Dans les rues de Donetsk, l’agitation est plus grande le weekend. La fourmilière que devait être cette ville avant la guerre est cependant bien loin. Sous les panneaux publicitaires à l’abandon ; des lambeaux d’affiches se dispersant petit à petit au vent ; se trouvent des magasins aux portes closes. Ici et là, je découvre des petits panneaux qui indiquent « Fermé ». A la tombée de la nuit, cette impression de désert se renforce avec ces immenses avenues et boulevards absolument vides de véhicules. C’est le rêve de tous les automobilistes français, aller et venir, la route à perte de vue pour soi. Mais cette triste description ne saurait être complète sans dire que l’observation fine permet de comprendre que la ville est loin d’être morte.
Là-bas c’est un grand marché couvert. L’endroit à flanc de colline est un véritable mélange de stands en dur et d’une mère de toiles et d’auvents. En soirée, les livraisons se font pour le lendemain, des tonnes de pommes de terre et de tomates s’alignent en sacs ou en cartons. La foule qui se trouve ici est bigarrée. Je ne passe pas inaperçu, la plupart des marchands ont le teint buriné, les vêtements sont plus colorés, la facture plus « orientale », les langages se mélangent. Plus loin c’est un kiosque à « Chaourma », l’homme n’a pas du tout le profil du local. Les prix sont chers, trop chers et l’homme me demande tout de suite d’où j’arrive. « De France ! ». Il me répond immédiatement dans un mauvais français, qu’il est Berbère, d’Algérie. Il marmonne dans sa barbe, peste contre la guerre : « J’avais un appartement près de l’aéroport et un magasin, tout est parti en fumée, voilà plus de dix ans que je suis là et tous les ingrédients pour mon commerce sont horriblement chers. J’ai tout perdu et je me demande si je vais rester ici. J’ai des amis qui sont aussi Berbères, nous sommes une petite communauté, c’était bien ici avant ». L’homme refuse de se faire prendre en photo, c’est dangereux dit-il, pour les affaires…
Je n’insiste pas et passe mon chemin, nous sommes non loin de la place centrale, le festival Big Donbass bat son plein depuis le 13 août. Il se finira en ce dimanche qui est hélas très pluvieux. Sur le podium défilent depuis des heures de nombreux artistes venus de tout le Donbass et de bien plus loin. Il y a des gens de Crimée, de Russie… de France avec Iouri Iourtchenko.
L’assemblée qui varie au fil des heures est ravie du spectacle. Nous aurons eu droit à un ensemble de chansons traditionnelles cosaques, l’un des chanteurs m’explique : « Si vous n’avez pas compris la chanson, c’est une très ancienne chanson cosaque qui parle de défendre notre terre, son village, qui parle des amis et des gens que l’on aime ». Ils seront ensuite remplacés par un ensemble tzigane et avant eux un groupe de danseurs folkloriques caucasiens avait tournoyé sur la place. Dans les allées de la place faisant suite à l’immense esplanade, d’autres musiciens et artistes sont à l’œuvre, nous pourrions nous croire à une sorte de fête de la musique. Justement, un ensemble exécute sur un petit banc de la musique qui est peut-être berbère, costumes et maquillages de deux femmes le laissent entendre.
Des volontaires passent non loin, la présence policière et militaire est omniprésente, nous sommes en guerre, c’est un décor normal. L’un d’eux portant un insigne des bataillons républicains que je ne connais pas, il ramasse délicatement un pigeon mort. Devant la foule indifférente, il va déposer doucement son corps dans un massif, cela semble émouvoir une jeune fille qui assistait-elle avec intérêt à la scène. L’incompréhension s’installe, je m’approche car c’est un étranger et je m’empresse de faire les traductions : « dites-lui que j’ai apprécié comment il a traité cet animal mort et fait en sorte que notre ville reste propre, c’est important ». La ville est en effet d’une propreté remarquable. Les gens ne peuvent ce soir s’en aller aussi vite que dans les jours de la semaine. La musique adoucit les mœurs dit-on. J’atterris dans mon café fétiche. La nourriture est abondante, le prix modique, c’est un lieu de passage où il n’est pas rare de faire de belles rencontres. La soirée s’avance, la nuit pointe et son manteau enrobe doucement ses habitants.
Le canon tonne. Dans la douceur de cette fin de soirée, dans les joies et les caresses musicales, le premier impact direct tiré par les Ukrainiens sur la ville surprend. Il a été puissant et résonne dans tout le centre. L’obus est tombé directement sur le centre-ville. Il est peut-être 21 heures, les rues se vident alors que les tirs s’intensifient. Les rockets s’en mêlent, elles tombent par série de 5 ou 10, il y a aussi comme me l’a raconté un volontaire ce type de canon qui tire plusieurs obus à la suite. L’atmosphère de la ville s’appesantit rapidement, les conversations sont partiellement coupés par les impacts, une déflagration terrible secoue soudain le centre-ville. Ce n’est pas tombé très loin, et cela continue. Le tout est ponctué par des silences, un homme s’écrit « ah ils rechargent ! ». Il faut du temps en effet pour recharger l’artillerie de gros calibres qui est utilisée par l’Armée ukrainienne. Mais bientôt, les obus recommencent à tomber, il est clair qu’ils vont continuer à tirer. Les obus m’ont réveillé de cet instant festif et musical, le couvre-feu est dans une heure. Je décide de rentrer à pied. Tout mon parcours, environ une demi-heure sera salué par les obus venant s’abattre sur la ville. Cette autre musique, les Ukrainiens savent bien la jouer, c’est avec l’argent européen et américain, l’argent des contribuables, qu’ils peuvent avoir un budget illimité pour chaque jour pilonner et tuer de pauvres gens.
Laurent Brayard
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