J’ai toujours trouvé comique cette envie pernicieuse qu’ont certains d’être plus catholiques que le Pape. Ce petit trait de personnalité sympathique caractérise généralement les alter ego ou les guignols, ces derniers, quand ils font de la politique, essayant de copier leurs maîtres (enfin, en version 2 en 1, leurs maîtres et sponsors). La toute récente interview de Porochenko à la Tribune de Genève, au journal autrichien Kurier et au journal finlandais Helsingin Sanomaten est une brillante démonstration.
Dans l’introduction de l’interview, nous apprenons que l’Ukraine fait face à une « guerre hybride avec la Russie », qu’elle est minée par une « corruption endémique » et que la société civile – laquelle, la notion de société au singulier n’ayant plus grand sens aujourd’hui ? – demande des réformes drastiques. Vu la haute cohérence des réponses apportées par le Président ukrainien, ces réformes, elle les aura quand les poules auront des dents.
Premièrement, M. Porochenko est vexé par le fait que la Russie ait fermé ses marchés financiers à Kiev ce qui le pousse, à l’heure qu’il est, à chercher des marchés de substitution. Les moeurs évoluent, il est vrai, et avec elles les pratiques politiques, mais il semble néanmoins étrange de vouloir poursuivre des relations commerciales avec un Etat agresseur qui vous aurait déclaré la guerre. Verrait-on Staline commercer avec Hitler entre 41 et 45 ? Peut-être faudrait-il s’en tenir à une autre déclaration selon laquelle les Russes ont « lancé une guerre commerciale de grande ampleur contre l’Ukraine » et revenir sur le terme clé de « guerre », exploité à tort et à travers, sous toutes les sauces otano-washingtoniennes. Pour ce qui est de cette redoutable « guerre », entendons-nous enfin sur la portée réelle des termes, très certainement, la Russie l’a déclarée en réclamant son dû estimé en mai de l’année en cours à 25 milliards de dollars comme minimum. Poutine a osé le faire. Mais quel chef d’Etat – si ce n’est, paix à son âme, Boris Eltsine – ne l’aurait pas fait ?
Deuxièmement, M. Porochenko nous explique que la guerre qui est menée n’est pas une guerre civile mais une guerre avec la Russie. Il y aurait, d’un côté, des troupes russes omniprésentes à travers l’ensemble du Donbass qui feraient pression sur la population civile, de l’autre, des terroristes revêtus en simples insurgés. Les FAU s’érigent donc en libérateurs sans cependant parvenir à libérer une grande région industrielle occupée par l’envahisseur « moscal ». Si les faits se confirmaient, nous serions effectivement en présence d’une guerre patriotique et partant de là, pourquoi pas, une guerre pour l’unité de l’Europe. C’est d’ailleurs bel et bien dans cette rhétorique particulière que le Président ukrainien ancre son intervention. Mais voilà un coup de théâtre intéressant : selon ce dernier, « la [recherche active] des marchés de substitution [est] peut-être la pire des épreuves qu’inflige l’agresseur ». Monsieur le Président, votre immense voisin vous envahit en menaçant de facto l’Europe dans son intégralité, des terroristes à charge tuent femmes, enfants et vieillards, vous êtes tellement dépassés par cette invasion que vous demandez à l’OTAN de s’en mêler, mais en vérité, la pire des épreuves, ce ne sont pas les horreurs énumérées ! C’est la recherche de marchés de substitution à cause de la Russie qui vous a sanctionné pour non-paiement. Quand on ment, au moins faut-il surveiller ses propos pour éviter de basculer dans le ridicule.
Troisièmement, quand M. Porochenko s’avise à reprendre les thèses obsolètes du maccarthysme en rajoutantune copieuse couche de McCain ( «Poutine veut (…) toute l’Europe (…). Poutine a fracassé le système de sécurité internationale. Une agression contre la Finlande est-elle possible ? Oui »), il n’évoque ni la composante ethnique de la Crimée, ni les circonstances historiques et juridiques de son octroi à l’Ukraine sous Kroutchev, ni la question référendaire qui a précédé le retour dans le giron russe, ni la composante ethnique du Donbass : « C’est un territoire ukrainien », lance-t-il. Cela, personne n’ira la contester sachant qu’il s’agit d’une région octroyée à la RSS ukrainienne sous Lénine (raison de plus pour « désoviétiser » farouchement l’Ukraine) et ultérieurement industrialisée. Il n’en demeure pas moins que trois grandes villes de la DNR restent à dominante ethnique russe. Il s’agit de Donetsk ( 48,2% de Russes contre 46,7% d’Ukrainens), d’Enakievo (51,4% de Russes contre 45,3% d’Ukrainiens), Makiivka (50,8 de Russes contre 45% d’Ukrainiens). Les tendances dites pro-russes qui animent le Donbass n’ont par conséquent rien de surprenant. Elles sont naturelles parce que génétiques et sont aujourd’hui exacerbées par les élans « libérateurs » des FAU et des bataillons punitifs néo-nazis ainsi que par l’occidentalisme pro-otanesque d’un régime clairement fantoche.
Fantoche, il l’est à tel point que M. Porochenko prétend rétablir la souveraineté de l’Ukraine et lutter contre l’oligarchie au pouvoir en … s’entourant de ministres étrangers – à quand une petite promotion de Saakachvili Mme Gaïdar pouvant parfaitement occuper son poste à Odessa ? – et d’oligarques tels que Zhevago, Yaroslavsky, Kosyuk et Lozhkin, ce dernier ayant été trempé dans une marécageuse affaire gazière. C’est sans compter le gouverneur de Dniepropetrovsk qui malgré quelques frictions avec Kiev reste quand même l’une des personnalités les plus influentes d’Ukraine.
Quatrièmement, le chocolatier essaye de nous rassurer en prétendant lutter pour la liberté des peuples et les valeurs européennes. Je ne suis pas certaine qu’il le répéterait devant le petit Vlad de Gorlivka, grièvement blessé à la tête et dont la mère de 29 ans est morte suite à un énième pilonnage opéré par les « héros de l’Ukraine ». Il est non moins douteux qu’il le répète devant les orphelins de Debaltsevo ou des familles de ceux qui avaient eu à la fois le malheur et le courage de porter le ruban de Saint-Georges l’année dernière à Chatchastia. Et que dire du 2 mai 2014 ?
Mais il est également très incertain qu’il reprenne sa rengaine devant les mineurs de Rowno qui ont osé manifester, il y a quelquesjours, contre le régime de Kiev. Cette manif comme on en voit un peu partout à travers l’Europe, Russie y compris, a dégénéré en pluie de balles avec le triste bilan de trois blessés graves. Ces gens-là ne demandaient qu’à travailler, chose compliquée par la vente des licences pour l’exploitation des mines que peu de citoyens ukrainiens sont en mesure de se procurer faute de moyens. Liberté, liberté chérie … De qui se moque-t-on ? Lorsque le trio journalistique évoqué avait demandé à Porochenko s’il voyait en Iarosh, chef du sinistre Pravy Sector, un « criminel », celui-ci a répondu que ce n’était pas le cas et qu’un régime démocratique devait accepter, « heureusement ou malheureusement » des partis radicaux en politique. Faut-il rappeler à nos collègues occidentaux ce qu’est le Pravy Sector, grand spécialiste des commé-morations aux flambeaux de Bandera ?
Une dictature s’alimente de deux façons : par la terreur et par la conviction. On ne puit terroriser sempiternellement un peuple, surtout quand il a faim et froid. Pour ce qui est de la conviction, encore faut-il être crédible sur le long terme. Le régime de Porochenko est si peu crédible qu’un nouveau Maïdan ultra-nationaliste n’est pas à exclure. Entre-temps,les troupes loyalistes s’enlisent dans une guerre fratricide contraire à leurs intérêts leur mortn’alimentant que les multinationales américaines et les appétits expansionnistes de l’OTAN.
Les USA, lâcheront-ils définitivement leurs marionnettes dans un prochain temps ? Difficile d’établir un pronostic précis sachant qu’il n’y a pas d’unanimité au sein du Département d’Etat US et qu’une stratégie plus westphalienne, plus régionale, si on veut, entre progressivement en concurrence avec la stratégie du chaos. Jusqu’à quand ? Dès que la Russie et la Chine porteront le coup de grâce au pétrodollar, Washington aura besoin d’une guerre généralisée à l’ensemble de l’Europe. En ce sens, le Donbass n’est qu’un galop d’essai, un terrain d’entraînement tactique et stratégique et il y a fort à parier qu’il sera abandonné à partir du moment où les enjeux changeront de dimension.
Françoise Compoint
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