Dans un précédent article nous racontions nos premières impressions dans la ville martyre de Donetsk. Alors que nous redescendions du parapet du pont détruit menant directement à l’aéroport de la ville, je fus surpris d’apprendre par l’équipage de tournage qui se trouvait avec moi, que des gens vivaient encore si proches du front dans ces immeubles désormais délabrés et criblés d’éclats d’obus et de balles. L’équipe n’avait peut-être pas prévu que nous poursuivions nos investigations, mais Vyacheslav, Kristina et Svetlana qui m’accompagnaient se prêtèrent volontiers au jeu. Je voulais parler à ces gens, je voulais connaître leurs impressions, entendre leurs témoignages.
Et je ne fus pas déçu, à peine avions-nous rejoint notre voiture qu’une première grand-mère d’un âge plus que vénérable se montra au loin. Dans le décor des destructions sa présence paraissait totalement irréaliste. Ma surprise fut grande lorsque l’ayant rejoint elle nous déclara « qu’elle était pour l’Ukraine unie, contre la Novorossia, contre la Russie et qu’elle ne regardait que les informations ukrainiennes ». J’en restais bouche bée pour plusieurs raisons. Les gens du Donbass me donnaient ici une nouvelle preuve de la tolérance et de la démocratie dont ils étaient capables. C’est avec émotion que je comprenais que cette femme, dont le mari fut bientôt à ses côtés, pouvait exprimer un avis contraire à l’immense majorité des habitants du Donbass devant un canal public de télévision. Je ne pouvais m’empêcher de penser aux opposants au régime de Kiev, qui en Ukraine étaient inlassablement persécutés, massacrés, enlevés, assassinés. Les exemples sont innombrables, le plus terrible restant celui du massacre d’Odessa du 2 mai 2014. Mais Odessa ne fut pas la seule ville théâtre des persécutions politiques et ethniques, partout en Ukraine, à Marioupol, à Dniepropetrovsk, à Kharkov, à Zaporojié et ailleurs, ceux qui n’exprimaient pas leur soutien à la Révolution brune de l’Euromaïdan étaient persécutés. Par la suite je ne rencontrais plus aucun habitant qui exprima cette opinion, mais je pouvais méditer que malgré la haine, malgré la guerre, malgré le blocus, la souffrance et la faim, ces gens qui entouraient ce couple âgé avaient respecté à la fois leur âge, leur intégrité physique et leurs convictions. Quel exemple extraordinaire qui donnait en ce lieu particulier finalement beaucoup d’espoir, l’espoir de la paix.
Juste en face de l’immeuble où résidaient ces personnes, nous constations vite la présence d’une femme d’un âge moyen à son balcon. Le décor était peut-être ici plus incongru, des débris multiples gisaient ici et là, une partie des balcons s’étaient effondrés touchés par des tirs, tout le bâtiment semblait avoir beaucoup souffert de la bataille. Perchée au 3e ou 4e étage, nous entamions la conversation vite chaleureuse. Cette femme était une invalide. Elle n’avait pas quitté son appartement parce qu’elle ne le pouvait pas et surtout ne le voulait pas. Très simplement et en nous souriant, elle nous déclara croire en la victoire de la Novorossia, qu’elle n’avait pas peur, que Dieu en toute circonstance la protégerait. Je n’imaginais pas à ce moment quelles souffrances incroyables elle avait vécu en ce lieu totalement ravagé depuis les premiers assauts ukrainiens. Je ne devais pas tarder à l’apprendre lorsqu’elle nous indiqua qu’un peu plus loin vivait une autre grand-mère âgée. Nous fûmes surpris de la trouver en compagnie de volontaires sociaux. Ces citoyens de la ville écument les quartiers pour soutenir toutes les personnes isolées, leur apportant nourriture, soutien moral, présence et ce jour-là même des fleurs ! Quel magnifique exemple de solidarité dont nous sommes déjà presque incapables. Rappelons-nous l’effroyable hécatombe de la canicule de 2003… C’est avec une vivacité et une fraicheur étonnante que Margarita, âgée de 79 ans nous ouvrit en grand les portes de son appartement.
A peine étions-nous entrés que nous nous trouvions immédiatement dans un corridor encombré par un lit. La vieille femme dignement nous expliqua bientôt qu’elle dormait ici, l’endroit le plus sûr de son appartement situé au rez-de-chaussée. Elle dormait donc sur ce matelas directement posé au sol depuis au moins six mois. Son récit fut particulièrement émouvant, elle était heureuse de nous voir, dans un russe parfait elle nous expliqua avoir été une professeure de physique et mathématiques, née ici dans le Donbass, ayant travaillé durant l’Union soviétique en Yakoutie et retournée ensuite dans sa terre natale. Sa voix claire et nette était ferme et décidée. Avec des mots forts elle nous raconta comment elle avait vécu ici seule durant la bataille et jusqu’à ce jour. A la question de pourquoi n’était-elle pas partie, elle répondit « mais pour aller où ? Mon mari est mort, je suis veuve, mes enfants sont morts, ici c’est chez moi, c’est mon appartement ! ». Je ressentais une force dans cette femme qui continua en nous racontant la bataille, les projectiles passant au-dessus de son immeuble par centaines chaque jour qui passaient. La peur alors que toutes les vitres avaient été soufflées, les premières bombardements, tous les habitants entassés dans les recoins des appartements du rez-de-chaussée ou les caves. Et puis le froid glacial pendant des semaines, par – 20 °C sans fenêtre, emmitouflés et couchés dans ce corridor sombre. Bientôt tous les occupants avaient fui, ils ne restaient plus que Margarita et cette femme invalide.
Dans l’antichambre de la mort, elles vécurent en cuisinant dehors sur un feu, un peu de kacha, la bouillie de céréales « parce que c’est tout ce que nous avions, que c’est simple et rapide à faire ». Chaque jour le même rituel, aller chercher de l’eau non loin de là pour se nourrir et se débarbouiller, vivre sans eau potable, sans électricité, sans chauffage. Margarita expliqua ensuite la violence des combats : les murs qui tremblent, les rideaux qui oscillent à cause de la puissance des souffles des explosions. Certains jours pendant des heures. Dans ces temps sombres de détresse, je voyais que la vieille femme avait gardé l’énergie nécessaire. Elle ne nous parlait ni avec haine, ni avec emphase, ni avec tristesse. Une ferme résolution l’habitait, l’épreuve ne l’avait pas brisé. Elle nous dit toutefois modestement « qu’il est incroyable qu’elle ait survécu », nous pouvions le croire aisément à voir son univers, elle vivait en permanence avec la mort et la guerre comme voisines. Son récit devînt intarissable, nous sourions tous devant elle, elle se trouvait en cet instant tellement émouvante. C’était l’âme d’un peuple qui parlait. Lorsqu’enfin nous pûmes la quitter, Vyacheslav avait le bras en compote, il avait porté une lourde caméra directement sur l’épaule pendant de longues minutes. Nous quittions la vieille dame, elle désirait une photo de moi avec elle. Je me prêtais à cet exercice avec la plus grande joie, elle pouvait être ma grand-mère, j’aurais été fier qu’elle le soit. Alors que cela ne se fait pas du tout dans la culture et les mœurs des Slaves, des Russes, je demandais à l’embrasser sur les deux joues comme en France. Dans nos regards brillants il y avait beaucoup d’émotions.
Nous quittons ce lieu qui fut infernal et marchons vers notre voiture. Nous embarquons alors que Vyacheslav ne cesse de me filmer. Kristina m’interroge, elle veut connaître mes impressions, lorsque je ne comprends pas Svetlana vient à son aide. Dans cette voiture, devant la caméra et le micro, les émotions ont été trop fortes. Elles sont entrées en moi comme des poignards. Je pense à toute la propagande ignoble des médias français, à la trahison des idéaux de la République et des Lumières. Nous sommes coupables en France de ce que j’ai vu, c’est en pleine détresse que les questions de Kristina me trouvent. Les larmes montent que je réprime difficilement, il en coule quelques-unes. Un silence pesant s’installe dans l’habitacle de l’automobile. Que puis-je donc leur répondre ? Que la France a participé à l’achat de munitions et de matériels par le biais des milliards donnés à Porochenko par l’Union européenne ? Que puis-je dire de l’infamie que je ressens, de la honte non pas d’être Français, mais de nos politiques, de cette France officielle ? Elle est coupable de ce massacre, elle n’a rien fait ou presque, seulement nier ces gens, nier le Donbass pour ne parler encore et encore que de la Russie et de Poutine. Durant tout mon voyage pourtant je ne verrais pas un seul soldat russe et n’entendrait à aucun moment ou rarement parler de Poutine par les insurgés. Alors mes larmes coulent, ma voie enrayée s’éteint, je ne sais pas si mes trois compagnons ont compris, s’ils comprennent. Je pleure de rage et de honte, ai-je moi-même assez fait pour eux ?
Laurent Brayard
2 Comments
Tom Winter
I have translated this moving report into English. It is posted here:
Drago
Cette brave dame serait moins enthousiaste si elle savait que l’Ukraine est simplement considérée –à défaut de devenir un Etat Vassal–… de chair à canon contre la Russie. Vous voyez le canon ?…. vous voyez la cible ?… l’Ukraine c’est le boulet tiré sur la cible et qui doit se désintégrer en explosant et faire le plus de dégâts possible.
Elle serait d’autant plus déçue si elle savait que l’Ukraine n’intéresse personne… tout comme Netsov n’intéressait personne non plus mais était également bien plus utile mort que vivant.
Il est clair dès le départ que l’Ukraine était considérée comme “sacrifiée”… car personne n’avait jamais rien prévu pour son intégration, ni dans l’UE ni dans l’OTAN. Comment cela aurait-il pu être possible en étant en guerre (c’est contre les règles d’adhésion). Les bataillons nazis ne ce sont pas formés après… ils étaient déjà prêts… on les a vu sur le Maidan !! L’Ukraine, quoiqu’il arrive, même avec l’assentiment de la Russie,… DEVAIT ENTRER EN GUERRE !! TOUT ÉTAIT PRÉVU !!… de ce fait, en guerre, elle était exclus de facto de pouvoir intégrer l’UE… donc “sacrifiée d’avance”.
L’Europe beuglait sur la condamnation et l’emprisonnement de Timochenko, voulant également se servir de ce prétexte pour fomenter le désordre et le chaos. Timochenko a été libérée… et alors ?…. et alors personne n’en a plus rien à foutre d’elle…. comme ce sera le cas de l’Ukraine aussi après qu’elle ait bien servi.
Et pour finir, l’Occident n’excelle que dans des opérations éclairs. Mais quand ça s’éternise, que ça dure des mois…. il s’essouffle, en “crachant ses cigarettes” comme on dit. C’est la différence entre un sprinter et un coureur de fond. L’Occident n’est pas un coureur de fond.
Il faut éterniser l’OTAN dans le nord pendant que le reste du monde se reconstruit sous son nez. Elle ne peut pas affronter plusieurs fronts à la fois dans plusieurs guerres. Elle doit forcément abandonner certaines positions ou sinon trop se disperser.
L’OTAN voit le Proche-Orient lui échapper… mais ne peut pas abandonner ses positions actuelles. Et c’est très bien ainsi.
Du coup, l’OTAN demande la participation de la Russie pour lutter à sa place au Proche-Orient. Vous voyez ce que je veux dire ? l’OTAN est coincée sur ses positions. Ne vous laissez pas piéger par l’attaque bidon de l’Ambassade pour vous forcer à participer. La Russie n’a pas à faire le sale boulot de l’OTAN… pendant que celle-ci magouille des intrigues à ses frontières. Observez et ne participez à rien quoiqu’il advienne et ça s’effondrera tout seul. Ce n’est qu’une simple question de temps…. certainement en fin d’année.