Les nécrologies exigent un style bien particulier, trouver l’équilibre entre la mémoire du défunt et la douleur des survivants, tout en restant dans les limites de la décence. Finalement, ce n’est pas la meilleure façon de décrire ce qui s’est passé hier, la décence n’est plus de mise, l’on en a soupé. De toute manière, ce pays continuera certainement encore à s’appeler la France, la marque est vendeuse.
Quelques remarques sur un suicide passé inaperçu.
Tout le monde n’est pas autorisé. Entrée réservée aux insensés.
Le Loup des steppes semble de circonstances. Propos préalables:
“Tu avais en toi une vision de l’existence, une foi, une exigence. Tu étais prêt à t’engager, à souffrir, à faire des sacrifices. Mais petit à petit, tu as remarqué que le monde n’exigeait de ta part aucun engagement, aucun sacrifice, aucune attitude de ce genre. Tu l’as compris: l’existence n’est pas une épopée avec des héros et des grands personnages; elle ressemble au contraire à un joli petit salon bourgeois où l’on se satisfait pleinement de manger et de boire, de déguster le café en tricottant des chaussettes, de jouer au tarot en écoutant la radio. Quant à celui qui est animé de désirs, qui porte en lui autre chose, la grandeur héroïque et sublime, le culte des grands poètes ou celui des saints, c’est un fou et un Don Quichotte.”
Hermann Hesse l’avait parfaiement exprimé, notre société l’a porté à son comble. Les héros sont au placard et ressortis par les uns et les autres en fonction des nécessités du moment, sans en avoir pour autant la carrure, ni même tenter de l’avoir. Des années de travail minutieux de démontage ont enfin porté leurs fruits. L’ère des commerçants est arrivée, celle qu’ils n’ont pu mettre en place après la Monarchie. La revanche de la médiocrité, le culte du vide centré sur soi pour ne pas voir la désolation au-delà de son nombril. Félicitations, Macron incarne et portera parfaitement ces aspirations.
Comment en sommes-nous arrivés là? En plusieurs étapes.
La fin de l’Etat national
La fin de l’Etat national a été décrété après la Seconde guerre mondiale. L’Etat n’est plus l’affaire d’un peuple, d’un territoire, d’une histoire. L’Etat est “communautarisé”, il est ce que la Communauté internationale accepte qu’il soit. Certains ont donc le droit d’exister, d’autres non, mais en aucun cas ce n’est au peuple de cet Etat d’en décider. L’Etat est un instrument du droit international. Une coquille vide qui est appréciée formellement. L’Ukraine doit exister comme Etat, alors que la Yougoslavie n’en a pas le droit. L’existence de l’Etat n’est plus liée à un critère juridique, celui de l’efficacité globale du système juridique dans le pays, mais son existence est politique, voire idéologique, indépendante de la réalité nationale.
Au niveau national, l’Etat a été vidé de son sens, tout au moins en Europe. Traditionnellement, l’Etat servait à protéger une population contre des dangers extérieurs visibles, les guerres, et à l’intérieur à permettre le développement de la société. A l’extérieur, les guerres traditionnelles ont été bannies du territoire européen, ce qui rend, dans l’inconscient collectif, l’Etat avec ses frontières inutile. L’UE a continué à relativiser la notion de frontière, la montée du terrorisme international a permis de démontrer que l’Etat, à force de “rationnalisation” et de réductions d’effectif, n’est plus apte à lutter contre les menaces extérieures et les vagues d’immigrations rebaptisées “migrants” attribuent à n’importe quel groupe étranger le droit de franchir les frontières, qui ne sont plus des barrières. A l’intérieur, la société civile et le business sont censés être plus efficaces que l’Etat. Cette évolution est logique. A l’ère des commerçants, les barrières doivent être levées, la mondialisation doit permettre le développement du business et les êtres humains, après des années de réforme de l’éducation et la diffusion massive des réseaux sociaux, ne sont que des instruments de ce nouveau paradigme. Ils ont le droit d’aller à l’étranger, de monter leur business, de faire de l’argent. Que peuvent-ils vouloir de plus? Posséder pour ne plus être.
La démission des élites politiques
Ces élections marquent également la fin du système des partis politiques et de la classification droite gauche. La véritable frontière qui traversait les partis en les subdivisant en partisans d’une vision globale et ceux d’une vision nationale est aujourd’hui affichée. Le Parti socialiste et Les républicains ne se relèveront pas de cette défaite, qui est avant tout celle des partis “d’avant”.
Il est vrai que le paradigme gauche/droite ne correspond plus depuis longtemps aux véritables questions qui se sont posées à la société française, depuis Maastricht. Il était utile justement pour cela, pour que ces questions soient évacuées hors du débat politique et posées comme un fait acquis. Une personne sérieuse ne discute pas de l’Union européenne, de l’euro, des sanctions, de l’accueil des migrants. Le dogme est posé. Aucune élection ne peut risquer de le remettre en cause, les candidats s’interchangent dans ce cadre non-dit et puissant.
Le format Macron / Le Pen au deuxième tour est un coup magistral, car c’est la seule configuration qui permette au clan global de remporter ouvertement une élection, chacun de droite et de gauche peut le rallier en toute tranquilité d’esprit: le fumeux ralliement national contre le Front est censé les absoudre par avance. Finalement, ils ne trahissent pas, au contraire, ils sauvent la France. C’est beau. Non seulement ça ne leur coûte pas cher, mais en plus ils peuvent même espérer ne pas tomber du bateau.
L’intronisation du nouveau paradigme sur la place publique a été possible en raison de la démission des élites nationales. Ces élites qui ont accepté au fur et à mesure les règles du jeu qu’elles ne posaient pas, passant du compromis à la compromission. Qui ont accepté de jouer la carte du renoncement en vue d’un intérêt personnel: rester dans l’élite. Celui qui critique le système mis en place est soit un fou, un Don Quichotte, soit un extrémiste. Les partis politiques et leurs dirigeants viennent de payer le pris de leur compromission. Ils sont devenus tellement faibles, qu’ils sont inutiles, les masques ont pu tomber.
Des règles du jeu inéquitables
Ces élites politiques, bien nourries et habituées à l’être, ont oublié ce qu’est le combat. Il n’y a plus de dangers visibles et identifiables, le pays ne va pas être envahi par une armée étrangère, alors quoi faire? L’on peut jouer entre soi, il n’y a pas de conséquences, rien n’est grave. L’invasion par les vagues migratoires est difficilement critiquable si l’on ne veut pas être marginalisé, voire poursuivi. Les terroristes que l’on ne combat pas réellement sont étiquetés “opposants” ou ” Daesh” selon le pays et frappent toujours où il faut et quand il faut. La pression est maintenue sur la société, qui est ainsi prête à accepter n’importe quelle restriction à sa liberté réelle en contre partie d’une protection virtuelle.
Et cela marche parce que pour le clan globaliste il n’y a pas de règles, pas de limites autres que la victoire. Rien n’est sacré. A la guerre comme à la guerre. Or, notre élite politique n’est pas en guerre, pas plus que nous ne le sommes nous mêmes. Ils ont pu sacrifier la liberté et la pluralité des médias, qui est un des fondements de la société démocratique. Ils ont pu ouvertement instrumentaliser la justice, dont l’indépendance – du politique et non de l’Etat – est une condition de base de l’Etat de droit. Leur démarche est destructrice, car elle est révolutionnaire: détruire ce qui est, pour finaliser ce monde nouveau. Et nous regardons en relativisant.
Nos élites politiques continuent à se mettre au garde à vous face à la menace du Front national. Avant même l’annonce des résultats officiels, chacun appelant à voter Macron, posant sur la tombe de la Ve Républlique des armes trop lourdes, encombrantes, qu’ils ne savent de toute manière plus manier. Et soulagés de n’avoir pas à le faire. A se battre. A gouverner. L’on va pouvoir reprendre les discours et les postures.
Ces élections ont ouvert la voie au refondement de la société. La nouvelle société qui s’annonce, personnellement, ne me plait pas. On la connait déjà. La méthode est trotskyste, le fond est Rothschild. Un régime libertaire-totalitaire. Il a été rendu possible car nous ne nous sommes plus battus. Car nous ne savons plus nous battre. Car pour toute une partie de la société, la France est quelque chose de plus ou moins sympa, selon ce qu’elle apporte, mais ne fait partie ni de son sang, ni de sa chair.
Alors qu’y a-t-il à défendre?
Ce système était déjà moribond, il est tombé. Difficile de le regretter. Mais ce qui va suivre n’engage guère plus à l’optimisme. Les Empires sont tombés. Les cultures ne sont pas éternelles, elles disparaissent dans les livres d’histoire. Certes, mais il n’est jamais gai d’aller à un enterrement.
Aujourd’hui pleurons le défunt. Demain, il faudra se lever.
PS: L’on notera avec surprise à quel point les résultats officiels correspondent à ceux annoncés par les médias dès 20h, qui ne suivaient absolument pas l’évolution en temps réel du décompte des voix fait par le Ministère de l’intérieur, qui donnait Marine Le Pen largement en tête jusqu’à 23h30. Comme s’ils savaient que ça ne servait à rien.
Karine Bechet-Golovko
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