Pour la 5e fois, les députés français, comme un seul homme – ou presque – reconduisent au son de François nous voilà l’état d’urgence. Ce régime, à l’origine prévu comme un régime d’exception pour une situation exceptionnelle, en l’occurrence la guerre d’Algérie, dure depuis le 13 novembre 2015 et les attentats de Paris. A ce rythme, ce n’est plus un régime d’exception, mais un mode de gouvernance, contre la légalité normale, contre les principes de l’état de droit démocratique. Or, la menace terroriste n’est pas prête à disparaître prochainement, donc soit nos gouvernants – et pas uniquement le Gouvernement – sont aptes à relever le défi, faire ce pour quoi ils sont nommés ou élus, soit ils sont dépassés par la situation et ils doivent se retirer. L’époque ne peut se permettre le parasitage politique.
L’Assemblée nationale vient de voter à une écrasante majorité la 5e reconduite de l’état d’urgence. Par 238 voix contre 32 et 5 abstentions. Jeudi, le texte devrait être voté au Sénat. Comme l’écrit Le Monde:
Seuls les députés Front de gauche, les écologistes contestataires et une poignée de députés Les Républicains se sont prononcés contre le projet de loi.
Autrement dit, seule une poignée de marginaux n’ont pas répondu présent à l’appel de la République…
Pourtant la prolongation de ce régime d’exception montre l’impasse dans laquelle s’est enferrée nos gouvernants et représentants: l’état d’urgence ne peut être efficace que pour réagir face à une menace concrète, identifiée et délimitée. Or, le terrorisme n’est pas une menace “délimitée” et temporaire, c’est une menace qui découle de notre politique. L’état d’urgence est inapte à régler cette menace. Pour cela, il faut gouverner. Pour cela, il faudrait des hommes politiques.
L’impasse institutionnelle
L’état d’urgence a été instauré pour permettre aux forces de l’ordre de réagir rapidement et efficacement suite aux attentats de Paris. Puis, avoir des instruments permettant de dépasser les contraintes de la légalité normale est agréable, l’on y prend goût … si l’on n’y prend garde.
Il a donc été reconduit une première fois, afin de mener à terme les mesures prises. Ensuite … ensuite il y eut l’Euro et le Tour de France. Ici, la logique commence à sérieusement crisser. La situation est telle qu’elle nécessite la mise en place d’une législation d’exception, donc portant atteinte aux libertés publiques et aux droits qui sont la clé de voûte de l’état de droit démocratique. En même temps, l’on organise l’Euro, le Tour de France, l’on regarde avec bienveillance Nuit debout … C’est déjà totalement illogique.
Finalement, en juillet, l’on veut mettre un terme à cet état d’exception, toutes les déclarations sont faites devant les petits écrans nationaux … et les mesures de sécurité pour le moins spartiates à Nice montrent la facilité avec laquelle il est possible à chaque extrémiste de commettre un attentat. La population est sous le choc, l’Etat a failli. L’état d’urgence est donc reconduit, dernier remède disponible contre la jambe de bois.
Il devient ainsi un mode de gouvernance, faute d’être une solution.
L’impasse politique
Maintenant, les politiques ont simplement peur de le lever et surtout de prendre la responsabilité de l’annoncer. Comme si annoncer allait provoquer un nouvel attentat.
Nos politiques ont peur de gouverner et de prendre leur responsabilité. Et ils l’affirment:
La prolongation jusqu’au 15 juillet permettra « d’enjamber » la présidentielle d’avril-mai et les législatives de juin afin de laisser le soin à un nouveau gouvernement de décider – ou non – d’une sortie de ce dispositif.
Si les membres du Gouvernement, si les élus nationaux, ont peur de prendre leurs responsabilités et la reporte sur les épaules putatives du prochain Gouvernement, ils ne remplissent pas leur fonction. Ni leurs obligations. Ils sont en place pour gouverner, qu’ils gouvernent conformément à la légalité en place et non en ayant peur des modes démocratiques. Il y aura toujours une raison pour prolonger la législation d’exception, seule la volonté politique peut permettre de revenir à une situation normale. Et sur le plan procédurale et en ce qui concerne le rétablissement d’une politique nationale qui soit conforme aux intérêts nationaux.
Ce déni de gouvernance est un déni démocratique.
Karine Bechet-Golovko
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