Alors donc que le front donbassien semble quelque peu abandonné par nos amis atlantistes – les FAU seraient sur le point de quitter la ligne de front nous annoncerait, si ce n’est guerre un hoax, Pouchiline – les passions syriennes prennent une ampleur inégalée quoique la sauce sous laquelle elles nous sont servies n’est vraiment pas celle d’il y a un an ou deux. Comme l’UE reste divisée sur le sujet, l’Italie, par exemple, ayant déjà fait connaître sa décision de ne pas intervenir quelles que soient les circonstances, nous nous focaliserons sur le cas de la France, plus prompte à satisfaire les ambitions étasuniennes que son voisin allemand et ceci dit manifestement plus divisée, elle aussi, sur le chemin à emprunter.
Sur le terrain, ce qui paraît avoir partiellement réveillé les dernières étincelles du bon vieux cartésianisme gaullois, ce sont ces impressionnants flux migratoires qui ont poussé Berlin à revoir sa position sur Schengen. En effet, nul besoin d’avoir la clairvoyance d’un Assad pour constater qu’on ne s’attaque pas aux symptômes sans s’en prendre aux véritables raisons de leur apparition. Or la France a longtemps illustré cette réflexion ô combien vraie et ô combien lapidaire de Bossuet: “Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes”. Parmi les représentants de la vieille école de gauche, Chevènement s’était tué à le dire et à le redire. Nous relevons à l’heure actuelle l’indignation de de Villepin, de Dupont-Aignan, de Fillon qui sont très clairs dans la formulation du véritable dilemme en place: le choix à faire n’est pas un choix entre la démocratie et Assad, comme on a voulu nous le faire croire pendant quatre années de suite, mais bien entre Assad et Daesh. Il faut maintenant revoir quatre ans de désinformation multilatérale et agressive, se voir infliger un déluge irrésorbable de clandestins sur fond d’infiltration d’éléments salafistes avoisinant les plusieurs milliers pour se rendre compte que, finalement, les mises en garde de feu Jacques Vergès en 2010-2011 n’étaient pas les caprices pervers d’un avocat souvent vu comme étant celui du diable. Sauf que Me Vergès avait prévu le désastre à venir lors de l’invasion otanienne de la Libye. Il était alors presque seul, lui et sa conscience d’homme libre, à aller jusqu’au bout d’un pronostic qui ne plaisait à personne dans le mainstream médiatique. Quatre ans nous séparent des critiques injustes dont il avait été l’objet et que voit-on? Ne sachant guère comment rétropédaler, les médias se réfugient dans une théâtralité de mauvais goût instrumentalisant l’élargissement de la présence russe en Syrie.
Le Figaro évoque un Kremlin “profit [ant] des incertitudes de l’Occident pour affirmer sa puissance et se placer “au centre du jeu” dans la recherche d’une solution au conflit syrien”. France 24 nous annonce que “Moscou a gagné la partie” et décline les raisons de cette victoire dans “un bras de fer contre les Occidentaux”. L’article cite en outre Le Drian selon lequel le “seul ennemi de la France serait Daesh, Assad [étant] l’ennemi de son peuple”. Par conséquent, l’engagement français serait motivé par un souci de “légitime défense”. On croirait tomber des nues en apprenant de un que la France fait joujou (“jeu”, “partie”) en plaçant l’intervention russe dans un contexte de jeu de muscles avec son rival occidental, de deux, qu’Assad est un vilain dictateur mais que comme l’UE est menacée pour de bon (voir article paru dans le Figaro le 18 septembre, “La France assure que Daesh forme des djihadistes à venir frapper en Europe”) il faut redevenir accessoirement ami avec le gouvernement de Damas. Je grossis quelque peu les traits mais en réalité, n’est-ce pas de cela qu’il s’agit? La morale de cette histoire est en soi tellement grossière qu’il se trouve encore une sacrée poignée d’analystes pour déplorer le mauvais ravitaillement en armes d’une opposition qui fut pleine de promesses au début de la campagne anti-syrienne. C’est mû du même genre d’indécence abyssale que M. Le Drian se permet d’arborer Assad en ennemi de son propre peuple alors que personne n’est venu contester le résultat des présidentielles syriennes de juin 2014: 88,7% en faveur de cet “ennemi” des Syriens. Si c’est le cas avec 88,7% de vote favorable, je n’ose me représenter ce qu’on aurait dit de M. Hollande avec ses 20% fût-il Président d’un pays autre que la France.
On en déduit donc que Paris se dit prêt à collaborer avec Assad au nom de la sécurité de l’Europe et non point celle de la Syrie et des pays frontaliers tout en voulant voir Assad destitué parce qu’il s’inquiéterait du sort de son peuple qui pourtant vote en majorité Assad! C’est à ne plus savoir sur quel pied danser. On patauge dans une espèce de logique schizophrénique qui en réalité pourrait dissimuler les mêmes intentions que celles d’il y a deux ans, suite au false flag turc dans la Ghouta. Reposons-nous la question: qui donc la France veut-elle vraiment bombarder en Syrie? Quand Stéphane Le Foll nous annonce que “la ligne de la France, c’est adapter la politique qui a été conduite jusqu’ici dans le cadre de la coalition en Irak à la Syrie conformément à l’article 51 de la Convention”, c’est à en avoir des frissons! Il suffit de jeter un coup d’oeil sur une carte montrant la propagation de l’EI à travers les territoires syrien et irakien puis la comparer à celle que nous avons aujourd’hui pour comprendre que la dynamique observée s’accorde à merveille avec celle de la multiplication des foyers terroristes en treize ans d’ingérences soi-disant humanitaires: de un seul foyer nous sommes passés à quinze foyers!
Par ailleurs, l’élargissement de la présence russe à Lattaquié – déploiement des troupes de choc russes jouxte Tartous – est assez mal perçue par la presse atlantiste qui laisse sous-entendre que ce déploiement serait à la limite secret, ce qui n’est pas le cas, et que Poutine nargue ainsi l’Occident en soutenant son allié de toujours. Là encore, il y a une perversion bien visible de la réalité puisque, premièrement, la Russie s’engage à contribuer à la lutte contre l’EI tout comme prétend le faire la coalition et que, deuxièmement, si cette détermination donne effectivement lieu à une intervention armée, entre autres au sol, elle se fera à la demande légitime de Damas avec lequel la Russie a signé des accords de défense bilatéraux il y a de là 40 ans et sous l’égide de l’ONU. La coalition occidentale n’a pas obtenu le mandat du Conseil de sécurité. Peut-on maintenant expliquer sur quoi est-ce que sont fondées les réticences de l’UE, France y compris? Peut-on également expliquer l’agitation de Kerry qui se dirait cette fois prêt à coordonner les efforts étasuniens avec la stratégie russe?
On le voit clairement, les intérêts des deux coalitions, russo-syrienne et américano-européo-je ne sais quoi, risquent d’être bien différents. Pourvu que nous ne soyons pas au seuil d’une guerre absolue qui consiste à exterminer le plus possible de civils pour faire partir le gouvernement en cause et qui en fait confronterait la Russie à l’OTAN sur le sol syrien.
Françoise Compoint
2 Comments
jo
Merci, bonne analyse. A ce jour nous ne connaissons pas le plan Russe, mais ils n’ont pas le droit de perdre, ce serait grave y compris pour l’Ukraine
Serge Belley
C’est bien cela le pire, une guerre absolue qui consiste à exterminer le plus possible de civils pour faire partir le gouvernement en cause et qui en fait confronterait la Russie à l’OTAN sur le sol syrien.
A ce jeu-là les USA et L’OTAN seront perdant. beaucoup d’occasion ratées de la part de l’occident d’ignorer la Russie voir faire le vide autours d’elle afin de l’isolée des grands enjeux
qui nous concernent tous.