Jamais la conjoncture proche-orientale n’a été si sérieuse que ces derniers jours. Le représentant officiel des Etats-Unis John Kerry a conseillé à la Russie « sinon d’agir au moins de se taire » ! Littéralement cela sonnait de façon encore plus crue le « shut up » américain se traduisant parfaitement par « la fermer » !
Force nous est de constater, que les Etats-Unis ont perdu tout leur sang-froid et contenance se réfugiant derrière les réflexes hystériques à outrance. La Russie, quant à elle, continue, tel un bulldozer, de niveler le terrain syrien déclinant toute responsabilité les cartes des opérations aériennes étant strictement conformes aux zones fixées par les Américains, l’Etat-major russe dixit.
Pour cette raison,samedi dernier, les grands observateurs russes, comme Kissilev, claironnaient victoire à tue-tête…Pour moi, la situation est encore plus brouillée et obscure qu’elle ne l’ait été il y a quelques jours. C’est que, avec l’arrivée des Sukhoi 34 (génération 4+++) sur le tarmac syrien et l’utilisation des missiles de croisière lancés à partir des bâtiments se trouvant dans la mer Caspienne avec un Effet Circulaire Probable de frappe de moins d’un mètre de précision, la Russie a prouvé et obtenu une suprématie absolue dans les airs.
Le brouillage électronique a, lui aussi, fait ses preuves ce qui aurait permis de contrer la préparation d’une attaque américaine contre la côte syrienne. Les Russes auraient testé leurs engins de brouillage sur les bateaux américains ce qui a mis toute l’artillerie de bord US hors d’état de nuire. Les mauvaises langues disaient que même les toilettes des bateaux américains avaient des pompes à commande électronique. Comme résultat, elles ne fonctionnaient plus sur les unités US ce qui obligea les capitaines de ces bateaux d’adresser une requête aux capitaines des bateaux russes leur demandant d’arrêter l’opération « pour que les gars puissent aller aux chiottes » !
Avec tout ce que cela comporte de comique, la situation peut s’avérer extrêmement dangereuse pour la Russie. Les Américains sont aux abois dans la région méditerranéenne. Ils ont perdu toute initiative et se font accuser de tous les maux. Certaines têtes brûlées poussent leur insolence jusqu’à les incriminer de l’organisation des flux migratoires en Europe.
En même temps, au Proche-Orient, l’histoire de l’avion russe abattu par les Turcs a fait long feu, car Moscou n’a pas bronché face à la provocation d’Erdogan. Mais les Russes ont fait entendre qu’à la prochaine provocation ils agiront de façon musclée et énergique. C’est justement bien là que le bât blesse !
Il va de soi qu’Erdogan a du mal à se tirer de ce mauvais pas. Le président turc fustige les Russes (ensemble avec les Américains) parce que Moscou a décidé d’épauler les Kurdes. Or un tiers de territoire de Turquie orientale est composée des terres historiquement kurdes. Si la Syrie recouvre toute la plénitude de sa souveraineté, les Kurdes syriens pourraient soutenir leurs frères en Turquie en lançant des opérations à partir du territoire syrien.
La Turquie pâtirait alors d’un retournement de situation : plus de pétrole en provenance de la Syrie, perte totale d’influence et de contrôle sur le sol syrien, soulèvement kurde dans le sanctuaire turc, problèmes sur la frontière irakienne où Erdogan s’est octroyé le droit des purges ethniques contre les mêmes Kurdes ! Enfin, pour comble de malheur, Erdogan serait en passe de perdre la mise politique : s’il ne l’emporte pas sur Bachar el-Assad, il pourrait très bien se faire accuser par les modérés du Parlement turc d’entraîner Ankara dans la tourmente politico-militaire sans fin.
Comme nous voyons, le Président turc est poussé dans ses derniers retranchements et peut tenter une opération en désespéré. Ses déclarations insensées sur l’éventuelle renaissance de l’Empire Ottoman, sa prise de position sur la Crimée, son soutien livré au Kosovo, ses tentatives d’assistance qui serait accordée aux groupuscules islamistes sur le sol russe, en font un homme dangereux et irresponsable. Qui plus est, les Américains lui auraient préparé le terrain en déclarant qu’au cas où il y aurait une provocation militaire de la part de la Turquie, l’OTAN ne pourrait pas en être tenue pour responsable. Tout le monde en a jubilé en croyant que Washington aurait muselé Ankara. Cependant, la même situation pourrait être perçue sous un autre angle : les Etats-Unis savent qu’après avoir abattu le chasseur-bombardier russe, Erdogan a franchi le Rubicon pour lancer une escalade militaire contre Vladimir Poutine. Donc Washington met à l’avance ses intérêts à l’abri en se lavant de tout soupçon de complicité.
Voyons maintenant comment les Turcs pourraient procéder. Il y a 8 jours, Erdogan a dit qu’il considérait une manoeuvre de l’armée turque sur le sol syrien attaqué déjà par Ankara à coups de mortier et avec ses maquisards turcomans. Eh bien, si le président de Turquie ose une attaque de base militaire russe, l’effet serait imprévisible. La Russie a-t-elle vraiment les moyens d’arrêter les Turcs s’ils décident de détruire l’aérodrome militaire russe ? En fait, la Russie s’est bien préparée et ses troupes au sol se sentent épaulées par la marine nationale qui croise le large des côtés syriennes ou mouille à Tartous. Seulement la Turquie agirait à côté de son territoire métropolitain et avec tout le soutien logistique de l’OTAN (qui, rappelons-le, officiellement ne serait pas dans le coup mais se rangerait automatiquement derrière la Turquie).
Si la base militaire russe disparaissait, viendrait le temps des représailles, car Vladimir Poutine serait pris dans l’engrenage de l’inévitable. Il ne pourrait pas ne pas répondre à l’agresseur sinon il courrait le risque de perdre la face au Proche-Orient et perdre la popularité de ses électeurs dont l’armée, à l’intérieur de la Fédération de Russie. Cela signifierait un scénario de guerre entre la Russie et la Turquie avec les Américains comme bénéficiaires et commanditaires du conflit. En fait, les Américains rêvent de la répétition du scénario afghan avec une Russie enlisée et encrottée jusqu’aux yeux dans un conflit pouvant heurter de plein fouet la stabilité du pouvoir à Moscou.
Ce plan machiavélique parfaitement réel pourrait bien être mis sur le tapis au cours des quelques jours à venir. Autrement dit, le monde n’a jamais été aussi proche du dégringolade dans un conflit régional généralisé avec toutes les variantes et incertitudes que cela puisse amener.
Alexandre Artamonov, Radonezh.ru
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