Et oui ! En tout cas, si l’on en juge par les récents reportages diffusés sur Canal+ (Les masques de la révolution) et sur France 2 (Syrie : le grand aveuglement), comment ne pas s’apercevoir que le mainstream médiatique français – ô combien attaché aux pratiques politiques de vigueur – connaît une fort intéressante période de dédoublement qui va très-très loin sachant que le nom d’Assad est associé à tous les Méphistophélès de la planète et que le Maïdan n’a jamais été qu’une révolution démocratique qui promettait mais qu’une intervention russe tout à fait incongrue a cyniquement contrarié. Or, voici que Paul Moreira a réalisé un immense travail d’investigation où il s’enhardit à remettre les points sur les « i » choquant de facto le spectateur occidental habitué aux gentils scénarios des secousses arabes ou oranges qui comme par hasard tournent toujours toutes au vinaigre.Voici maintenant que Samah Soula va encore plus loin en présentant un semi-documentaire qui met explicitement à nue l’immense imposture qui sous-tend le conflit syrien.
Canal + et France 2 peuvent atténuer tant qu’ils veulent leur propos – les deux chaînes expliquent les incohérences de la politique française vis-à-vis, respectivement, de l’Ukraine et de la Syrie, par l’aveuglement (lire l’incompétence) des dirigeants qui sont derrière – la réalité n’en demeure pas moins ce qu’elle est : la communauté internationale se venge du revirement d’Assad quant au pipe-line turco-qatari qui aurait arraché l’Europe à sa dépendance énergétique de la Russie et le pouvoir actuel de Kiev est un mélimélo limite rocambolesque dans lequel interagissent oligarques à charge et nazillons incultes. Quelles conclusions en tirer ?
- Primo, il n’y a jamais eu si peu d’unanimité au sein des élites politiques françaises. Cette césure dont la dynamique va se préciser dans les prochains moins semble d’un côté liée à la déliquescence totale de la gauche ainsi qu’à la désagrégation de l’ex-UMP oscillant à l’heure qu’il est entre atlantisme et souverainisme. Il n’y a par ailleurs plus aucun sens dans la division traditionnelle droite/gauche puisque, par exemple, la gauche mélenchoniste et la droite lepeniste tombent d’accord sur ce que devrait être une politique étrangère qui honorerait la France. Autant dire tout de suite que la confrontation médiatique à laquelle nous assistons est moins de nature idéologique que pragmatique. Le Quai d’Orsay a toutes les raisons de se faire un sang d’encre en voyant ce que représente un défi migratoire tel quel intraitable pour une Europe en récession et en panne d’identité. Un sang d’encre virant au noir surtout depuis le départ d’un grand spécialiste de sa contamination.
- Secundo, quelles que soient les dérives hallucinantes de ses dirigeants, la France reste un pays cartésien prudent comme un serpent. Cette propension à la prudence, il semblerait qu’elle soit en train de la réactualiser ce qui n’est pas bien aisé depuis 1992 et encore moins depuis 2009. Les gens ne sont pas dupes, la décrédibilisation ne paie pas ce que semblerait avoir conçu une partie des énarques du PS et ce qui fissure le parti affaiblissant le diktat aussi éhonté qu’insensé des médias officiels. Qui plus est, un an avant les présidentielles, un péché confessé est à moitié pardonné … avec un peu de chance, substituant l’erreur au crime et réduisant autant que possible le nombre de protagonistes qui ont flanqué les doigts dans l’engrenage syrien, peut-être que les Français seront un peu plus indulgents. Bien curieusement, la diffusion de France 2 va même jusqu’à pointer du doigt Hollande qui – la plupart l’ont oublié – avait annoncé urbi et orbi armer des islamistes assumés pourvu qu’ils fassent tomber Assad. Comme quoi, ce n’est pas qu’aux pieds de l’Ukraine que gisent les masques d’une dignité dont le Français lambda comprend d’emblée un peu mieux pourquoi elle collait si mal à la soi-disant « expérience démocratique » infligée à un pays qui en est à regretter amèrement le piètre Ianoukovitch.
La morale est simple : ce beau monde de l’Elysée et du Quai d’Orsay s’est trompé. L’erreur étant humaine, passons. Que les Français pardonnent et que les Syriens qui n’ont plus que leurs yeux pour pleurer se la ferment … puisqu’on leur dit que ce n’est QU’UN égarement ! Même si le Monde et l’Express se ridiculisent plus que de coutume en hurlant à la conspirologie.
Normalement, après ce double mea culpa, on devrait s’attendre à une séance de rattrapage. Le seul et véritable problème, c’est que les deux FranceS qui s’affrontent en ces jours mouvementés n’ont ni l’une ni l’autre aucune marge de manœuvre. J’en veux pour preuve la nouvelle idée de mauvais génie de l’UE qui est de submerger l’Ukraine de clandestins tout en se dispensant de l’aider de quelle que manière que ce soit ce dont elle a poliment prévenu Kiev. Le temps est venu de payer la note, dois-je en conclure. La France ne se prononce pas et ne se prononcera jamais car, même dans sa capacité à rétablir plus ou moins la réalité des faits, désouverainisée, colonisée, elle ne puit enjamber le simple constat. Côté Syrie, j’en veux pour preuve les récentes remarques provocatrices des alliés wahhabites de deux gouvernements consécutifs français qui accusent l’AAS de violer le cessez-le-feu. On sait pertinemment en France qui viole le cessez-le-feu comme on le savait dans le Donbass après l’entrée en vigueur de Minsk-2. Réaction ? Et puis quoi encore ? On ne touche pas aux « modérés » utiles du système !
Cela étant avéré, je constate avec satisfaction que les plaques tectoniques ont enfin bougé. Bien que diffusé après minuit et vilipendé de toutes parts, le reportage de France 2 montre bien qu’à défaut de réviser totalement sa position – il n’en est objectivement pas capable au coeur du système actuel – il n’est pas exclu que le Quai d’Orsay prenne ses distances avec la thalassocratie anglo-saxonne en se montrant bien moins participatif qu’il ne l’était sous la gouvernance de Fabius. Les USA n’allant pas apprécier, le conflit des deux FranceS ira crescendo avec des résultats qui pourraient être hautement intéressants à l’approche de 2017.
Françoise Compoint
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