Pour qui ne connaît pas le personnage, je préciserai que Babitski avait fait ses premières vraies armes dans les rangs des libéraux-dissidents de Radio Free Europe et qu’il était devenu avec le temps l’un des symboles d’Echo de Moscou. Ayant eu de gros ennuis avec le FSB vu des relations que l’on qualifierait d’ambigues avec les islamistes de Bassaiev, le mainstream médiatique occidental en fit très vite un martyr de la liberté d’expression, une icône de la lutte anti-impérialiste russe … donc, les termes de l’équation s’assemblent d’eux-mêmes, un anti-poutinien convaincu. Quelle que fut à l’époque notre appréciation des reportages donnés par Babitski depuis la Tchétchénie, on ne pouvait nier son grand courage et sa tentative de porter un regard objectif sur les dérapages de l’armée russe. Après tout, j’ai été la première à condamner le colonel Iouri Boudanov qui, n’en déplaise à certains patriotes sujets à l’exaltation, restait jusqu’à son lynchage un violeur et un assassin.
Il n’est pas certain que les prises de position (en apparence) atypiques de Babitski en 2008 dans le cadre du conflit russo-géorgien ou ses dernières analyses sur le retour de la Crimée et la guerre du Donbass découlent d’un revirement idéologique dicté par l’on ne sait quel facteur sous-jacent. L’impératif d’objectivité dont il se prévaut est aussi celui d’un Mariani de l’UMP, d’un Pozzo di Borgo de l’UDI ou d’un Schaffhauser du RBM qui ne se sont quand même pas rendus en Crimée aux frais du Kremlin! Cette soif d’objectivité dirais-je jusqu’au-boutiste que l’on retrouve dans les rapports tchétchènes du journaliste se retrouve aussi, explicitement ou en filigrane, à travers l’interview qu’il a accordé depuis Donetsk à deux collègues du quotidien Komsomolskaïa Pravda, A. Kots et D. Stechine. Bien que je ne partage pas chacune de ses vues, j’ai pris plaisir à traduire une intervention intelligente et surtout, du moins en ai-je l’impression, honnête.
Françoise Compoint
«André Babitski. Ma déchéance morale et idéologique a commencé en même temps que les évènements en Crimée. J’étais alors chef de rédaction à Echo du Caucase, une filière d’ Echo de Moscou. C’est moi qui l’avais montée et j’y ai bossé quatre ans. Au moment des évènements qui se sont déroulés dans la péninsule criméenne, j’avais été amené à écrire un article consacré à la prestation de Poutine. Bien que n’ayant pas apprécié l’expression de “traître à la nation” qu’il y avait employée, j’ai salué sa détermination à défendre les Criméens. Comme le point de vue que j’avais exposé déviait sensiblement de la ligne éditoriale, je fus aussitôt démis de mes fonctions puis envoyé en exil à la rédaction moldave avant de voir mon salaire diminuer comme peau de chagrin et finalement me retrouver au chômage pendant un mois. Je suis d’abord parti en Trans-nistrie où, une fois sur place, j’ai décidé de gagner Donetsk. Voici donc schématiquement l’his-toire de mon parcours. Vous voyez bien qu’à la base je n’ai fait que constater quelque chose de flagrant: les habitants de Crimée ont usé de leur droit d’expression et devaient être légitimement défendus!
Komsomolskaïa Pravada (KP). Mais le Maïdan a lui aussi usé de son droit d’expression! Comment se fait-il que cela ait été différemment perçu?
André Babitski. C’est une autre histoire! Les slogans anti-corruptionnaires de manifestants pour la plupart très jeunes ont très vite été instrumentalisés par des mouvances ultra-nationalistes d’une violence extrême. De démocratique qu’il se voulait, le Maïdan a dégénéré en soulèvement néo-nazi. Comment pouvait-on s’y résigner? Surtout à partir du jour où l’on a brûlé vifs des membres du Berkout! Quand l’expression de la volonté populaire mène droit au chaos, ça devient insoutenable. En revanche, les habitants du Donbass se sont prononcés en faveur de leurs tradi-tions, de leur langue et de leur culture. La première fois que je suis venu ici pour des reportages et des articles d’analyse, c’était en tant que journaliste de RF. Bien entendu, ce déplacement ne s’inscrivait pas dans la ligne éditoriale mais la rédaction moldave était tellement en arrière-plan que personne n’y avait prêté attention. En plus, je jouissais encore d’une certaine réputation qui fit que la station pour laquelle je bossais commençait à perdre de ses traits de propagande.
KP. Et ensuite?
André Babitski. En septembre dernier, j’avais tourné un reportage sur l’exhumation de 4 corps – ceux de deux civils et de deux membres de l’insurrection – d’un charnier à Novosvetlovsk. Ils ont été fusillés par des membres du bataillon “Aïdar”. En fait, ces personnes étaient venues chercher de la farine sans savoir que Novosvetlovsk venait d’être occupée. J’ai pris note de tous ces détails qui ont été aussitôt repris en toute fidélité par la rédaction moldave dans un reportage fondé es-sentiellement sur des témoignages de villageois. Je savais bien que la rédaction ukrainienne de RL pêchait par nationalisme mais l’accueil qu’elle fit de ce reportage surpassa toutes mes attentes: “ce que rapporte la vidéo est impensable parce que c’est impensable et que, par voie de conséquence, nous avons affaire à une mise en scène”. La direction a tout avalé pourvu d’éviter une confrontation directe avec des gens dont le tempérament belliqueux est de notoriété publique. En plus, on ne peut pas critiquer le régime de Kiev parce que cela reviendrait à critiquer la politique menée par le Département d’Etat US. J’ai donc fini par être licencié à mon retour, le 29 septembre. Comme il ne me restait plus qu’à tourner la page, je suis reparti à Donetsk et j’ai la conviction d’avoir bien fait: là est ma place, je me sens partie intégrante de ce monde opprimé qui m’est proche à tel point je partage sa rébellion.
KP. Est-ce que la réalité du terrain a révélé des similitudes avec ce que tu as pu voir lors de tes déplacements en Tchétchénie?
André Babitski. L’armée ukrainienne est aussi brutale (“sans scrupules” dans l’original) dans son mode d’action que l’armée russe à l’époque. Ceci dit, il n’y a pas eu de référendum en Tchétchénie comme il y en a eu dans le Donbass et si je m’en tiens à mes impressions de la première guerre tchétchène, la majeure partie de la population ne soutenait pas Doudaïev! Ce que je vois dans le Donbass me semble limpide. La plupart des gens ont voté pour l’indépendance et pour un rapprochement, dans la mesure du possible, de la Russie. Ce qui est tout aussi irréfutable, c’est qu’ils ne veulent plus entendre parler de Kiev.
KP. Si on résume tous les on-dit, voici ce que ça donne: “Babitski, lorsqu’il roulait sa bosse en Tchétchénie, s’érigeait en opposant. Maintenant qu’il s’est retrouvé à Donetsk, le voilà loyaliste”. Comment ça se fait? Tes admirateurs, dit-on, se sont détournés de toi en grand nombre!
André Babitski. J’ai en plus été taxé de traître ce qui m’a valu d’être doublement banni et détes-té. En plus, je ne pense pas que mes prises de position sur la Tchétchénie étaient antirusses. An-timilitariste, oui, je ne le nie pas. Certaines thèses, sans doute maladroitement exprimées, avaient été tirées de leur contexte initial. Par exemple sur les scènes d’égorgement. Il s’agissait d’une des-cription pure et dure et non pas d’un geste de solidarité! En 2005, après la tuerie de Beslan, j’avais préparé une interview avec Bassaïev, mais qui l’a lu? Or, les questions que je lui avais soumis étaient extrêmement désagréables, je ne m’étais même pas gêné pour le qualifier de tueur d’enfants. L’image que l’on avait gardé de moi reste encore ce qu’elle fut lors des années tchét-chènes, quelle est-elle aujourd’hui … je ne sais pas. J’ai renoncé à beaucoup de mes anciennes convictions sans pour autant épouser – en tout cas pour le moment – celles du Kremlin. Je ne me sens pas très proche de cette propagande hystérique qui caractérise certains médias russes, alors j’ai un peu l’impression d’être suspendu entre deux camps.
KP. Comment expliquer que l’Occident ait soutenu avec tant d’ardeur les insurgés tchétchènes mais qu’il ait été aussi critique de la rébellion donbassienne alors que la mentalité de ces gens est bien plus européenne que celle des islamistes caucasiens?
André Babitski. L’insurrection tchétchène – appellons la ainsi – était une insurrection ethno-nationale. En réalité, je n’ai jamais compris pourquoi est-ce que l’Occident misait systématique-ment sur les mouvances nationalistes. Il y a une grosse part de cynisme dans ce genre de stratégie: les régimes de type nationaliste sont particulièrement agressifs et de fait facilement instru-mentalisables. La Russie est un ennemi géopolitique. Ce ne sont pas des régimes démocratiques qui peuvent lui nuire mais bien des Etats nationalistes que l’on utilise quand besoin est. Regardez donc Kolomoïsky! En voilà un type vicieux. Il peut se dire russe ou juif, n’importe, mais en fait, ce n’est qu’un oligarque sans foi ni loi, une girouette accomplie qui n’a aucun sens de l’honneur. Et à côté, il y aurait de gentils personnages, aussi nobles que talentueux, qui soutiendraient l’idée d’un Etat-nation. Je crois que c’est un non-sens. Depuis la II GM, l’idéologie nationaliste a clai-rement démontré qu’elle était criminelle. Voyez un peu ce qui se passe en Ukraine. Un régime totalitaire de type nazi est venu se substituer à l’autoritarisme totalement irresponsable de Ianou-kovitch. Pareil pour Saakachvili dont les curieuses réformes ont conduit à la mise en place d’un régime policier avec des relents de nazisme.
KP. Et en 2008 tu étais dans quel camp? Spirituellement …
André Babitski. Plus que spirituellement, c’est bien en tant que journaliste que j’avais apporté mon soutien à l’Abkhazie et à l’Ossétie du Sud. C’était d’ailleurs le credo de l’ “Echo du Cau-case”. Pour la Géorgie, Babitski était déjà à l’époque un agent du FSB. Il n’y avait que les Géor-giens pour le savoir à l’époque, maintenant c’est devenu de notoriété publique.
KP. Tes relations avec Kiev?
André Babitski. Je n’en ai pas. Mes allers-retours du temps où je bossais pour RF m’ont large-ment suffi.
KP. Et la motivation des gens de ce côté-là, elle ressemble à quoi?
André Babitski. Elle est d’un primitivisme affligeant! Nous construisons, disent-ils, une nation. Sauf qu’une nation ne ne construit pas parce qu’il s’agit d’un processus organique. Enfin, on peut bien sûr essayer de s’y mettre mais alors seulement en appliquant les méthodes hitlériennes. Sinon, on revient à la thèse du processus organique.
KP. Que penses-tu de la Crimée?
André Babitski. Que du bien! J’aime beaucoup la Crimée, mon épouse est originaire de Sébas-topol.
KP. Est-ce que quelque chose y a changé en un an de rattachement?
André Babitski. Et bien les Criméens ne changent pas. Ils étaient déjà fainéants avant (tout en aimant amasser les ronds), c’est pareil aujourd’hui. L’euphorie de l’an dernier a refroidi et les ha-bitants ont rationnellement conscience des raisons de ce refroidissement: le retour en Russie ne va pas sans l’adoption de l’immense machine bureaucratique russe avec son côté contrariant, la rigidité des règles qu’elle impose. L’Ukraine s’en fichait pas mal de la Crimée, elle n’y mettait même pas le nez. Il y avait durant toutes ces décennies comme un sentiment de liberté les au-tochtones ne ressentant pas la présence de l’Etat dans la péninsule. Enfin … c’est sans compter l’engrenage corruptionnaire qui s’y était très vite invité. La Russie a sifflé la fin de la récréation! L’anarchie, c’est terminé.
KP. Avez-vous relevé des changements plus ou moins sensibles dans les Républiques autopro-clamées ? Ressent-on un sentiment de lassitude ou d’exaspération parmi les autochtones ?
André Babitski. Mais bien sûr qu’il y en a, mais ils sont surtout liés aux erreurs des autorités [des Républiques]. Les gens ne comprennent pas toujours leur stratégie, leur vision du futur. Même sur fond de guerre il devrait y avoir des règles précises à suivre. Peut-être ont-elles été fixées à huis clos, qui sait. Reste que la population se sent souvent déboussolée. D’après les derniers sondages, 57% de la population se dit prête à tout endurer coûte que coûte ce qui prouve qu’il y a quand même un important potentiel de mobilisation ! Les gens réalisent qu’ils ne supporteront plus le retour de l’ancien régime. La fatigue, déjà très présente dans les rangs, continuera certes à progresser, les revendications envers les pouvoirs locaux se feront de plus en plus entendre. Pour autant, jamais les autorités de Kiev ne se rapprocheront du peuple [du Donbass]. Jamais.
KP. Mais en fin de compte, ça devrait finir par s’arranger ?
André Babitski. Je n’irais pas jusqu’à me projeter au-delà d’un terme précis. Je pense que dans cinq ans environ nous verrons apparaître une structure étatique bien définie. La vie va reprendre son cours, les reponsables politiques prendront enfin leurs reponsabilités, une intégration politique avancée avec la Russie se mettra en place comme étant quelque chose de naturel. Comme il y a quand même une frontière commune, je ne pense pas que la situation soit aussi pourrie qu’en Transnistrie. On verra plutôt un scénario à l’abkhaze ou à l’ossète où les gens sont sûrs d’avoir un avenir malgré des problèmes de gestion non négligeables. [Pour ce qui est du Donbass], je pense que la délivrance des passeports russes n’est qu’une question de temps, on commence à en parler. Pareil pour la délivrance des diplômes russes ! Les voitures récemment immatriculées en DNR-LNR passent facilement la frontière russe … Enfin bref, le processus est bien engagé, je dirais qu’il est irréversible. Ceci dit, la stratégie de Moscou semble difficilement cernable, c’était déjà le cas en Ossétie et en Abkhazie. Mais en définitive, ces deux Républiques, sans être des modèles de prospérité, ont néanmoins un niveau de vie notablement supérieur à celui de certaines régions russes. Le Donbass est fort de son potentiel industriel et intellectuel. Les conditions de développement y sont bien meilleures qu’au Karabagh ce qui hâtera le processus de restauration et de relance économique. Je pars d’un pronostic étalé sur 5 ans».
Recent Comments
RR in: Red Cross did not inspect any soldier tortured in captivity — DPR
They have done nothing but milk the cow in Haiti as well. It is anoth ...
RR in: Ukraine’s Security Service accuses more than a thousand of its officers of desertion
Just in time for the next Kiev offensive. lol ...
Hugo in: Novorossia news (radio)
Like contact with Novorossia news (radio) Many Donbass & Lugansk ...
Ten_drugi_Adam in: Banderowski pomnik w Wierzbicy: zniszczony! (foto+ video)
Dla tych właśnie wpływów kk wspiera Ukraińską strone, a właściwie dla ...
Ten_drugi_Adam in: Kto poniesie konsekwencje zerwania eksportu do Rosji?
My pół miliarda strat a Rosjanie jabłek nie zjedli, to straszne:( ...