En 2000, les Etats Unis et la Russie signent un accord bilatéral les obligeant à détruire le surplus de plutonium enrichi issus de la guerre froide, la normalisation des relations est-ouest conduisant à l’inutilité d’un potentiel nucléaire de cette ampleur. Il ne s’agit pas de l’enterrer ou de le mettre en attente, mais bien de le détruire. Au fur et à mesure des années, des protocoles additionnels et du virage agressif de la politique extérieure américaine, le contexte justifiant cet accord a disparu. La Russie en a pris acte, son exécution est suspendue, en attendant que cette nouvelle guerre, espérons froide, prenne à son tour fin. Décision qui a provoqué la colère des structures américaines, qui n’ont pourtant toujours pas mis en œuvre cet accord tel que négocié et officialisent la dimension stratégique du conflit
A l’approche de l’hiver, un froid glacial s’empare des relations américano-russes. De provocations en cynisme, les Etats Unis ont atteint leur but: la patience pourtant légendaire de la Russie a atteint les confins de l’acceptable pour le pays et elle répond d’égal à égal. Avec l’officialisation de la guerre froide latente depuis 2014, lorsque la Russie a osé faire prévaloir son intérêt stratégique national sur la géopolitique américaine à court terme, le monde bipolaire est ouvertement réinstallé. Ceci est le premier, et non le moindre, des effets collatéraux de l’irraisonnable politique internationale américaine ces dernières années.
A l’époque où la Russie ne prétendait pas encore à la défense de ses intérêts stratégiques à l’extérieur, un accord bilatéral fut signé avec les Etats Unis. Il prévoyait la destruction de 34 tonnes de plutonium enrichi, ce qui correspond à quelques milliers de têtes nucléaires, de part et d’autres de l’Atlantique. Si les accords initiaux prévoyaient la possibilité d’enterrer une partie infime de ce plutonium, dès 2010 de nouvelles négociations conduisirent à la décision de la destruction de la totalité des 34 tonnes et de leur transformation à des fins civiles. Pour cela, chaque pays devait construire une usine spécialement équipée. Les travaux en Russie eurent lieux, ils trainèrent tant et si bien aux Etats Unis, qu’ils n’en sont qu’au stade de la discussion et la Caroline du Sud ne voit toujours rien venir.
Finalement, les Etats Unis décident de changer le mode de “destruction”, à savoir d’enterrer leur excédent de plutonium. Ce qui est une violation directe de l’accord. Lorsque ce plan est présenté à la commission du Congrès, celle-ci le qualifie de stupide et ne voit pas pourquoi les russes devraient l’accepter. En effet, ça ne passe pas. Voir la vidéo:
Enterrer ce qui met plus d’un millier d’année à disparaître n’est pas un processus de destruction. Il suffit, au moment voulu, de le ressortir et de l’utiliser. Par oukase, le Président russe a tout d’abord immédiatement suspendu l’application de l’accord bilatéral, car il n’a aucun sens s’il est appliqué unilatéralement. La Russie devrait détruire, seule, le plutonium, réduisant d’autant sa capacité nucléaraire et créant de son plein gré un déséquilibre au profit des Etats Unis, qui eux vont simplement l’enterrer et peuvent donc le réutiliser plus tard. C’est un suicide que l’Etat russe n’envisage pas.
Afin de faire comprendre le message, le Président V. Poutine a déposé un projet de loi à la Douma expliquant les conditions auxquelles la Russie accepte de reprendre les négociations. La lettre explicative l’accompagnant est très claire à ce sujet, en voici un extrait:
Dans la période ayant suivie l’entrée en vigueur de l’accord bilatéral, les Etats Unis ont pris toute une série de mesures remettant en cause la situation sur le plan de la stabilité stratégique.
Sous prétexte de crise en Ukraine, l’on voit le développement de la présence militaire des Etats Unis en Europe de l’Est, notamment dans les pays qui ont accepté des bases de l’OTAN après 2000, date de l’entrée en vigueur de l’accord. En 2015, il y a 6 nouveaux points avancés de commandement des forces militaires basées en Bulgarie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie et Estonie. Leur but principal – assurer l’accueil de forces supplémentaires de l’OTAN en Europe de l’Est. Les forces militaires américaines présentes dans les pays baltes ont également été renforcées par l’aviation sur les aérodromes de l’OTAN. En Ukraine, des instructeurs venant des Etats Unis forment les membres de l’organisation interdite en Russie de Secteur droit.<
Parallèlement aux mesures prises pour modifier l’équilibre des forces militaires stratégiques, les Etats Unis ont pris des mesures destinées à porter atteinte à l’économie russe et aux droits des citoyens russes. Notamment, en 2012, les Etats Unis ont adopté la loi dite Magnitsky, selon laquelle les Etats Unis ont ouvertement pris le parti de la criminalité économique en Russie et en 2014 la loi concernant le soutien apporté à la liberté en Ukraine, qui prévoit une immixtion dans les affaires intérieures de notre pays. Par ailleurs, en 2014, les Etats Unis ont adopté des sanctions à l’égard de la Fédération de Russie, de certains de ses territoires, de certaines personnes morales et physiques.
Selon, le texte du projet de loi, ces actions prises par les Etats Unis ont totalement changé la donne et justifient de jure la suspension de l’accord bilatéral. La réponse asymétrique avancée par la Russie est tombée extrêmement juste, évitant ainsi de tomber dans le piège de la course à l’armement pour compenser un déséquilibre artificiellement créé. De plus, si la Russie stoppe le programme de destruction du plutonium militaire, elle interdit son utilisation dans un but militaire. Il sera stocké en attendant des jours meilleurs … ou du jour terrible où il risquerait d’être nécessaire.
Le ministre des affaires étrangères S. Lavrov, a parfaitement complété l’explication de texte: parler à la Russie sur le ton de la menace et collaborer avec elle uniquement lorsque cela sert les intérêts des Etats Unis n’est pas acceptable.
Ainsi, si les Etats Unis se retirent militairement de l’Europe de l’est au niveau existant en 2000, annulent les lois Magnitsky et sur le soutien de l’Ukraine, annulent les sanctions prises sans oublier de payer une compensation pour le préjudice causé, dans ce cas, la Russie est prête à reprendre les négociations sur la destruction du plutonium, à condition évidemment que les Etats Unis remplissent réellement leurs obligations.
Evidemment les Etats Unis se sont déclarés choqués, car ils remplissent toutes leurs obligations et ont parfaitement conscience du danger des armes nucléaires. Il est vrai qu’ils sont les seuls à en avoir une expérience pratique. En plus du Japon, mais les victimes semblent ne pas compter, puisque les Etats Unis ont toujours refusé de présenter leurs excuses officielles – ou même officieuses. En mesure de rétorsion, ils se retirent de l’accord de coopération sur la Syrie, accord que de toute manière ils n’appliquaient pas et dont ils voulaient sortir. Et pour continuer, ils accusent la Russie de s’attribuer des mérites qu’elle n’a pas dans la lutte contre le terrorisme, car elle n’aurait atteint aucun de ses buts. L’ambassadeur russe à l’ONU qualifie cette sortie de “manque de tact”. C’est le moins que l’on puisse dire.
Comment analyser la réaction des uns et des autres?
La Russie, en verbalisant des conditions aussi fortes, ce à quoi elle ne nous avait pas habitué ces dernières années, change sa stratégie diplomatique. Elle prend acte d’un changement géopolitique profond qui n’a rien de conjoncturel. C’est pourquoi l’élection américaine ne changera pas a priori la donne ou une énième conversation entre Lavrov et Kerry ne règlera pas le conflit. Pour cela, il faut revenir à un type de relations non-conflictuelles. Ce qui implique la levée des mesures de rétorsions prises contre la Russie et le retrait militaire au niveau auquel il se trouvait au moment de la signature de l’accord. Sans changement géopolitique, cet acord n’a pas de sens.
Du côté des Etats Unis, en se retirant de l’accord de coopération sur la Syrie en guise de réponse, ils confirment l’état des lieux des relations internationales. Le conflit entre la Russie et les Etats Unis est officiellement porté sur le plan stratégique et non conjoncturel. Il ne pourra donc être résolu que par la victoire ou le renoncement d’une des parties. Donc, les jeux continuent.
Karine Bechet-Golovko
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