Thierry Laurent a vécu huit années en Ukraine, à Kiev et Odessa. Il connaît ce pays où il était arrivé un jour de 2006. Ses conclusions sur le potentiel humain de l’Ukraine furent positives, il sentait qu’il y avait ici des possibilités et fonde une entreprise informatique. Elle ne lui rapportera pas des millions, mais assez pour payer ses employés quatre fois le salaire minimum et pour vivre correctement. Il découvrait un pays jeune et dynamique mais perclus de problèmes, notamment l’énorme corruption des élites dirigeantes. C’est avec dégoût qu’il suivit ainsi le parcours de Timochenko, la reine du gaz : assassinats politiques, délits d’initiés, réseaux d’influences, népotisme, vol des subventions du FMI, installation d’organisations américaines pilotées politiquement des USA, manipulations diverses. La liste est longue dans le récit de Thierry.
Il raconte et s’attarde sur le cas Timochenko. Comme il le dit lui-même « Je ne suis pas tombé dans le panneau comme beaucoup d’Ukrainiens, parce que j’aime comprendre et décider après avoir fouillé en profondeur ». De fait, ses activités le conduisirent à entretenir des amitiés avec des personnages importants. Il y aura Eugène, cadre du SBU (police politique et services secrets ukrainiens). Mais si la politique l’intéresse, Thierry ne mènera pas une vie d’activiste en Ukraine. Il créa des emplois, développa son activité et poursuivit son petit bonhomme de chemin. C’est finalement des problèmes de santé qui le rappelèrent à l’été 2013 en France. Mais il revînt à Kiev… en décembre. Il y vivra les événements du Maïdan en direct pendant deux mois, jusqu’en février 2014, date à laquelle effaré par la catastrophe qui fit sombrer l’Ukraine dans le chaos, il se décida à rentrer en France. Durant les semaines du Maïdan, il vît de ses yeux comment la Révolution avait débuté.
« Déjà pour Timochenko, 100 ou 200 activistes qui avaient planté leurs tentes sur une place pour réclamer sa libération, elle convaincue de nombreux délits et condamnée, cela m’avait paru bizarre. Comment ces « manifestants » avaient-ils tenus « la position » durant deux ans, du matin au soir, sans travailler ? D’où venait l’argent pour les faire vivre et rester ? Ce n’était pas un secret que quelques-uns d’entre eux se pavanaient avec des reçus de virement d’argent ». Dans sa voix, la colère se ressent, c’est que l’homme finira dans cette histoire par tout perdre en Ukraine. « Pour le Maïdan j’ai tout de suite vu qu’il y avait quelque chose qui clochait, d’abord l’organisation. Il était clair que ce mouvement n’était pas spontané, ils ont construit en très peu de temps des barricades parfois hautes de trois ou quatre mètres, en dur. Tous les accès à la place étaient condamnés, des sacs qui furent bourrés de neige furent empilés, ils étaient tous similaires, des centaines de mètres de fil barbelé furent déployés sur un autre point. C’était une vraie forteresse et pire encore, je sais reconnaître un Caucasien, d’un Ukrainien ou d’un Occidental et il y avait beaucoup de types aux mines patibulaires qui n’étaient pas d’ici. Ce n’est pas vraiment les étudiants et le peuple ukrainien qui ont fait le Maïdan, j’ai bien vu qu’il y avait des étrangers, des anglo-saxons par exemple et beaucoup de gars avec de vraies sales gueules ».
Thierry poursuit sans relâche, il me racontera deux longues heures comment de son appartement situé très proche de la place, toutes les nuits c’était un capharnaüm indescriptible. « C’était la foire toutes les nuits, jusqu’à trois ou quatre heures du matin et le tout extrêmement arrosé ». Des cris, des hurlements, une java du tonnerre et puis beaucoup d’argent. Là encore il explique que les compagnies d’Autodéfense du Maïdan étaient financées. Nous avons en effet en mémoire l’argent accordé par le sénateur John McCain pour salarier les gorilles venus du parti néo-nazi Svoboda. Dans une ambiance délétère et déjà dangereuse, son choix est vite fait : ce sera le retour en France. C’est l’année suivante qu’il retourna finalement en Ukraine, à Kiev et Dniepropetrovsk, pour régler définitivement ses affaires. Le Maïdan était déjà loin, mais Thierry ne pouvait imaginer qu’un matin de février 2015, cinq sbires du SBU allaient débouler dans son hôtel à Dniepropetrovsk. Vertement arrêté, il est conduit par sept hommes lourdement armés dans un poste de police. Il y subira un interrogatoire serré : trois caméras, trois gaillards et une accusation de terrorisme. Son téléphone est saisi, tous ses contacts épluchés et appelés, il subira durant sept heures ce traitement.
Libéré, il doit faire pression pour qu’on le raccompagne à la gare routière, ses amis l’attendent en effet depuis longtemps à Kiev. Un ordre lui a été stipulé de rejoindre Kiev au plus vite et de quitter le pays. C’est sur la route entre les deux villes, qu’une voiture débaroule à toute vitesse et stoppe la marche de l’autobus. Ce sont des activistes du Pravy Sektor, parti néo-nazi ukrainien qui fait la loi dans beaucoup de localités en Ukraine. Ce sont des milices similaires à la SA d’Adolf Hitler qui se substituent souvent à la Police. Deux molosses pénètrent dans le véhicule et immédiatement s’installe derrière Thierry. Ils joueront pendant tout le voyage avec un pistolet Glock et une hachette en diffusant à l’aide d’une tablette des reportages et de la propagande néo-nazie ukrainienne. Pour Thierry, il ne peut s’agir d’un hasard, les deux types sont là pour faire pression et lui montrer qu’il doit dégager, « les heures ont été longues jusqu’à Kiev ! ». Dans l’inquiétude de l’arrivée, Thierry réussit à descendre du bus à l’indienne et sème ses poursuivants en sautant dans une voiture. Mais au petit matin, trois autres gaillards l’attendent devant son domicile.
Le petit jeu malsain se poursuivra deux jours, Thierry réussit à semer ses « gardiens » dans une galerie marchande. A son retour en pleine nuit personne ne l’attend, c’est un soulagement qui toutefois ne dure pas. Car à nouveau, au matin, les trois mêmes hommes l’attendent. Il faut partir, mais il reste du temps avant de prendre l’avion. Il rencontre deux scandinaves tout aussi bizarres à une terrasse de café en train d’étudier une carte du Donbass. Ce sont deux mercenaires : direction les bataillons de mercenaires sinistrement célèbres de l’Armée ukrainienne. Dans une gargote, un type gigantesque l’agresse lui assenant un coup magistral sur la colonne vertébrale. Thierry bien évidemment très méfiant était alors armé d’un taser qui neutralisa son agresseur et lui permis de s’enfuir à toute jambe. C’est avec un grand soulagement, mais avec une grave douleur dans le dos (qui nécessitera en France de nombreux traitements) qu’il atteint l’aéroport. Sa dernière vision du pays aura été celle de plusieurs américains suspects passant les contrôles avec de grands sacs qui firent sonner tous les portiques de contrôles… en passant devant toute la file d’attente et avec l’assentiment des douaniers ukrainiens. La conclusion de Thierry sur les événements en Ukraine pourrait se résumer dans un mot sortant à de nombreuses reprises de sa bouche : « inacceptable ! ». Au total c’est le profond écœurement et dégoût de la désinformation sur le Maïdan et la guerre dans le Donbass qui aura décidé Thierry à parler : « je ne pouvais me taire ». Il ne se taira pas.
Laurent Brayard
2 Comments
OlivierT
Merci pour ce témoignage très intéressant.
Je rêve que les grands journaux français reprenne cet article, et que Thierry Laurent soit invité par les chaines de télévision pour raconter ce qu’il a vécu et partager ses connaissances sur l’Ukraine.
champoiseau
Merci pour votre témoignage et votre courage. Il console des mensonges officiels de France. Téléguidés par les usa et l’ue.