Dans la première partie de cette série d’article nous avions montré, en quoi l’OUN* pouvait être considérée comme une organisation fasciste à part entière. Contrairement à ce que raconte la légende du nationalisme ukrainien, la rupture avec le nazisme n’a rien changé dans l’idéologie de l’OUN, bien au contraire, la quasi-totatilé des crimes de l’UPA furent perpétrés après le 30 juin 1941.
Dans cette seconde partie, nous tenterons d’étudier la tentative de défascisation du nationalisme ukrainien par Andriy Melnyk et la victoire posthume de Stephan Bandera due à Yaroslav Stetsko et aux SYM. Néanmoins Andriy Melnyk reste un nationaliste très marqué et l’arrivée des éléments de l’OUN M marque sur le continent Nord-Américain une très forte radicalisation de la communauté ukrainienne (cf. Myron B. Kuropas).
Dans le présent article nous étudierons principalement la diaspora ukrainienne aux USA, mais le schéma est le même dans tous les autres pays et en particulier au Canada.
Le nationalisme ukrainien durant la guerre Froide : 1947-1991
Marginalisation des bandéristes :
La scission entre l’OUN (B) avec à sa tête Stepan Bandera et l’OUN(M) d’Andriy Melnik née durant la seconde guerre mondiale s’amplifia durant l’après guerre. En 1947 Andriy Melnik créa le Conseil National Ukrainien, qui était en réalité le gouvernement en exil de la République Nationale d’Ukraine. Il regroupait les principaux partis politiques ukrainiens (l’OUN(B), l’OUN(M), UNDA, USPR , USDRP, etc. Il initie comme nous l’avions dit dans le précédent article un programme basé sur les principes d’égalité devant la loi, l’indépendance judiciaire et la liberté de conscience, de parole, de la presse, et l’opposition politique.
A cette date les principales associations banderistes sont l’Organisation for the defense of four freedoms in Ukraine (ODFFU) et la SUMA (Ukainian Youth association of America), ODFFU for women’s et la Mykola Mikknovsky Studiant Association (TUSM). Elles se regroupent au sein du Front de Libération Ukrainien (ULF).
Les Melnykistes se regroupent dans l’ODWU (Organization for the Rebirth of Ukraine : “organisation pour la renaissance de l’Ukraine”. Elle fut créée en 1930, ouvertement pro-nazi avant guerre. Elle resta fidèle après guerre à Melnik, malgré des distensions en son sein entre melnykistes et banderistes (1).
En quittant le CNU, en 1950, les bandéristes se marginalisent vis à vis de la diaspora. Leurs activités se centralisèrent surtout sur l’Europe. Stepan bandera fut assassiné le 15 octobre 1959 à Munich. Cinq ans plus tard Andriy Melnyk s’éteignit à Köln.
Renaissance du Bandérisme et déclin du Melnykisme:
Les auxiliaires :
Le passé :Yarolasv Stetsko.
Yaroslav Stetsko était le bras droit de Bandera, élu à la tête de l’OUN B en 1945, il créa en 1946 le Bloc des Nations Anti-bolcheviques “ABN” dont il fut président jusqu’à sa mort en 1986 à Munich. De part son combat anti-communiste, il renforça l’influence des bandéristes dans la diaspora ukrainienne et contribua toute sa vie à la réhabilitation de Stepan Bandera. Dans les années 50, son combat lui ouvrit de nombreuses portes tant à la CIA que dans les rangs des républicains américains (in Ieva Zake, 2003). Par son action, il associa le bandérisme à l’anti-communisme et à la libération de l’Ukraine et fit de ces deux dernières le ciment de la communauté ukrainienne. A partir de la fin des années 80, avec le début de l’écroulement de l’URSS, le thème fédérateur de l’anti-communisme fut remplacé par celui de l’Holodomor.
L’avenir : les SYM
La principale cause de la renaissance du bandérisme est avant tout démographique. Dans l’immédiate après guerre période à laquelle Melnyk imposa la démocratisation du nationalisme ukrainien et le renoncement du totalitarisme incarné par Bandera, la diaspora ukrainienne est constituée des première (1870-1914) et seconde (1919-1925) vagues d’immigrations ukrainiennes (2). Alors que la seconde vague sema les germes du nationalisme intégral et amena peu à peu la diaspora à se tourner vers un pro-nazisme très marqué sur le continent nord-américain (voir supra), la troisième vague sema le bandérisme.
En 1945, environ 100.000 ukrainiens se trouvaient en Allemagne dans des camps de réfugiés. Selon les accords de Yalta, toute personne originaire d’un territoire soviétique à la date du 1 septembre 1939, devait être rapatriée par force si nécessaire vers la Mère Patrie.
La diaspora ukrainienne publia alors “The plight of Ukrainians DPs” pour essayer d’infléchir l’administration US sur le sort des réfugiés. Le 25 juin 1948, le président Trumann signa The Displaced Persons Acte permettant l’immigration des réfugiés sur le sol américain. De 1947 à 1955 un minimum de 200000 immigrés ukrainiens arrivèrent sur le sol américain.
Qui étaient ces immigrants ? En 1947, 250000 ukrainiens la plus part sympathisant de l’UPA (3), se trouvent dans les camps de réfugiés ukrainiens où règne un prosélytisme très important, Stepan Bandera voulant avoir la main mise sur la diaspora. Lors des interrogatoires dans les camps de réfugiés les Banderistes se présentèrent comme des résistants héroïques ukrainiennes contre les nazis et les communistes, leur combat ayant été “déformé et décrié” par “la propagande de Moscou”. ” Bandera, lui même ne se lasse pas de dire qu’il avait été arrêté par les nazis et détenu à Sachsenhausen (tout en oubliant de préciser qu’il fut libéré par les allemands pour combattre les soviétiques). Maintenant, lui et son mouvement combattent “non seulement pour l’Ukraine, mais aussi pour toute l’Europe.” (4). Vous noterez que le révisionnisme du nationalisme ukrainien a commencé dès 1945 et que la dernière phrase sonne comme du Poroshenko…
Les familles de la 3éme vague d’immigration envoyèrent leurs enfants au SUM (SYM : Спілка української молоді : Union de la Jeunesse Ukrainienne) qui joua un rôle primordiale dans la renaissance du bandérisme. Imitant en cela toute les structures totalitaires (Hitler Jugend en Allemagne, Konsomol ((Коммунистический союз молодёжи) en URSS, Opera Nazionale Ballila et Avanguardisti en Italie) l’OUN B a compris que l’endoctrinement de la jeunesse était la garantie d’une victoire dans l’avenir.
Les premières commémorations du 15 Octobre (assassinat de Bandera), commencèrent dès 1960, dans la plus part des grandes métropoles d’Amérique du Nord ainsi qu’à Londres et à Munich organisées par les associations de vétérans de l’UPA et les SYM. Pour les 10 ans de la mort de Bandera 200 SYM se rendirent à Munich. A Londres, sous un portrait de Bandera et des drapeaux de l’OUN B (noir et rouge) et de l’Ukraine, deux jeunes SYM portant pour l’une traditionnel et pour l’autre un uniforme récitaient des poèmes (5).
Exemple du Camp des SYM d’Ellenville.
Le camp d’Ellenville a été créé en 1955 (il est un des six camps existant à cette époque aux USA), pour “éduquer la jeunesse ukrainienne au sujet de leur histoire et de leur culture, ainsi que de les instruire pour devenir des membres actifs de leurs communautés ukrainiennes et locales tout en servant Dieu et leur patrie ukrainienne” (voir dernière illustration de l’article). En 1962, y fut érigé le “Trident” offert par deux anciens membres l’UPA, sculpté par un troisième. Le monument est entouré des bustes des principaux leaders ukrainiens (Petliara, Konovalets, Shukhevych et Bandera). Devant ce monument pendant des décennies, les enfants de la diaspora ukrainienne furent rassemblés pour honorer “tous ces héros qui ont sacrifié leur vie dans la bataille pour l’Ukraine et sa souveraineté” en chantant des chants nationalistes, de l’OUN et de l’UPA, en récitant des prières.
En 1957, Andriy Melnyk lança l’idée d’un congrès mondial regroupant toutes les associations de la diaspora. Son projet se réalisera en 1967 avec la naissance du “Congrès Mondial des Ukrainiens Libres” (WFCU), renommé en 1993 Conseil mondial Ukrainien. Depuis sa création, il affirme représenter les intérêts des ukrainiens du monde en entier, mais il est en réalité, il est dominé par les associations nord-américaines et un petit groupe de personne (6).
Prise de contrôle des organisations représentatives ukrainiennes par les bandéristes :
A partir du début de 1970, les générations d’enfants formés par les SYM pour devenir les leaders d’opinions commencèrent leur vie d’adulte et leur prosélytisme au sein de la communauté ukrainienne.
Ceci se concrétisa, en 1980 par la prise de contrôle de l’UCCA (Ukrainian Congres Commitee of America) par le Front de Libération Ukrainien. En réaction les membres de la communauté ukrainienne réfractaires au bandérisme créèrent en 1983, l’UACC, qui devint majoritaire mais au fil des années son influence s’amenuisa pour devenir peu à peu minoritaire. Je laisserai la conclusion à Myron B. Kuropolas “Alors que l’OUN (M) respirait à peine en Amérique du Nord, l’OUN (B) a pris la direction du Comité Congrès des Ukrainiens d’Amérique (UCCA) et le Congrès mondial ukrainien (UWC). Comme eux ou non, le leadership de l’OUN (B) a gagné notre respect. Avec son réseau de stations, des salles de banquet et d’ institutions financières, les bandéristes sont encore une force redoutable. Bien qu’ils restent en marge de la scène politique de l’Ukraine, il serait imprudent de les compter. Quant à l’OUN (M), l’avenir est sombre” (The Ukrainian Weekly, February 6, 2000, No. 6, Vol. LXVIII).
Au début des années 1990, la prise de pouvoir des nationalismes ukrainiens sur la diaspora est totale et le gouvernement US commence à le percevoir que le monstre qu’il a contribué à engendrer est un réel danger pour la stabilité de la région. Le 1er août lors du Chicken Kiev speech (écrit par Condoleezza Rice) George H. W. Bush prend position contre l’indépendance de l’Ukraine pour la préserver du “suicide nationaliste”. Un mois plus tard l’Ukraine vota son indépendance…
“Yet freedom is not the same as independence. Americans will not support those who seek independence in order to replace a far-off tyranny with a local depotism. They will not aid those who promote a suicidal nationalism based upon ethnic hatred.”
«Pourtant, la liberté n’est pas le même chose que l’indépendance. Les américains ne pourrons soutenir ceux qui cherchent l’indépendance afin de remplacer une tyrannie lointaine avec un despotisme local. Ils ne vont pas aider ceux qui promeuvent un nationalisme suicidaire basé sur la haine ethnique.»
Dans la prochaine partie de cette série d’article nous traiterons du rôle de la diaspora ukrainienne au 21éme siècle, en abordant l’indépendance, la révolution orange et Maïdan.
2009, L’endoctrinement toujours d’actualité chez les SYM…
Laurent Courtois
Notes :
1 : Ieva Zake, Anti-Communist Minorities in the U.S.: Political Activism of Ethnic Refugees, Elliott Robert Barkan Editor, 2013
2 : Immigrants in American History: Arrival, Adaptation, and Integration ; Elliott Robert Barkan Editor, 2013
3 : Undated Ukrainian statements, NARA, RG 319, IRR TS Banderist Activity Czechoslovakia, v. 2, D190425
4 : http://www.archives.gov/iwg/reports/hitlers-shadow.pdf, p79
5 : Stepan Bandera: The Life and Afterlife of a Ukrainian Nationalist: Fascism, Genocide, and Cult, Grzegorz Rossolinski,2014
6 : The ukranian diaspora, Vic Satzewich, Routledge, 2005 – page 135.
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