L’homo sapiens modernus aura tout vu : un Obama titulaire d’un Nobel de la paix, des sanctions contre la Russie suite au putsch sanglant de Kiev et au blocus économique du Donbass, des présentateurs comparant les crimes de l’EI à ceux d’Assad, la Turquie, meilleure alliée de Daesh, avec son chantage autour du robinet migratoire et l’UE, Moscovici en tête, impressionnés par le sultan pyromane d’Ankara … Bref, j’en passe. Voici maintenant venir Djamala. Une jeune fille comme une autre, bien faite de sa personne, plutôt belle voix, candidate à l’Eurovision 2016. Le personnage est en soi sympathique. Ce qu’elle a fait – oui, ELLE a fait, car nous sommes tous responsables de nos actes – l’est bien moins. De surcroît, l’appréciation qui lui a été donnée par les médias du mainstream atlantiste, commentaires de Mme James pour assaisonner le tout, est tellement révélatrice que l’on peut d’entrée en déduire plusieurs choses. Je progresserai de l’abstrait relatif au concret pur et dur.
- L’Histoire n’a plus aucune valeur. Ayant atteint son summum, la déconstruction prônée par le géant de la pensée post-moderniste, Derrida, passe au stade suivant. Celui de la réécriture vicieuse. Jamais l’Histoire n’a été tellement malmenée, jamais l’Homme n’a été tellement enfermé dans le Mensonge. C’est à en revenir à la prophétie de Saint Jean, 8:32, Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous affranchira. Si nous sommes projetés en-deçà de l’Histoire, nous ne pouvons rester longtemps suspendus dans le Vide. Une autre ère s’annonce donc. Nous devrions voir laquelle dans le courant de 2017.
- Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise idéologie. Il y a celles qui servent l’Ordre mondial, celles qui le dérangent et celles qui attendent leur heure. Le bandérisme, à l’heure qu’il est, est une idéologie opportune. Il suffit juste de prouver que les milices ultra-nationalistes ukrainiennes n’en sont pas, qu’un chat n’est pas un chat, et que la réalité n’est que le produit de l’arbitraire politique.
- La sottise des masses est une condition sine qua non au maintien d’une certaine stabilité dans les sociétés occidentales. Il ne s’agit pas d’une question d’études. La majeure partie de mes connaissances russes dites libérales ont soutenu Djamala sans analyser les raisons de sa nomination. Ces gens-là ont fait pour la plupart de brillantes études. Ils ne sont pas vraiment politisés si ce n’est que pour eux tout ce qui n’est pas russe est par définition préférable à ce qui l’est. Complexe d’infériorité inné ? Allez savoir.
- L’hypocrisie est une vertu essentielle si l’on veut rentrer dans les bonnes grâces des féaux du Nouvel Ordre. Djamala confirme la règle.
Mon collègue, L. Courtois, avait évoqué dans un récent article les raisons réelles de la déportation des Tatars de Crimée. Inutile donc de revenir dessus si ce n’est pour asseoir, une fois de plus, le point numéro 2 sur l’instrumentalisation des pires idéologies. Je m’en tiendrai quant à moi aux faits, gros comme des maisons, qui barbotent à la surface.
- De un, Djamala a certainement dû se tromper de public. En sa qualité de pleureuse, elle était censée rappeler au public occidental les abominations du régime stalinien vis-à-vis des Tatars criméens. Poutine étant associé au nouveau Staline, voire au nouvel Hitler par d’influents représentants de la pensée politique occidentale, on revient à la même rengaine, aux mêmes insinuations entretenues, on le sait de source sûre aujourd’hui, par le Mejlis islamiste du terroir dont les activités, en partie sponsorisées par la Turquie néo-ottomane, viennent d’être suspendues. La chanson s’intitule « 1944 ». Staline avait peut-être été aussi « cruel » avec les collabos tatars de l’époque que les autorités de la péninsule le sont avec le Mejlis actuel, il n’en demeure pas moins que la Crimée était RUSSE à l’époque. Quel rapport y voir alors avec l’Ukraine que Djamala pensait représenter ? Je ne pense pas que cet anachronisme soit anodin. Derechef, il tient au mépris obstiné et contre-nature de l’Histoire comme il tient à l’ignorance crasse du grand public.
- De deux, la Russie étant de jure le successeur de l’URSS, Poutine avait présenté des excuses officielles aux Tatars autochtones juste après le retour de la Crimée dans le giron russe. La provocation de Djamala est tout sauf gratuite. Elle sert les intérêts d’une fange islamiste séparatiste alliée au sultanat potentiel de Turquie. Cette coalition sulfureuse a crée la bien nommée brigade islamique internationale localisée à Kherson. J’irais donc encore plus loin en constatant que ce qui s’est fait dans les coulisses de l’Eurovisionavoisine l’incitation au terrorisme.
- De trois, en 1957, soit trois ans après l’étrange octroi de la Crimée à l’Ukraine, Kiev s’est officiellement opposé au retour des Tatars déportés. Je propose de rajouter un couplet supplémentaire sur cet aspect ô combien touchant des relations tataro-ukrainiennes.
Je n’aime pas les arguments ad hominem mais ils sont parfois, hélas, incontournables. Pourquoi ? Parce qu’à travers son « 1944 » déplacé, Djamala s’en est pris à chaque Criméen qui a dit « oui » au referendum de mars 2014. Nous apprenons ainsi, confirmation de Viatcheslav Nikonov, président du comité de la Douma chargé de l’éducation nationale, à l’appui, que les deux parents de Djamala habitent Alouchta, une ville de Crimée située entre Simferopol et Yalta, qu’ils ont voté pour le retour de la péninsule au bercail et qu’ils sont tous deux titulaires du passeport russe. Tous deux jouissent du programme d’aide sociale et économique réservé aux Tatars réhabilités et dont ces derniers ne jouissaient pas lorsque la Crimée était ukrainienne. Les parents de Djamala se rendent régulièrement à Kiev sans que les autorités « totalitaires » de la Crimée ne s’intéressent à leurs déplacements. Ces mêmes autorités sont d’ailleurs tellement totalitaires qu’elles ont proposé la nationalité russe à leur fille, fait repris par le Huffington qui n’en est pas à sa première incohérence près quand il évoque simultanément la « bienveillance » de la Crimée vis-à-vis de cette demoiselle censée incarner l’ensemble des Tatars du pays et la réaction « horrifiée » de ces derniers suite à une annexion qui leur rappellerait les horreurs de 1944. Faudrait savoir.
Lors de l’Eurovision 2009, les Russes avaient enlevé une image de fond accompagnant la chanson de la candidate arménienne celle-ci montrant un monument arménien érigé dans le Haut-Kharabakh et rappelant le différend territorial sanglant qui avait confronté et confronte encore l’Azerbaïdjan à l’Arménie. Bakou en fit la demande pressante. Moscou, organisateur à l’époque du concours, s’exécuta aussitôt. La vocation de l’Eurovision est de réconcilier au-delà du politique. Sa visée n’est aussi en aucun cas lucrative même si des sommes énormes sont déboursées à la base. Or, le ministre des finances a proposé de vendre la place de Djamala pour 50 millions d’euros afin de pouvoir couvrir, selon le mot du politologue ukrainien Viatcheslav Koftoun, d’éventuelles dépenses que l’on imagine sans peine militaires des armes lourdes et une importante concentration de FAU ayant été aperçues par l’armée républicaine aux frontières de la RPD.
Comme quoi, Djamala restera sans doute dans l’Histoire. Pas tant en sa qualité de chanteuse qu’en sa qualité de marionnette au service d’un Ordre qui la dépasse. Elle n’est pas seule. Ceux qui s’amusent à « désoviétiser » en rebaptisant la ville de Dniepropetrovsk en Dniepr – voilà ce qui arrive quand on a trop de sous – oublient que le principal héritage soviétique de l’Ukraine, c’est l’Ukraine elle-même. Comme ils oublient que l’Eurovision n’est pas un concours politique et qu’une chanson consacrée aux atrocités de Bandera refroidirait vite fait bien fait des ardeurs malencontreuses, voire totalement déplacées.
Françoise Compoint
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