Elle court la toile, elle court les médias, elle s’empare progressivement des esprits l’image de ce petit syrien noyé lors d’un naufrage et dont la frêle dépouille s’est échouée sur une plage turque. Ce qu’elle incarne avant tout? L’innocence instrumentalisée. L’innoncence violée. Violée par les rapaces et leurs complices dont le pseudo-philosophe Bernard-Henri Lévy et le médecin-bourreau des Serbes, Bernard Kouchner, sont les symboles les plus répugnants. On a entendu le premier intervenir sur BFM et parler, avec cette emphase creuse qui le caractérise si bien, de la force des images qui ont le pouvoir d’influencer l’Histoire. On a entendu la réaction de Michel Onfray qui n’a pas hésité à envoyer BHL “se cacher” (j’allais dire se coucher) en rappelant son rôle délirant lors de l’invasion occidentale de la Libye. C’est la seule réaction qui vaille à mon sens. Toute mort est affreuse. Celle d’un bébé a fortiori. Ici, nous abordons le cas d’Aylan, trois ans, dont les parents habitaient depuis quelques temps en Turquie et comptaient gagner l’Europe le Canada leur ayant refusé le droit d’asile. Il n’y a donc pas eu de meurtre au sens propre du terme. Nous sommes en face d’un accident tragique qui a coûté la vie tant à Aylan qu’à son frère et sa maman. Si l’on esthétise aujourd’hui ce drame, c’est bien pour arriver à faire d’une pierre deux coups: culpabiliser les peuples européens, notamment ceux de l’Europe de l’Est, jugés peu hospitaliers (cf. Hongrie) et faire oublier qui sont les véritables responsables de cette mort qui en cache une infinité d’autres. Pourquoi cette photo terrible a-t-elle été choisie? L’islamologue et politologue Bassam Tahhan a raison de comparer le petit mort à Moïse que la reine d’Egypte cette fois ne vint pas sauver. Il a raison de dire que nous assistons à l’un des plus grands déplacements des peuples que le monde ait jamais connu. Par la grâce de qui? Si M. Tahhan en expert courageux et éclairé le dit et le redit clairement depuis voilà des années, la monopolisation du débat dans le mainstream journaleux actuel nous interdit de remonter à la source. On retiendra juste l’image de Moïse et de ces méchants peuples européens qui ne veulent pas forcément tous faire ce qu’a fait la reine d’Egypte. Mais Aylan n’est pas seulement Moïse. C’est aussi la réincarnation médiatique de cette petite fille vietnamienne brûlée au napalm dont la nudité désarmante, les larmes et la souffrance sont restées figées sur une photo devenue historique. Celle du 8 juin 1972. On se doutait bien que des petites filles comme celle-ci, il y en avait beaucoup! Suffit de se rappeler que l’armée US a aspergé le Vietnam de 80 millions de litres de produits chimiques! Mais il fallait un symbole macabrement exhaustif qui aurait fait oublier 400.000 morts, 500.000 bébés nés avec des malformations et les 2 millions de cancéreux qui vont avec! En plus, la petite avait été touchée par erreur alors que deux avions sud-vietnamiens visaient une pagode où ils croyaient que s’étaient réfugiés des militaires de Viêt-Công. L’horreur dans l’erreur. Voici ce qui en ressortait en tout premier lieu l’objectif étant alors de dissimuler les crimes commis consciemment, c’est-à-dire en connaissance de cause.
Nous relevons le même souci aujourd’hui. Après tout, quand on veut nous faire croire à la fin du colonialisme occidental – et par l’Occident entendons les USA et les Etats européens membres de l’UE satellisés – on oublie vite que les frappes (reportées?) contre la Syrie font écho aux bombardements de Damas d’abord en 1925, suite à l’insurrection du pays druze, puis en 1945 quand les Syriens rejetèrent les conditions d’indépendance imposées par la France. N’oublions pas que la France avait fait miroiter l’espoir d’indépendance du pays dès 1918 et que sa mise sous tutelle entre 1920 et 1946 devait soi-disant assurer sa transition vers l’autonomie. Résultat: le Liban est séparé de la Syrie, Damas est bombardé par deux fois avec pour conséquence des centaines de victimes, le communautarisme est favorisé jusqu’à connaître un essor dont on voit les effets catalyseurs à l’heure actuelle. Ce parallèle est symptomatique en ce qu’il met en relief deux points forts de la politique colonialiste occidentale perçue dans son infernale dynamique:
– Le mensonge (ici, fausses promesses, manipulations)
– La provocation (essor du communautarisme, guerre de tous contre tous alors latente)
De nos jours, on ment en diabolisant l’ennemi – celui qui contrarie nos intérêts, généralement gazo-pétroliers – on ment aux peuples non concernés en opérant une distinction tout à fait farfelue entre de gentils islamistes et de méchants islamistes, de bons nationalistes ou de mauvais nationalistes, des oligarques fréquentables et des oligarques non fréquentables, etc. On provoque en faisant mine de combattre les “méchants” tout en les armant en sous-main. Soi-disant par erreur. Par mégarde. Parce que les réalités du terrain ne permettent pas une élimination efficace de l’EI. Plus on avance, plus on s’aperçoit de l’extrême perversité de ce genre de pratique et de discours. L’hypocrisie déployée atteignant presque les sommets du ridicule, on voit émerger d’étranges arguments ressemblant à de l’auto-justification: nous ne savions pas, nous y sommes allés trop fort avec le régime de Saddam, avec celui de Kadhafi, Daesh est certes un monstre mais doit-on lui préférer le dictateur syrien, etc, etc. Ce délire inqualifiable a même poussé certains médias étroitement orientés à mettre la trahison de Kadhafi sur le dos d’Assad. Ce qui ne rime à rien. En d’autres termes, nous avons participé à la liquidation du Raïs, on en voit déjà le résultat désastreux, mais nous ne sommes pas les seuls! Assad le dictateur est tellement fourbe qu’il a trahi un autre dictateur qu’il faisait mine de soutenir. Nous, au moins, on a été droit dans nos agissements, cela de “a” à “z”. Sinon, l’erreur est humaine!
Non, l’erreur n’est pas toujours humaine. Surtout quand elle détruit des Etats et, derrière, de tas de vies qu’on s’arrange à classer comme étant des “dégâts collatéraux” quand ça nous arrange. Cette erreur est d’autant moins humaine qu’elle n’est qu’un camouflé. Tout comme le corps d’Aylan, mort par noyade. Fin mars 2015, la coalition anti-Daesh, celle-la même, l’héroïque, la preuse, bombarde une maternité située à Deir ez-Zor, à 450 km de Damas. Le prétexte est simple: des militants de l’EI s’y abritaient. Ils pesaient entre 2 et 4 kg, portaient des pampers et certains des masques à oxygène que l’on fait enfiler aux bébés nés prématurément. Même moi qui n’ai pas les nerfs bien fragiles, j’avoue avoir fait des cauchemars en voyant ces petits corps joncher le sol de locaux à moitié détruits. Mais puisqu’il s’agit d’une ERREUR de la très sainte coalition! Et que penser de la photo abjecte d’une petite fille syrienne décapitée et qui remonte à 2012? Dans un récent article du Monde, on apprend qu’il ne s’agit que d’un “cliché” exploité par la fachosphère française l’EI ne s’étant pas encore implanté en Syrie à cette date-là. C’est se moquer du monde sachant que les crimes d’Al-Nosra étaient déjà de notoriété publique. Mais comme Fabius avait décidé qu’Al-Nosra faisait du bon boulot, il fallait bien croire à la véracité du communiqué des “rebelles syriens anti-Assad” selon lesquels l’enfant aurait été décapitée par “les milices gouvernementales”! Toujours selon Le Monde, la photo d’un petit Donbassien “supposément” (!) tué par les pilonnages des FAU serait elle aussi “un cliché” alors que des listes exhaustives d’enfants tués depuis le début du conflit sont tout à fait accessibles. Comme quoi, certaines morts sont des clichés. D’autres non. Selon que cela profite ou pas à nos inénarrables donneurs de leçon.
Cette dialectique du mensonge et de la provocation, allégorisée dans la Bible à travers l’image du Malin, a engendré une synthèse aussi intéressante qu’effroyable: la culture politique de la mort. Le dépérissement civilisationnel qui risque fort de frapper la civilisation européenne occidentale dans les prochaines années n’est rien d’autre que son effet boomerang. L’Occident a longuement semé la mort ailleurs que chez soi. Il a détruit la civilisation arabo-musulmane en moins de quinze ans en prétextant l’étrange attentat du 9/11. Il tente de détruire le monde slave la Yougoslavie n’ayant été qu’un galop d’essai réussi et l’Ukraine le deuxième volet de cette tentative. Les flots migrationnistes torrentiels qui forcent aujourd’hui ses frontières illusoires et qui, outre de vrais réfugiés, ramènent aussi les monstres de l’EI et des individus avides d’allocs ne sont en somme qu’un retour de manivelle. C’est même plus profond que Le Camp des saints de Jean Raspail inspiré en grande partie par le XXème chant de l’Apocalypse. Comme si l’Histoire nous disait qu’il fallait payer. Ce bébé syrien noyé, n’est-ce pas aussi l’image lancinante d’une UE qui fait naufrage mais qui continue à se targuer de sa haute culture politique et humanitaire … ne voyant pas que c’est celle de la mort?
Françoise Compoint
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One Comment
Le Moullec
Collage prémonitoire
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Bien à vous