S’il est flagrant que l’UE se fait régulièrement avoir par l’Empire thalassocratique qui est parvenu à la coincer de deux façons – et via le conflit ukranien et via les flux migratoires torrentiels, sponsorisés et grandement encouragés en sous-main – il est non moins flagrant que la Russie est elle aussi dans le collimateur, également de deux façons: sans surprise, via la fausse impasse ukrainienne et, cette fois très clairement, via le dossier syrien.
Voici quelques éléments d’analyse permettant de valider la thèse cinglante de Gordon Duff, vétéran de la guerre du Vietnam, co-rédacteur en chef et président du conseil d’administration de Vietnam Today, selon lequel il s’agirait de confronter Russie et OTAN sur l’échiquier syrien avec l’implication de la Turquie, membre de l’OTAN et candidate (sporadique) à l’entrée dans l’UE. Le terrain d’action y dépasse la relativement humble échelle donbassienne puisqu’en l’occurence c’est tout le Levant et l’Irak qui sont concernés. On l’a vu et revu, les FAU sont assez désarmées face aux FAN, forts avant tout de ce que leur adversaire n’a pas: une absence totale de choix – vaincre ou mourir – et une somme de convictions qui fait que le mouvement de résistance républicain est parfois comparé à celui de la guerre civile espagnole. Comme il n’y aura pas de Minsk-3 pas plus que de Minsk-2 en réchauffé, la Russie, garante du respect des accords de paix, aura légalement le droit d’intervenir ce qui ne sera pas le cas pour l’OTAN si le passage à l’acte résolu des FAU est avéré et démontré au vu et au su de la communauté internationale. Avec tous les systèmes de surveillance dont disposent notre modernité – satellites, drones, renseignement – plus tellement besoin des témoignages sélectivistes de l’OSCE pour démontrer ce qui est à démontrer. En ce sens, la diplomatie russe a su déjouer les multiples pièges que les USA lui tendaient depuis juin 2014 en plongeant Kiev dans un état de désarroi à peine dissimulable et Washington dans l’incertitude la plus totale. Le problème, c’est que ce dernier n’abandonne jamais. Pour continuer à vivre au-dessus de ses moyens, il lui faut transformer le pôle d’attraction russe en pôle de répulsion. En d’autres termes, le désaimanter tout en continuant à morceller les zones à exploiter.
Déjà en août 2012, le Figaro évoquait l’éventuelle création d’une zone tampon en Syrie. Les arguments avancés étaient alors d’ordre humanitaire l’afflux de réfugiés ne cessant évidemment de croître. L’idée muta par la suite en projet de création d’une zone d’exclusion aérienne à la frontière turco-syrienne, à l’image, je présume, de ce que fut un projet similaire mis à exécution en mars 2011, en Libye, et qui permit à l’OTAN de bombarder tout son soûl un pays prospère dont il ne reste plus rien. Zone d’exclusion aérienne ou pas – un projet repoussé aux dernières nouvelles – on sait maintenant que la création d’une zone tampon est inéluctable. Selon un responsable militaire américain récemment interrogé par AFP, il serait question d’un soutien militaire et logistique aux “partenaires au sol des USA”, c’est-à-dire, l’on croirait tomber des nues, aux milices de l’ASL.
Primo, il est bien connu que la fameuse opposition modérée dont on nous rabâche les oreilles depuis plus de trois ans s’est soit reconvertie en “opposition” islamiste avérée dont al-Nosra fait partie, soit a rejoint les forces loyalistes. Nous en avons la confirmation à travers une assez récente interview de la révérende Mère Agnès-Mariam de la Croix, supérieure de Saint-Jacques le Mutilé, qui a même souligné que la majeure partie des combattants concernés avait fini par se fondre dans les rangs de l’armée arabe syrienne.
Secundo, il serait intéressant de savoir comment est-ce que des restes d’ASL se sont retrouvés au nord de la Syrie. Ces restes – car il y en a, en effet – sont tous parqués en Turquie et sont solidaires du panislamisme prôné par Ankara. Alors pour en revenir à cette sombre histoire de zone tampon, qui sont donc les alliés des USA? Comment se fait-il qu’Erdogan se livre à coeur joie et avec la bénédiction américaine au pilonnage et au bombardement du PKK, principale force de résistance anti-EI soutenue par son homologue syrien, le YPG? Comment se fait-il que l’Arabie Saoudite, allié privilégié des USA, ne soit pas invitée à rejoindre la coalition? Comment se fait-il que les frappes de cette même coalition conduise à une augmentation du nombre de djihadistes autour des zones visées les victoires sur l’EI les plus cruciales étant entre-temps remportées par l’armée syrienne? Et comment se fait-il, puisque nous y sommes, que la création de cette zone tampon coïncide avec l’avancée des troupes loyalistes? C’est à ce moment précis qu’Ankara et les States décident d’outrepasser le veto russe en lançant une opération au sol.
Rappelons que ladite décision est également ultérieure à la rencontre, le 10 août, de Poutine avec l’ambassadeur turc. On rapporte que le Président russe n’a pas été tendre vis-à-vis d’Erdogan dont il a dénoncé les liens de proximité avec l’EI. Réalité ou manipulation journalistique, il est certain que l’ancrage chronologique de ces deux évènements – rencontre Poutine/ambassadeur turc puis violation en cours du veto russe sur toute ingérence étrangère en Syrie – n’a rien d’aléatoire.
Nous savons que la Turquie suit à la lettre les instructions de Washington, cela d’autant plus que le pays est au bord de la guerre civile et qu’Erdogan craint de partager, au mieux, le sort de Ianoukovitch, au pire, celui de Kadhafi. Ce suivisme fort naturel a été récemment confirmé par la suspension du Turquish Stream, début août, et par le faux soutien de la Turquie à une coalition absolument fallacieuse, soutien visant en fait à masquer une ingérence terrestre projetée dans le nord de la Syrie.
La riposte russe ne s’est pas fait attendre. Selon al-Quds al-Arabi, journal londonien arabophone financé par le Qatar et dont les sources sont en général plus que fiables, Moscou a engagé la construction d’une deuxième base militaire en Syrie, base qui serait encore plus “sophistiquée” que celle de Tartous. Devrions-nous en être surpris? Je ne pense pas sachant déjà que 2014 fut marqué par des négociations tournant autour de ce projet. N’oublions pas que le communiqué de Genève ratifié en juin 2012 ne dit pas explicitement si oui ou non Assad devrait partir. Il serait d’ailleurs illogique qu’il l’indique sachant que seul le peuple syrien qui par définition est souverain – pas Washington, pas Riyad, pas Ankara ou Moscou ou encore Paris – peut en décider. Les présidentielles de juin 2014 ont confirmé qu’Assad devait rester. Or, nous y revenons, Genève prévoyait la mise en place d’un organe de transition comptant parmi ses membres et des anciens d’Assad et des membres de l’opposition. Nous savons pertinemment que ce propos n’a aucun sens en temps de guerre quand il en va de la survie d’un pays inondé de djihadistes. Qui plus est, l’élection d’Assad à une écrasante majorité (88%) deux ans après la signature de l’accord a lui aussi démontré qu’il n’y avait aucun sens à ce qu’un gouvernement de transition hybride soit crée ou alors il faudrait admettre que François Hollande avec ses 20% de moyenne générale devrait se plier aux mêmes exigences! On se retrouve donc propulsé dans un récent passé quand l’UE et les USA en tête n’envisageaient rien d’autre que la destitution immédiate et sans conditions du Président syrien entendant collaborer avec une opposition non-représentative au regard du score présidentiel de 2014.
Comme Assad n’a aucune raison de partir et que l’armée arabe syrienne remporte victoire sur victoire, il s’agit tout bonnement de détruire la Syrie. Avec l’aide de la Turquie et des ONG sulfureuses contribuant à piller les merveilles du pays. Au fait, voudrait-on nous faire croire que la chute de Palmyre a surpris ceux qui n’y ont vu que la défaite (très locale!) de l’armée syrienne? Comme si le suivi satellitaire effectué ne permettait pas de repérer les déplacements de l’EI et sa progression vers la perle du désert! Peut-être est-ce aussi en vertu d’un mauvais suivi (ou d’un don de voyance orientée?) que le journaliste Olivier Ravanello a écrit un article où il dépeint la chute du couvent Saint-Jacques le Mutilé qui par la grâce de Dieu est pourtant bel et bien sur place, fait confirmé par sa supérieure précitée, Mère Agnès-Mariam de la Croix.
En découlent deux constats:
– Poutine, quoiqu’ait pu supposer le journaliste Mike Whitney (voir “Poutine, est-il prêt à lâcher Assad?”, 14 août 2015), n’abandonnera pas son allié syrien qui était et reste le seul Président légitime de la Syrie. L’idée que le Kremlin encourage de nouvelles élections “libres et équitables multipartites” selon les termes de Genève n’a aucun sens celles-ci ayant eu lieu en 2014. On ne va tout de même pas recommencer le même manège tous les ans!
– Les USA, servis sur place par la Turquie, membre de l’OTAN et sponsor numéro 1 de l’EI, ont décidé de rattraper leur échec ukrainien par un regain d’activité déconstructive en Syrie sachant précisément que Poutine ne “lâchera” pas Assad.
Quelque chose de très grand va se jouer durant 2016. Ce sera notamment le cas si Mme Clinton accède au pouvoir.
Françoise Compoint
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