Les premiers tués du 20 février 2014, le jour où les contestataires se sont fait tirer dessus, n’étaient pas des activistes du Maïdan, mais membres de l’unité d’élite « Berkut ». C’est l’originaire de Lvov, Ivan Boubentchik qui a tiré sur eux. Le journaliste Ivan Siïak l’a rencontré pour recueillir son témoignage.
Il n’y a pas de date dans l’histoire contemporaine de l’Ukraine qui soit plus importante que le 20 février 2014. Ce jour-là, 48 activistes du Maïdan et 4 policiers ont été tués. Peu de temps après, le président Ianoukovytch a fui le pays et l’opération pour le rattachement de la Crimée à la Russie à démarré, la guerre dans le Donbass a été déclenchée ensuite. Dans un sens plus large, ce jour a conduit à la perte par l’Ukraine de 7% de son territoire et des milliers de vies de gens.
Tôt le matin du 20 février, il état impossible de prédire aucun de ses évènements. Après deux jours de combats acharnés, dans lesquels ont laissé leurs vies 31 manifestant et 8 combattants de forces de l’ordre, la police a réussi à réduire considérablement le territoire occupé par les contestataires et a pris des positions sur la place de Maïdan même. Seulement quelques centaines d’activistes à bout de souffle se trouvaient sur la place. Cela ne faisait plus aucun doute que le prochain assaut aura raison de la rébellion et les futurs manuels d’histoire l’appelleront « une émeute ».
«Ses actions tactiques précises ont mis en déroute les membres des forces de l’ordre en évitant ainsi la fin de la Révolution de l’ Dignité » – c’est ainsi que la Wikipédia ukrainienne décrit d’une façon très vague le rôle d’Ivan Boubentchik dans l’histoire. Pour la première fois il a parlé de ce qu’il a fait dans le film « Brantsi » (les Captifs). Le documentaire sera à l’affiche à partir du 25 février prochain. La veille de la première, Ivan Siïak a rencontré Boubentchik sur le Maïdan pour se rappeler comment les évènements se sont réellement déroulés.
— J’ai un rêve de créer une école de pêche pour les enfants. C’est ce que je faisais avant le Maïdan. Quand les étudiants manifestaient à Lvov contre Ianoukovytch, je suis venu les soutenir. Tout le monde disait qu’il fallait aller à Kiev et j’y suis allé. Difficile de dire pour les dates, mais c’était le premier jour. J’ai été sur le Maïdan dès le premier jour.
Au début, nous étions au pied de l’obélisque ‘NDT : monument à l’indépendance de l’Ukraine), nous défendions les étudiants. C’est après que les notions de « sotnia » (NDT : désigne en russe ou ukrainien une unité d’une centaine de personnes) sont apparues et j’ai intégré la 9e. Nous cantonnions rue Gontcharov dans le bâtiment de « Narodny Roukh » (NDT : «le Mouvement Populaire » en ukrainien) et chaque nuit, à onze heures et demie, nous venions garder le métro qui passe sous le Maïdan. Nous contrôlions toutes les sorties car les forces spéciales auraient pu les emprunter pour faire une diversion ou nous faire disperser tout simplement.
Je me rappelle que sur la rue Grouchevski se trouvaient les forces intérieurs et nous empêchaient de monter le long (pour atteindre le quartier gouvernemental). Nous sommes venus les voir avec une lettre disant que nous sommes des citoyens de l’Ukraine et que nous avons le droit de circuler librement sur notre terre. Nous leur avons dit que si le lendemain ilq ne nous accordaient pas ce droit, nous passerions à l’assaut. C’est ce s’est passé. Le lendemain il y a eu des pierres et des cocktails Molotov.
— Vers le 20 février, les forces spéciales d’Ianoukovytch avaient tout fait pour liquider le Maïdan. Ils ont fait brûler la Maison des syndicats et il était très important pour nous. C’est là que nous cantonnions, dormions, utilisions des toilettes, mangions, recevions une aide médicale. Lorsqu’ils l’ont fait, le matin suivant Dieu nous a permis d’accéder à la Conservatoire. Nous avons porté un gamin gitan sur nos épaules pour qu’il pénètre dans le bâtiment par la fenêtre. Il nous a ouvert la porte de l’intérieur. Nous y avons pu dormir un peu. Certains pendant une heure, d’autres une demi-heure seulement pendant ces horribles prises d’assaut qu’ils lançaient sur nous. Tout le monde était désespéré, sauf moi. Je crois fermement à la force du Dieu et en justice.
Dans le Conservatoire, il y avait des gars avec des fusils de chasse. Ils ont tiré avec de la dragée sur les forces de l’ordre qui se trouvaient à 70 mètre de nous. Mais je les chassais des fenêtres puisque la police s’est mis à lancer les cocktails Molotov pour mettre le feu sur notre seul refuge. La dragée ne faisait que les énerver.
Pendant ce temps-là, je priais pour que 40 Kalachnikov apparaissent sur le Maïdan. Peu de temps après j’ai compris que je demande trop. Je me suis mis à demander 20 Kalachnikov. Et au petit matin du 20 février un gars est arrivé avec un Kalachnikov dans son sac de tennis et 75 cartouches. Nombreux seraient ceux qui voudraient entendre que le fusil a été pris à des « titouchky » (NDT : terme qui désigne des personnes soudoyées qui se mêlent à la foule lors des rassemblements et déclenchent des bagarres) au cours des affrontements du 18 février. Où ceux-là ont reçu les armes pour nous tuer. Mais ça ne s’était pas passé comme ça.
— J’ai tiré depuis la fenêtre la plus éloigné du Maïdan derrière les colonnes au deuxième étage. De là, je voyais très distinctement les policiers avec leur boucliers qui se trouvaient au pied de l’obélisque. Ils étaient environ 200 derrière des sacs de sable, l’endroit ne pouvait pas en contenir plus. C’est de là que se déployaient les groupes d’assaut avec des fusils pneumatiques. Ils tiraient sur les barricades à bout portant, avec insolence.
Je choisissais les chefs, ceux qui commandaient. Je ne pouvais pas les entendre, mais je voyais les gestes. La distance n’était pas grande, ainsi pour les deux chefs il n’en fallu pas plus que deux coup de feu. J’ai appris à tirer au cours de mon service militaire en armée Soviétique. J’ai suivi la formation dans une école de renseignement et de reconnaissance militaire. Nous étions préparés à mener des opérations en Afghanistan et d’autres lieux de conflits armés.
On dit que je les ai tués d’une balle dans la nuque et c’est vrai. Il s’est trouvé qu’ils me tournaient le dos. Je n’avais pas la possibilité d’attendre qu’ils se retournent. C’est le Dieu qui l’a voulu ainsi, c’est ainsi que cela a été fait.
Je n’ai pas eu besoin de tuer les autres, seulement les blesser en leur tirant dans les jambes. J’étais sorti du Conservatoire et avancer en longeant les barricades. Je tirais en donnant l’impression que nous avions entre 20 et 40 fusils automatiques. Je demandais au gras de me laisser une petite fente entre les boucliers. Il se peut que cela ne fera pas plaisir à entendre à certains… Mais ils avaient des larmes de joie aux yeux. Ils étaient conscients que nous ne tiendrions pas sans les armes.
— J’ai atteint la Maison des Syndicats et me suis retrouvé à court des munitions. Mais la bouche à oreille a fait son travail et la police s’est mise à courir (en nous fuyant). Ils jetaient tout. Ils rampaient les uns sur les autres comme des rats.
Mais toutes leurs unités n’avaient pas le temps de fuir les pro-maïdan. Les gars traversaient la barricade et essayaient de les rattraper. Ils regroupaient les prisonniers en groupes de 10-20 personnes et les emmenaient derrière le Maïdan vers la municipalité de Kiev. Mais les plus actifs de nos héros essayaient de les poursuivre plus loin sur la rue Institutskaïa et l’ordre de tirer sur les manifestants est vite arrivé.
C’était un moment dur car je comprenais que je pouvais arrêter la fusillade des gars. Des personnes différentes, avec un statut différent, m’ont promis que j’aurais les cartouches. Je les croyais et courais d’un endroit à l’autre… Ce furent des minutes les plus difficiles de ma vie, le sentiment d’une totale impuissance. On dit qu’il y a eu beaucoup d’armes sur le Maïdan. Mais ce n’est pas vrai. Sinon, personne n’aurait laissé de fusiller nos gars. De ma sotnia sur la rue Institutskaïa ont péri Igor Serdiouk et Bogdan Wajda.
— Je suis défenseur de ma Patrie, de mon peuple. Lorsque je n’avais plus de cartouche c’était comme si on enlève e scalpel à un chirurgien. Le patient a besoin de secours en urgence et le chirurgien n’a plus de scalpel… Et le malade meurt sous les yeux du chirurgien.
En zone d’ATO (NDT : la soi-disant « opération anti-terroriste » menée par le gouvernement de Kiev contre le peuple du Donbass qui s’est opposé au mouvement du Maïdan en demandant la fédéralisation du pays) j’ai rencontré des « Berkout » qui combattent pour l’Ukraine. Mais je tâche de n’avoir de relation qu’avec des gars comme moi ou meilleurs. Parfois il y a certains moments, conflictuels… Mais s’ils se battent sciemment, pas pour avoir des privilèges, cette guerre pourrait être purifiante pour eux. Mais je n’ai pas le moindre envie d’avoir un quelconque rapport avec eux.
Sur le Maïdan, nous avons fait un pas en bonne direction et avons reçu une leçon qui nous permet d’avancer. Aujourd’hui mon Etat n’est toujours pas l’Etat de droit, et je considère que toutes ces organes de forces de l’ordre ne sont pas également des structures de droit. C’est pour ça que je n’ai pas envie d’avoir des rapports avec eux. S’ils l’ont, eux ? Je pense que ce sera le cas après la sortie du film.
Mes victimes ce sont des criminels, des ennemis. Et je dois parler pour que les autres sachent quel traitement il faut réserver à l’ennemi.
Traduction depuis le russe de Svetlana Kissileva
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