Nous sommes loin des menus tracas consuméristes de nos jeunets. Cette enfant n’ira pas pleurer à chaudes larmes parce que papa ne lui a pas acheté le dernier iPod Touch 6 ou faire des siennes parce que la séance sushi a été repoussée de deux jours maman se démenant comme un beau diable au boulot. Non pas qu’un enfant en temps de paix ne puisse demander, larmoyant, la même Playstation que celle du voisin. Rien de plus normal ! Ce qui inquiète, c’est le réductionnisme matérialiste abyssal qui caractérise trop souvent les rêves de nos petits.
Bogdana appartient à un autre monde. Elle a dix ans. Un âge où on est un peu trop grand pour les Barbies mais pas assez grand pour affronter toutes les dures réalités d’ici-bas. Pourtant, c’est bien ce qu’elle fait. Au jour le jour. J’ai découvert son compte sur le réseau russe vkontakte à travers la reprise d’une de ses lettres écrites avec une belle écriture rondelette d’enfant sage et adressée à Igor Strelkov, ministre de la Défense de la RPD entre mai et août 2014. Cette fille du bataillon y témoigne son immense respect pour les défenseurs des Républiques populaires du Donbass, sa douleur d’avoir perdu Mozgovoï, ce père spirituel, grand ami de son père à elle et qui l’avait moralement adoubée quelques mois avant de mourir dans un attentat ainsi que son grand espoir quant à la possibilité de se rendre un jour à Moscou et d’y rencontrer Strelkov.
« Oncle Aliosha [Aleksey Mozgovoï] m’a toujours dit que la mort n’existait pas. Nous sommes tous appelés à la Vie éternelle (…). Il m’a également dit que la Novorossia devait être habitée par des gens honnêtes prêts à s’entraider quoiqu’il arrive. Celui qui déroge à cette simple règle est pire qu’une bête, c’est un monstre ».
Le triomphe de la vie sur la mort, des convictions sur l’opportunisme, de la fermeté sur les versatilités, Bogdana sait très bien ce que c’est : Papa est parti pour ne plus jamais nous quitter, me confie-t-elle dans le cadre d’une correspondance privée, joignant à cette phrase un sourire paisible que peu d’adultes auraient pu joindre fussent-ils dans la même situation. Le sens de la Foi – celle-là même qui enjambe le religieux dans notre conception humaine – et celui de la prière au sens tout aussi large du terme sont inhérents à ce destin d’enfant prématurément mature que l’URSS a si bien connu entre 1941 et 1945.
Lorsque des Soukhoï Su-25 se sont abattus sur Altchevsk, ville natale de la petite, elle refusa de partir : « Je resterai avec papa qui combat les nazis ! Comment puis-je l’abandonner ? ». Pourtant, tant de jeunes hommes en âge de combattre gagnèrent la Russie, tant de jeunes femmes les accompagnèrent ! Bogdana choisit de rester. Alors donc que la ville éventrée frémissait sous des bombardements sans cesse accrus – c’était en automne 2014 – elle ne se cachait pas dans ces greniers qui faisaient office d’abris anti-aérien : « J’étais sûre certaine qu’il n’allait rien m’arriver. Je priais et je n’avais pas peur ». Son père emporté par la guerre, il lui reste maman et mamie, cette babouchka qu’elle dit aimer « plus que tout au monde » avec cette spontanéité qui définit le charme de l’enfance.
Chez elle, l’abnégation et le goût du travail vont de pair. On la voit s’occuper des chiens et des chats abandonnés par les réfugiés alors qu’il y a à peine un an de cela une pomme de terre à moitié pourrie faisait déjà la joie des habitants affamés. De quoi revenir aux heures du blocus de Leningrad. S’étant trouvée une vocation de chirurgien militaire, elle œuvre aux côtés des infirmières touchant de facto un salaire symbolique mensuel de 1000 roubles qu’elle consacre à l’achat de fournitures scolaires pour les CP-CE1. L’exemplarité jouant le rôle qui lui est historiquement imparti – et pas des moindres – des centaines d’enfants de tous les coins et recoins du Donbass expriment leur soutien admiratif à la jeune Bogdana, symbole d’espoir, symbole d’une Résistance dont les sceptiques mettaient en doute la pérennité aux premiers mois de ce qui devait être le blitzkrieg kiévien.
Son engagement est aussi éclatant que périlleux. Elle a déjà failli être enlevée par les Svidomites (terme tantôt péjoratif, tantôt neutre voire mélioratif désignant à la base les indépendantistes ukrainiens d’URSS et signifiant « sage » et/ou consciencieux) du SBU dont les inclinaisons inquisitoriales n’épargnent pas même les petites filles. Habituée aux menaces récurrentes qui lui parviennent au jour le jour et qui, dans le meilleur des cas, augurent la mise à mort de ses parents par pendaison ou des tourments dantesques pour Mozgovoï, elle ne se plaint jamais narguant la crasse pseudo-intellectuelle de ces nazillons pantouflards armés du net et gavés jusqu’aux tripes de pop-corn. Je ne veux pas tuer, dit-elle ! Une fois grande, je serai médecin militaire.
Comme la beauté du cœur et celle de l’esprit sont souvent indissociables, comme l’exercice du courage relève aussi du talent, il se fait que Bogdana écrit des poèmes. L’un d’eux est consacré à la Novorossia, l’autre à Mozgovoï, son héros, dont elle vient fleurir la tombe tous les dimanches.
Le Donbass est en feu ! Le Donbass est en larmes !
Voyez comme nos steppes s’embrasent !<
Comme sanglotent nos femmes et nos mères …
Comme trépassent nos enfants./p>
Des hordes de nazis s’avancent
Balayant ce qui reste de vie.
Que la Terre nous pardonne et nous exauce …
Hélas, ils ne savent pas ce qu’ils font.
Jamais l’ennemi n’aura le Donbass !
La soumission n’est pas faite pour nous !
Que vienne la PAIX ! Que les Mères se consolent !
Que l’enfance, forte et fougueuse, ressuscite !
Difficiles à traduire à la lettre d’où des approximations que vous me pardonnerez, ces vers sont de Bogdana. Son prénom se traduit littéralement comme « don de Dieu ». Mais c’est aussi, ajouterais-je, un véritable don du Donbass qui dans quelques jours, vient-elle de m’annoncer, toute fière, recevra une médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement. Comment le vent revient sur ses circuits, les générations viables reviennent à l’Histoire. Que de Bogdana attendent leur heure dans les hameaux assoupis !
Nota !!! Les falsifications et/ou généralisations hasardeuses ayant pignon sur rue, précisons à titre préventif que :
- Bogdana ne participe pas, n’a jamais participé et en tant que mineure ne participera pas aux hostilités. Les lois de la Novorossia sont en parfait accord avec les normes prescrites dans le droit international.
- Son activité d’apprentie aide-soignante s’exerce en dehors des heures de cours et, dans le cadre d’une guerre (formellement) civile, ne saurait être interprétée autrement que comme un acte de bonne volonté humaniste méritant respect.
- Son ancrage bien entendu symbolique dans « Prizrak » s’inscrit dans la logique d’une continuité générationnelle. Son père s’était engagé dans la résistance aux côtés du défunt Mozgovoï. Il est tombé au combat. Le lien qui unit la fillette au bataillon sous-tend un lien de filiation brutalement rompu par la guerre.
Françoise Compoint
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