Le Département d’Etat US n’est pas content. D’ailleurs, il n’en est pas à son premier mécontentement près. Tout d’abord, à la veille des présidentielles, la police aux frontières biélorusse s’est permis d’arrêter 200 Ukrainiens armés jusqu’aux dents dont la moitié était recherchée par Interpol pour extrémisme. Ces braves gars avaient peaufiné leurs acquis en février 2014, en plein centre de Kiev, se battant pour quelques illusions made in UE tout en prêtant serment d’allégeance à Stepan Bandera et Roman Choukhevytch. Contradiction ou pas, le fait est là : des pays comme la France, notre France, pourtant si cartésienne et droit-de-l’hommiste jusqu’à la moelle des os, arrivent à concilier la loi Gayssot et un sentiment de loyauté vis-à-vis de la Rada avec ses représentants de Pravy Sector et de Svoboda. Je vous laisse maintenant imaginer quelles auraient été les conséquences d’une infiltration de 200 individus de sensibilité bandériste dans un pays drôlement décrit par les médias occidentaux. Voici la quintessence de ces descriptions que je suis allée cueillir, toutes fraîches et toutes éloquentes, dans les dernières rubriques du Monde, de la Croix et de Arte.
Selon Arte, le régime de Loukachenko (tiens, encore ce terme connoté de «régime » qui n’augure rien qui vaille!) es «autocratique » du fait de la « répression systématique des opposants » politiques. Selon le Monde, ce même régime relève d’un « modèle paternaliste » (…) « plébiscité par les électeurs biélorusses ». Si ces définitions sèches veulent dire tout et n’importe quoi, les commentaires livrés par La-Croix sont brillants d’originalité et revêtent au moins les traits d’un mini-reportage : « Trottoirs propres, façades fraîchement repeintes, cours d’immeuble et cages d’escalier bien entretenues, autobus neufs, fréquents et pas chers … Sur le boulevard Lénine de Baranovitchi, c’est la Biélorussie d’Alexandre Loukachenko : pas très gaie, pas très riche, mais stable, ordonnée et rassurante ». Et de donner la parole au passant lambda : « Bien sûr, notre président n’est pas un grand démocrate. Mais avec lui, on vit tranquille et sûr chacun notre petite vie ». Que devons-nous en tirer ? Que le Bélarus, sans être un pays bien riche et sujet aux joyeusetés du carnaval de Rio, reste cependant un pays stable, avec un taux de chômage peu élevé et des acquis sociaux décents. Si les bus sont neufs, les façades repeintes et les trottoirs moins craceux que dans les jeunes démocraties et/ou les démocraties en voie de déclin, c’est bien que les services sociaux s’occupent des gens non pas seulement sur le papier mais sur le terrain. Dans ces conditions-là, est-ce que Loukachenko a réussi en tant que « Batka », c’est-à-dire, familièrement parlant, en tant que « Père » de son peuple ? Sans conteste même si bien entendu on peut lui reprocher des dérives effectivement autocratiques. Et quand je dis « on », je raisonne dans l’absolu puisque, restons respectueux des chiffres, 83,5% des électeurs sur les 87,2% qui ont voté élisent une nouvelle fois – la cinquième depuis 94 – le même paternaliste et autocrate. Pour répondre au Monde et à La-Croix selon lesquels ces élections ne seraient qu’un simulacre à la transparence douteuse où la seule opposante, Tatiana Korotkevitch du parti social-démocrate du Bélarus n’est qu’une figurante symbolique, il se trouve que Minsk a invité un grand nombre d’observateurs de l’OSCE et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Sans être ravis par les résultats obtenus, critiquant la façon dont les bulletins ont été dépouillés, aucun de ces observateurs n’a cependant contesté la réélection de Loukachenko. Même si l’on passe au rabais certains chiffres tirés par les oreilles, le Bélarus préfère Loukachenko à une jeune opposante assez inexpérimentée dont le programme, centriste selon ses propres termes, tient surtout au renforcement de la politique régionale et à la privatisation de certaines entreprises. S’étonnerait-on de cette préférence ? Lorsque le département d’Etat US regrette une violation des accords sur la démocratie conclus entre le Bélarus et les USA en 2010, on ne sait trop s’il est offusqué par le réélection de Loukachenko, possible pour une énième fois depuis le référendum de 2004 qui a modifié la Constitution, ou s’il s’inquiète du sort de certains détenus politiques qui ne sont pas sans rappeler les Khodorkovski et les Navalny.
Si l’on fait abstraction des injonctions à géométrie variable du tandem Washington-Bruxelles, on relèvera trois aspects clés remettant immédiatement les pendules à l’oreille :
- L’option « vote contre tous » existe bel et bien. Cette option a été choisie par 20,6% des habitants de Minsk ce qui constitue quand même 1 habitant sur 5. A l’échelle du Bélarus, ce chiffre ne dépasse pas les 6,4% ce qui, sans être important, est loin d’être minable. Pour info, Mme Korotkevitch n’a fait que 4,42%.
- Le Bélarus est peut-être la dernière grande dictature d’Europe ! Peut-être est-ce bien pour cette raison que Minsk tolère (entre autres) l’existence du Front populaire biélorusse dont l’un des fondateurs, le journaliste Siarhiej Dubaviec, n’hésite pas à afficher des slogans clairement nationalistes. Si vous n’êtes pas nationaliste, vous ne valez rien, affirme-t-il, catégorique, dans l’un de ses textes. On comprend mieux la raison de son exil à Vilnius au début des années 90. Dans l’ensemble, les thèses du parti sont preque un copier-coller des thèses véhiculées par les partis nationalistes ukrainiens avec, en ligne de mire, le statut officiel de la langue russe, deuxième lange officielle du Bélarus suite au référendum de 1995. A noter que le parti en question est membre observateur du Parti populaire européen. De quoi rester songeur.
- La chaîne d’opposition Belsat TV lancée fin 2007 malgré les réticences de Loukachenko est gérée depuis la Pologne. Elle est financée par le ministre des Affaires étrangères polonais et la TVP. Près d’une quinzaine de journalistes, d’acteurs et de metteurs en scène biélorusses résidant au Bélarus travaillent pour Belsat TV sans être poursuivis pour leurs activités. Nous sommes loin de la Corée du Nord si je ne m’abuse !
Sans doute sommes-nous tout aussi loin des démocraties franco-allemandes avec des Nadine Morano poursuivies pour des thèses purement gaullistes, une politique migratoire ne tenant pas compte de la volonté réelle des peuples d’Europe, des programmes d’Histoire remodelés malgré les réticences des familles, avec, par-dessus tout, le fameux traité de Lisbonne qui a démontré que le démocratie dans son acception occidentale actuelle n’est rien d’autre que le pouvoir d’une oligarchie dotée des pleins pouvoirs et non celle du peuple. La manière dont se constitue ou plutôt se « déconstitue » l’Ukraine post-maïdanesque corrobore ce constat. Si Ianoukovitch avait la carrure de Loukachenko, il n’est pas exclu que l’Ukraine aurait évité ce triste dilemme qui se précise de jour en jour : une fois Porochenko parti, le pays se retrouvera irrémédialement écartelé entre les ultra-nationalistes du genre Iarosh ou Tiagnibok et les oligarchies qui arrivent encore à les manipuler. Ce sera alors le début de la fin du système étatique ukrainien. Entre les bienfaits de la démocratie US en Ukraine où par décret présidentiel le jour de la fondation de l’UPA est maintenant fêté au même titre que Noël ou Pâques et le modèle autoritaire mais sécuritaire, ordonné et stable de Batka, franchement, j’opterais pour le deuxième. Les Biélorusses l’ont fait. Le contraire aurait été surprenant.
Françoise Compoint
2 Comments
Vinipoukh
Excellente mise au point ! Cela change de la bouillie servie par le mainstream médiatique.
Merci à l’auteur !
Jean-Claude Meslin
Françoise.
Très bon article sur la Biélorussie qui parait être en meilleure santé que la majorité des colonies américaines d’Europe.