Voilà une heure que je me trouve à Donetsk, l’artillerie fait entendre sporadiquement sa voix. L’écho de chaque coup de canon donne l’impression que deux coups ont été tirés, l’onde de choc vient se fracasser sur les hauts bâtiments de la ville et emplir de son sinistre carillon l’ensemble de la ville. Nous sommes cinq serrés dans une voiture et nous roulons à vive allure pour rejoindre les endroits touchés par les combats durant les grandes batailles d’avant la trêve. Un chauffeur un large sourire aux lèvres nous conduit, Vyacheslav est caméra au poing, Svetlana et Kristina m’accompagnent micro et appareil photo en mains.
Notre première étape est le musée d’archéologie et de paléontologie de Donetsk. Il fut créé en 1924 et était riche de belles collections. Toute la région minière assurait des trésors inestimables à ses expositions, sans compter la riche histoire antique des pourtours de la Mer Noire et des rives du Don qui furent très tôt écumés et colonisés par les Grecs anciens. Ce musée est pourtant partiellement une ruine. Par trois fois il fut bombardé, cible privilégiée des Ukrainiens à coup de missiles. Je regarde attristé le résultat, me demandant pourquoi. Devant le musée une série de kiosques qui abritaient des vendeurs de rien ont été partiellement détruits par les explosions. En face de l’autre côté de la rue, les façades des grands immeubles d’habitations sont criblés d’impacts, les vitres furent toutes soufflées, des gens sont morts ici. Nous pénétrons dans l’enceinte, la directrice nous accueille, modeste et humble, nous faisons le tour du désastre. Dans les sous-sols tout a été détruit. Le squelette d’un mammouth survivant du bombardement est préservé dans la cave, le plafond est éventré, les pièces de collection gisent çà et là. Je sais ce que cela veut dire, mon père paléontologue et collectionneur de longue date m’a emmené depuis ma tendre enfance à la recherche de ces trésors.
Nous repartons presque silencieux, la directrice a répondu à mes questions en déclarant « qu’elle n’éprouve point de haine pour les Ukrainiens, que leurs écoles dans le Donbass continuent à enseigner la langue ukrainienne comme capital commun, mais qu’elle ne comprend pas ceux de l’Ouest, cet acharnement ». Sa grandeur d’âme m’impressionne, dans la rue des dizaines de chats et de chiens faméliques sont en errance. Ils ont été terrifiés par les bombardements, ils ont fuient ou ont été abandonnés. Ils rappliquent affamés et réclament tendresse et affection. Dans le hall, une assiette de croquettes montre que les employés font de leur mieux pour sauver aussi les animaux victimes de la folie des hommes. Nous remontons dans la voiture et nous continuons plus loin. Les rues sont désormais désertes, nous nous dirigeons en direction de l’aéroport. Je ne le sais pas encore mais nous sommes à 500 mètres de lui. Ici c’est un peu Beyrouth, les immeubles sont constellés d’impacts d’obus, d’éclats et de balles. Au sol gisent de nombreux débris, les fils électriques sont hachés. Le spectacle est terrifiant, les tirs sont très proches et presque « palpables ».
C’est l’entrée du pont de l’aéroport au bout de la rue. Nous n’avons pas le droit de filmer ici, c’est trop dangereux, ni de prendre des photos qui ne manqueraient pas d’attirer les snipers. Pourtant, flanqué de Kristina et de Svetlana nous entamons la montée du parapet. Deux bunkers improvisés sont à son sommet, le pont a été détruit en son milieu et passait au-dessus d’une voie de chemin de fer. Le décor est cataclysmique, nous pouvons voir l’aéroport au loin, vaste ruine où s’enchevêtrent poutres, débris, blocs de bétons et matières presque inidentifiables. Les tirs continuent, je remarque des boîtes de munitions, les panneaux indicateurs sont fauchés et criblés, des pièces métalliques gisent au sol, débris de munitions, de pièces automobiles ou d’asphalte pulvérisé. L’impression ressentie en ce lieu est indescriptible. Nous sommes en vue de l’aéroport de Donetsk, le lieu le plus emblématique des terribles combats de l’hiver 2014-2015 avec le chaudron de Debaltsevo. Dans mon for intérieur, je ne peux y croire. Mes accompagnatrices s’inquiètent soudainement de mon appétit, voilà en effet presque deux jours que je voyage, mais je ne puis avoir faim, malgré que je n’ai pris aucune collation depuis le matin. Nous sommes déjà en fin d’après-midi. Comment pourrais-je penser à mon ventre trop repus de Français dans un tel décor, ponctué des salves d’artillerie et en sachant qu’ici des milliers de personnes mangent tout juste à leur faim ?
Je décline l’invitation, je veux tout voir, je veux poursuivre, je veux voir les gens et leur parler. Svetlana et Kristina me sourient, j’y réponds poliment mais au tréfonds de moi-même mon âme n’est pas à la fête. Je m’étais demandé si en cet instant fatidique d’un danger toutefois bien relatif, le courage des volontaires nationaux de la République de 1791, serait aussi le mien. Je n’ai pas peur, le calme et une immense mélancolie m’habitent. Dans ce lieu dévasté où tant d’hommes sont tombés, entourés de mes hôtesses nous nous en retournons. Je déclare stupidement que personne ne me croira en France, que j’étais ici. Mais immédiatement j’en viens à la pensée qu’en réalité, cette fierté déplacée est tellement insignifiante, qu’après tout cela est totalement égal. Vyacheslav nous attend en contrebas, le silence à cet instant occupe lourdement l’atmosphère. Je pense sans pouvoir m’en défaire à ce que ma plume a écrit dans mon premier livre jamais paru La Fournaise, récit de poilus de la Grande Guerre. En quelques heures de voyage je pouvais sentir et connaître l’amère sensation du champ de bataille après le combat, et pourtant moi-même je n’étais rien, pas même un combattant.
Redescendus lentement jusqu’aux bâtiments insultés et éventrés, j’entendais Kristina me dire que des gens vivaient encore dans ces ruines. Les bras m’en tombaient alors que nous nous dirigions d’un pas alerte vers le bloc d’habitations. Le courage de ces gens, décidément me renversait encore et encore. Dans la France lointaine, quelques heures avant je traversais un pays paisible et s’avançant dans la douceur du printemps vers des heures ensoleillées. J’en éprouvais un profond dégoût, l’image de mon pays assoupi et geignard, rassasié et aveugle envahissait mon esprit. Suite au prochain article…
Laurent Brayard
- Будь в курсе последних новостей и интересных статей, подписывайся на наш канал «NovorossiaToday»
- Be aware of the current events and interesting articles, subscribe to our channel «NovorossiaToday»
- Pour ne rien manquer de la derniere actualite et des articles interessants, suis notre chaine Telegram en direct«NovorossiaToday»