habitués.