La Russie qui était un des pays fondateurs de la Cour pénale internationale, sans pour autant être allée jusqu’à ratifier le Traité de Rome, se retire totalement de cette institution. Deux raisons principales sont avancées: sa politisation et son inefficacité. L’une découlant de l’autre et de la vision unipolaire sous entendue.
La sortie de la Russie de la CPI
Le 16 novembre, sur proposition du Ministère de la justice, avec l’accord de la Procuratura, du Ministère des affaires étrangères, de la Cour suprême et du Comité d’enquête, le Président russe a signé l’acte demandant au Ministère des affaires étrangères de signifier au Secrétaire général de l’ONU la décision de la Russie de ne pas être partie à la Cour Pénale Internationale.
Selon les mots du porte-parole du Kremlin:
“C’est la position d’un pays qui est guidé par ses intérêts nationaux“.
Ces paroles interviennent après la publication le 14 novembre du rapport annuel de la CPI. Rapport dans lequel, en ce qui concerne l’Ukraine, elle occupe une position totalement partiale, que l’on peut sembler tirer non pas d’une enquête objective, mais d’une synthèse des articles du Monde. Une loi d’annexion de la Crimée mise entre guillemet comme pour une citation alors que la formulation ne correspond pas à l’appellation officielle, pas un mot sur les crimes commis par les bataillons punitifs, rien sur Odessa, ni les snipers du Maidan, etc. Rien, de simples incidents. Et il ne peut s’agir bien sûr d’une guerre civile, mais évidemment d’une guerre entre l’Ukraine et la Russie dans laquelle l’Ukraine est victime. La position sur l’Ossétie n’est pas plus objective.
La Russie remet donc en cause et la politisation et l’efficacité de cet organe. Et ces critiques ne sont pas nouvelles:
Fin janvier 2016, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la Russie Maria Zakharova avait annoncé que dans le futur la Russie pourrait revoir son attitude envers la Cour Pénale Internationale. En effet, l’État russe a été déçu par sa décision d’ouvrir une enquête à l’encontre des Ossètes de Sud et des militaires russes en Géorgie, tout en passant sous silence des crimes commis par les troupes géorgiennes. « Dans de telles circonstances, on ne peut guère parler de la crédibilité de la Cour pénale internationale », argue le ministère.
La Russie reproche également à la Cour Pénale Internationale d’être onéreuse et peu efficace, parce qu’en quatorze ans d’activité, elle « a seulement prononcé quatre verdicts, en dépensant malgré cela plus d’un milliard de dollars ».
Le Statut de Rome, acte fondateur de la CPI, est le résultat de la Conférence de Rome du 17 juillet 1998. Le 13 septembre 2000, la Russie a signé ce traité, mais en raison du conflit en Tchétchénie, elle ne l’a pas alors ratifié. Elle attendait aussi que le terme d’agression soit juridiquement encadré, afin de comprendre l’étendue de ses obligations juridiques. Lorsque le traité de Rome est entré en vigueur en 2002, la Russie a attendu pour voir comment fonctionnait cette institution, dont la juridiction pouvait avoir des conséquences importantes tant en matière juridique nationale, que de politique intérieure. Finalement, le temps est passé et la Russie ne l’a pas ratifié. Et elle n’est pas la seule à avoir eu des doutes lorsque l’on regarde cette carte:
La Russie n’est pas le premier pays à faire marche arrière, l’Afrique se réveille et de nombreux pays remettent en cause cette justice internationale vécue comme une ingérence. La Gambie, l’Afrique du Sud, le Burundi l’ont déjà décidé en octobre. Les grandes puissances comme les Etats Unis, la Chine ou l’Inde n’en font pas partie. Quelle place pour la Russie dans cette institution? Aucune. L’image droit de l’hommiste propagée de cette CPI est portée à bout de bras par les pays membres de l’UE, qui y sont états-parties. Mais ce sont des pays qui interviennent dans le cadre des opérations de l’ONU, opérations qui ne sont pas soumises à la juridiction de la CPI sur demande des Etats Unis. Ce sont également des pays dont la souveraineté est en cause et qui se sont mis sous le parapluie américain et de l’OTAN. Ils n’ont pas peur de la politisation de la CPI, puisqu’elle est un des instruments du bloc auquel ils appartiennent.
La justice internationale peut-elle être non politique?
La question de la politisation de la CPI est étroitement liée à celle de la nature politique de la justice pénale internationale en soi. Justice présentée comme celle des vainqueurs sur les vaincus. Justice inégale, puisque certains Etats sont en position d’accusateur qui les lave de tout soupçon et d’autres sont en position d’accusé et déjà reconnu coupables. Le simple fait d’apparaître devant une cour internationale de nature pénale est reconnaissance de culpabilité sur la scène internationale. Comme nous l’avons vu encore récemment avec le TPI pour l’ex-Yougoslavie.
La CPI devait revenir sur cette politisation en créant une assemblée générale où tous les Etats sont sur un pied d’égalité et décident de la conduite à suivre. La théorie est belle, la réalité très différente. Car à la CPI comme ailleurs, tous les pays n’ont pas le même poids, certains sont plus égaux que d’autres. Les mécanismes politiques ne restent pas aux portes des institutions, ils sont portés par les hommes qui y siègent. Et la CPI se trouve coincée dans un paradoxe dont elle ne peut sortir: être un élément de la politique internationale ou devenir insignifiante. Elle doit traiter des crimes les plus graves (génocides, crimes de guerres, crimes contre l’humanité), des crimes retentissants, qui ne peuvent rester en marge de la politique internationale, surtout à l’époque de l’interventionnisme à tout crin.
L’on peut compter, au minimum, trois niveaux de politisation de la CPI:
- La CPI est censée être objective, car son rôle se résume à poursuivre juridiquement des “criminels” et c’est tout. Mais le problème est de savoir quels criminels et quels crimes vont retenir l’attention de la CPI, comment seront-ils choisis et quels crimes et criminels resteront systématiquement dans l’ombre. C’est ce choix – la Russie lui reproche de n’avoir rendu que 4 jugements – qui donne cette impression de justice à dimension variable, dont parle même le président de cette institution.
- Théorie cosmopolitique: F. Megret, chercheur à la McGill University, souligne le caractère missionnaire de l’institution. La CPI est liée à l’idée d’un Etat global, fondé sur un panel de valeurs, largement inspirés des droits de l’homme. Conception qui entre dans le cadre du processus de “desétatisation” et de globalisation que nous voyons à l’oeuvre à différents niveaux, processus qui utilise le droit comme une des armes de réforme des sociétés. Cela pourrait faire sourire si l’on n’avait sous les yeux le cri du coeur lancé par le Président de cette Cour:
«la Cour traverse un sale temps. On ne peut pas nier que c’est un moment difficile, mais je suis optimiste, je crois aux vertus d’un dialogue constructif au sein de cette assemblée». Dénonçant lui-même une «justice à géométrie variable», le président de l’Assemblée a émis la volonté de «réformer la gouvernance mondiale».
- Le Conseil de sécurité de l’ONU a pouvoir de saisir la CPI, notamment lorsque le pays concerné n’est pas parti. Ce fut par exemple le cas du Soudan en 2005. La question du financement de l’enquête contre Kadhafi a également été soulevée. Rappelons, que ni la Chine, ni la Russie, ni les Etats Unis n’ont ratifié la Statut de Rome fondateur de la CPI, mais ils peuvent utiliser le Conseil de sécurité pour saisir la CPI, influencer sur sa politique et ses enquêtes. Le retour de la Russie sur la scène internationale bloque de facto ce mécanisme, car elle peut opposer son veto, par exemple lorsque les Etats Unis voulaient que la CPI enquête sur Assad et ses crimes, sans un mot sur les atrocités commises par les terroristes et les “opposants modérés”.
Il est difficile de considérer cette CPI comme une juridiction, vue le caractère extrêmement sélectif de son activité et le niveau de ses rapports annuels. Son caractère intrinsèquement politique, contre lequel elle ne peut rien faire: la CPI est un élément de la gouvernance mondiale, qui implique une vision unifiée du Monde et un centre de commandement unique. C’est cette vision du monde qui est impossible si l’on reconnaît la souveraineté comme élément constitutif de l’Etat, si l’on défend la vision d’un monde multi-polaire. En sortant de la CPI, la Russie ne fait qu’entériner un fait établi.
Karine Bechet-Golovko,
docteur en droit public, maître de conférences, analyse politico-juridique sur la Russie
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