Ca y est ! C’est arrivé ! Le Pape et le Patriarche de toutes les Russies se sont finalement vus entre deux portes à Cuba. Ils se sont rencontrés, comme si de rien n’était, en passant l’éponge sur tout un millénaire de discordes et de contentieux qui – il faut bien appeler un chat un chat ! – était dû à plus de 90% à la position du Vatican la Russie ne s’étant jamais immiscée des oignons catholiques ni du territoire ecclésiastique occidental.
Quoi qu’il en soit, les questions posées par les fidèles orthodoxes sont nombreuses et leur réaction – parfois contradictoire. Faut-il ou ne faut-il pas accepter ce que d’aucuns ont déjà baptisé sans hésitation aucune « la grande trahison du chef spirituel russe » ? C’est que la Russie est tellement habituée à répondre aux initiatives de Rome jugées par trop souvent pernicieuses !Au quatorzième siècle déjà, le Vatican a déclaré les terres des Orthodoxes « terres de mission à évangéliser » parce qu’habitées par des païens ! Compte tenu de cette histoire tumultueuse, il ne faut pas trop s’étonner de la vigilance des croyantsrusses qui attendent pour voir ce que ça peut signifier pour leur pays.
Un autre argument – et de taille cette fois-ci – est le mauvais exemple donné par l’Occident. Le confort et le niveau de vie sont, à ce qu’il paraît, aux antipodes de la spiritualité. Charles Pasqua, lui, en a fait bonne note, il y a plus de 20 ans de cela. Encore ministre, il invitait les Français de se demander s’ils avaient des idéaux pour se faire sacrifier sur l’autel de leur foi tandis que les terroristes, « les barbus », eux, en avaient. Si les gens ne sont pas prêts à mourir pour leur religion, celle-ci ne survivrait pas longtemps. Telle est la règle générale, en vigueur malgré les temps qui courent. Lors des guerres de Tchétchénie et, bien avant, pendant les purges staliniennes, les Russes ont su affirmer la force de leur foi en Christ. Ils craignent maintenant que l’Occident va contaminer la Russie avec ses idées dépravées.
Notre grand expert des relations franco-russes, le préfet Ivan Blot a bien voulu donner son jugement de cet acte historique que fut la déclaration Urbi et orbi de ceux qui représentent tout ce qu’il y a de chrétien sur la planète Terre.
Ivan Blot. C’est un texte historique – vous avez tout à fait raison. Puisqu’il correspond à une réunion qui ne s’est pas produite depuis un millénaire et que tout le monde attendait ! Moi, ce qui m’a frappé dans ce texte, c’est sa franchise… Il y a des points qui sont plus de la théologie, bien sûr ! Mais il y a beaucoup de points qui concernent notre existence sociétale et puis des questions même presque diplomatiques, on pourrait dire. Dans ce domaine-là je dirais que les deux signataires n’ont pas mâché leurs mots puisqu’ils opposent à la bonne santé du christianisme en Russie, d’un côté, et en Amérique Latine de l’autre, la discrimination anti-chrétienne qui existe en Europe, dans le monde sécularisé de l’Europe continentale. Et finalement il y a deux régions qui préoccupent beaucoup le Patriarche et le Pape : c’est, d’une part, l’Europe Occidentale avec sa laïcité prétendue, mais qui est, en fait, anti-chrétienne, et puis le Moyen-Orient où il y a des persécutions ouvertes et physiques. Donc il y a dénonciation de ces agissements. Alors pour nous, les Européens, il est très important évidemment de voir que les deux grandes autorités ecclésiastiques ont considéré que l’Europe était malade actuellement ce qui est parfaitement exact d’ailleurs.
Radio Radonezh. Il y aussi un appel à ne pas se livrer concurrence en terres chrétiennes. S’agit-il de l’Ukraine en l’occurence ?
Ivan Blot. Je pense que ce paragraphe a été placé là surtout à la demande du Patriarche qui ne souhaite pas voir le prosélytisme catholique se développer en Russie comme il l’a toujours affirmé. Et puis surtout cela a trait au conflit ukrainien. Puisqu’en Ukraine évidemment il y a l’Eglise uniate qui a été créée par le Roi de Pologne et qui a été toujours une source de conflits avec le reste de l’Ukraine. Et nous avons aujourd’hui, en plus, une guerre civile épouvantable qui sévit en Ukraine. Alors avec la paix et la réconciliation de tous les chrétiens s’opérerait quelque chose d’essentiel dont les grandes lignes sont dans cette déclaration. Je crois que c’est vraiment heureux pour tout le monde que le Patriarche et le Pape aient pris cette position appelant à apaiser le conflit. Le rôle de la religion n’est pas à attiser des conflits artificiels qui ont pour origine des questions politiques du passé finalement. Cela n’a pas grand’chose à voir avec la spiritualité !
- RR. Le premier-ministre russe a mis en garde les Américains qui auraient tendance à revenir à la logique de la Guerre-Froide « de 1962 ». Le Pape a-t-il joué un peu son propre jeu au grand dam de Washington ?
Ivan Blot. On dit ici à Paris qu’effectivement les Américains ne sont pas très contents de cette initiative du Pape. Parce que cela crée un axe entre Rome et Moscou qui est tourné contre, en quelque sorte, le monde occidental dirigé en fait par les Etats-Unis, évidemment.
Il y a aussi autre chose qui, à mon avis, a déplu aux certaines élites atlantiques : c’est l’affirmation des valeurs familiales, du mariage entre l’homme et la femme, le respect du droit à la vie en ce qui concerne les mœurs parce qu’il y là aussi tout un passage important dans la déclaration et ça va tout à fait à l’encontre de ce qui est lancé à partir des Etats-Unis c’est-à-dire la théorie du genre, le mariage homosexuel, la banalisation de l’avortement… Toutes ces choses-là sont condamnées par le Pape aussi bien que par le Patriarche. C’est comme si on avait effectivement une sorte d’axe en matière des valeurs et en matière des civilisations, programmé par Moscou et par Rome qui montrent leur solidarité face à cette tendance dangereuse pour l’avenir même de l’Occident.
Commentaire. Il serait d’une platitude écrasante de dire que personne ne sait ce que l’avenir nous réserve. Mais prenons les choses pour ce qu’elles sont, à savoir : le Pape s’est définitivement prononcé sur la nécessité immédiate de se réconcilier avec l’Eglise Orthodoxe russe. Depuis belle lurette, la même manœuvre a été entamée par le Saint-Siège avec le Patriarche de Constantinople ce qui nous remet dans le contexte eschatologique. Selon les prédictions, les fidèles se rassembleront tous, juste avant l’Apocalypse. Cependant, au niveau paroissial, une très belle image est donnée par le prêtre orthodoxe de l’Eglise de la Sainte-Trinité en Antarctique. Située sur la base russe Bellingshausen, à l’extrémité sud de l’île du Roi-George (île Waterloo), dans l’archipel des Shetland du Sud, cette église – la seule église active du continent méridional – ne compte pas que des Russes parmi ses fidèles. Il y a des Chiliens catholiques qui, privés de leur propre église, viennent à la liturgie russe. A son tour, le curé russe a appris des prières en espagnol pour que toutes ces ouailles puissent prier ensemble. Amen !
Alexandre Artamonov, Radio orthodoxe Radonezh
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