La chose la plus efficace que le Président russe Vladimir Poutine ait fait pour déstabiliser l’Ukraine c’était ce que l’Occident voulait : Il a obtenu que le cessez-le-feu soit respecté par les séparatistes prorusses dans l’Est du pays. Sans couverture de la guerre, il n’a pas fallu longtemps pour que les divisions internes et les dysfonctionnements qui déchirent l’élite politique ukrainienne apparaissent au grand jour. Au lieu de voir le rêve démocratique se réaliser, comme on aurait pu espérer après la “Révolution de la dignité”, l’Ukraine ressemble aujourd’hui juste à un régime post- Soviétique incompétent et corrompu de plus. Il n’est donc pas étonnant que la relation entre Kiev et l’Occident se fissure.
Le gouvernement est dans la tourmente : le premier ministre Arsène Iatseniouk court le danger d’être destitué des ces fonctions dès que cela devient légalement possible, c’est-à-dire en décembre prochain. Menaçant ainsi la fragile coalition au pouvoir, dont le parti d’Iatseniouk est la deuxième plus grande force. Si la coalition éclate en morceaux — ce qui est fort probable si Iatseniouk est contraint à démissionner —des élections parlementaires anticipées seront organisées. Des Ukrainiens pro-européens pourraient de ce fait se sentir soulagés. Ce sont des populistes qui dominent actuellement les organes législatifs du pays, ainsi, à condition que quelqu’un veuille vraiment s’y essayer, il est difficile de pousser de vraies réformes. Jeudi dernier, le parlement a rejeté le projet de loi interdisant la discrimination en milieu de travail à l’encontre des homosexuels.
Malgré les tentatives de changement entreprises par la nouvelle génération de fonctionnaires, l’économie de l’Ukraine demeure non réformée. Les taxes pèsent lourd, mais sont largement éludées, l’économie parallèle est en croissance et le climat de la réglementation dans les affaires ne s’est guère amélioré. Le FMI, devenu la principale source de devises après la chute des exportations, est optimiste quant à aux perspectives de croissance économique et prévoit 2 % de hausse pour l’année prochaine. Mais le mois dernier il a revu ses chiffres pour l’année en cours ayant constaté 11% de baisse. L’homme politique le plus populaire en Ukraine – qui n’est pas un Ukrainien mais Mikhaïl Saakachvili, l’ancien président de la Géorgie, nommé par le Président ukrainien Piotr Porochenko gouverneur de la région d’Odessa – a proposé un paquet de réformes libérales. Cependant, Porochenko ne lui a pas accordé son appui de façon officielle et le parlement actuel n’est pas susceptible de l’adopter.
Le système judicaire ukrainien, incroyablement corrompus, reste également non réformé. Le rapporteur spécial des Nations Unies en exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Christof Heyns a déclaré, après avoir visité l’Ukraine en septembre dernier, que le pays vivait dans un “vide d’irresponsabilité.” Heyns a déploré l’incapacité des autorités ukrainiennes d’enquêter sur la mort de plus de 100 personnes dans les rues de Kiev au cours des derniers jours de la révolution, et de 48 manifestants pro-russes brûlés vifs dans la Maison des syndicats à Odessa en mai 2014. Ces enquêtes sont actuellement au point mort, et toutes les tentatives des avocats des victimes de les accélérer, ont reçu des réponses évasives des autorités car certains suspects dans l’affaire des tirs à Kiev sont toujours employés par le Ministère de l’Intérieur. Heyns a aussi déclaré que le Service de sécurité d’Ukraine (le SBU) “semble être au-dessus de la loi.” Outre la prise de contrôle sur un certain nombre d’entreprises de haute technologie dans une vague de terreur des dernières semaines, le week-end dernier le SBU a arrêté Guennadi Korban, lieutenant de l’oligarque Igor Kolomoïsky, qui a voulu résister à la consolidation du pouvoir par Porochenko. Cette arrestation a provoqué dans la presse ukrainienne des accusations en justice sélective. Mais d’autres oligarques, après tout, ne s’opposent pas à des représailles ayant certainement accepté la domination de Porochenko.
Deux ans après que l’équipe corrompue du Président Viktor Ianoukovytch a fui l’Ukraine, la corruption reste encore très rependue dans le pays et d’intrépides journalistes d’investigation sont de nouveau extrêmement occupés. Le ton est donné par Porochenko, le seul des 10 personnes les plus riches qui a vu son bénéfice net augmenter l’an dernier et qui semble avoir oublié sa promesse de vendre ses entreprises, sa banque s’est enrichie tandis que de nombreux autres ont perdu leurs licences. L’entourage proche de Porochenko et d’Iatseniouk est régulièrement cité en rapport avec les schémas de corruption qui existent en Ukraine dans les services des douanes et ai sein des entreprises d’Etat du secteur énergétique. Sergei Leschenko, le journaliste d’investigation le plus connu en Ukraine, qui l’an dernier a été élu au parlement du parti de Porochenko, a publié jeudi dans Novoïe Vremya une chronique qui décrit de façon succincte le modèle politique actuel où le système de freins et de contrepoids qui a été vendu aux Américains ne fonctionne pas. Au lieu de garder l’œil l’une sur l’autre, les équipes de Porochenko et d’Iatseniouk ont passé un accord. Elles se sont partagé des sphères d’influence et des responsabilités pour ne pas se gêner et éviter tout conflit d’intérêts.
L’influence américaine est très visible dans le processus politique ukrainien. L’ambassade américaine à Kiev est un noyau de pouvoir, et les politiciens ukrainiens parlent ouvertement des nominations et des licenciements approuvés par l’Ambassadeur des Etats-Unis Geoffrey Pyatt voire même par Vice-président des Etats-Unis Joe Biden. “Pyatt et l’administration américaine disposent de plus grande d’influence que jamais depuis que l’Ukraine est devenue indépendante,” – écrit Leschenko. Les européens participent aussi dans la gestion de l’Ukraine, non seulement parce qu’ils apportent des moyens financiers — le rôle des Etats-Unis est plus important de par de leur influence sur le FMI—, mais à cause du projet de supprimer les visas pour les ukrainiens pour voyager en Europe, l’un des plus importants objectifs de Porochenko. A ses yeux, cela permettrait de valider ses efforts à faire de l’Ukraine un Etat européen et de relancer sa quotte de popularité. Cependant, pour supprimer des visas aux Ukrainiens, l’Europe exige de l’Etat ukrainien de sérieuses avancées dans la lutte contre la corruption. Récemment l’Union Européenne a refusé au bureau du procureur la demande de financement pour la lutte contre corruption, à cause des problèmes soulevés à l’égard de certaines personnes qui participent à la sélection “des candidatures pour le poste de procureur”. C’est une allusion sans équivoque à l’équipe du procureur général Viktor Shokin, la personne de confiance et l’ami de Porochenko de longue date, l’accusant de saborder les efforts dans la lutte anti-corruption.
Jeudi dernier, le président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker, a écrit à Porochenko une lettre disant que “des progrès dans les réformes dans le domaine de la lutte contre la corruption restent prioritaires pour la suppression des visas” dans laquelle il a fourni une longue liste de réformes que l’Ukraine aurait besoin de mettre en œuvre.
Pour tout dire, la guerre menée par l’Ukraine contre son propre passé est encore moins réussie que ses efforts militaires contre la Russie et de ses alliés. Trop de temps est écoulé depuis la “Révolution de la Dignité” pour justifier l’absence de progrès tangibles. Les efforts des Etats-Unis et de l’Europe dans la mise en place de la gestion externe de l’Etat ukrainien ont majoritairement échoué : l’emprise d’une poignée d’oligarques et de fonctionnaires corrompus sur ce qu’il reste de l’économie ukrainienne s’est avérée trop forte, et des schémas datant des anciens régimes trop enracinés. La société civile ukrainienne est freinée dans son développement par des groupes d’intérêts puissants. Je doute qu’on puisse pousser le pays dans la direction plus civilisée avec des outils habituels de la démocratie électorale : les élections locales ont démontré que les pratiques postsoviétiques de la fraude, de la corruption et de l’intimidation n’ont pas été éradiquées. L’envie seul ne suffit pas après de tels bouleversements comme la révolution et la guerre dans l’Est. Mais, à moins que l’élite politique trouve en elle-même pour nettoyer les pays des escrocs ce qui reste la tournure des événements hautement improbable–l’histoire de violents changements de régime en l’Ukraine n’est certainement pas encore terminée.
Leonid Bershidsky
Traduction de l’anglais Svetlana Kissileva
Source
- Будь в курсе последних новостей и интересных статей, подписывайся на наш канал «NovorossiaToday»
- Be aware of the current events and interesting articles, subscribe to our channel «NovorossiaToday»
- Pour ne rien manquer de la derniere actualite et des articles interessants, suis notre chaine Telegram en direct«NovorossiaToday»