Le procureur de la République de Crimée, symbole universel du « printemps criméen », personnage de manga japonais et, comme l’écrivent ses adorateurs, « incarnation véritable des espoirs enfantins en l’harmonie du monde », est une personne profondément croyante. Elle n’aime pas beaucoup la compagnie des journalistes. Ce qui m’a aidé à obtenir une entrevue, ce sont des ressemblances dans nos biographies : « Natalia Vladimirovna, nous sommes tous deux sur la même liste de personnes recherchées des services de sécurité d’Ukraine, on vous y a inscrite en mars, et moi en mai, vous me me refuserez pas une interview ! » Poklonskaïa n’a pas refusé, il me fallut attendre toute une semaine pour la rencontrer. Les procureurs de Crimée travaillent depuis un an presque sans jours de repos.
La cinquième colonne est présente. Mais discrète.
– Natalia Vladimirovna, le « printemps criméen » a presque un an et demi. Est-il resté ne Crimée des points sensibles sur lesquels on peut faire pression depuis l’extérieur ? Peut-on vraiment parler ici d’une véritable cinquième colonne ? J’ai eu l’occasion de voir des déclarations sur des drapeaux ukrainiens pendus en Crimée…
– Personne ne suspend de drapeaux ukrainiens. Comment font-ils, en fait ? Quelqu’un sort vite dans la rue, accroche le drapeau, on prend des photos, on fait une vidéo, on crie quelque chose pendant deux secondes, et ça y est, on tient son film. Pour les opposants, qui se trouvent loin des limites de la Crimée, c’est précisément un film qu’il leur faut : voilà une espèce de lutte des forces radicales ukrainiennes. En réalité, elles se tiennent tranquilles. Parce que même si elles ont à l’esprit d’échauffer la situation en Crimée, elles ont peur. La peur est présente. La peur du châtiment. Tout est écrit noir sur blanc dans le code pénal, et dans le code administratif également.
– Avez-vous des exemples dans votre pratique ?
Par exemple, le 2 mai, Djemilev (ancien président du Mejlis des Tatars de Crimée, parti vivre à Kiev. L’auteur.) a essayé de franchir la frontière pour venir ici, quelques représentants sont allés à sa rencontre, il y a eu des désordres massifs. Eh bien voilà, nous en avons déjà jugé trois. Chacun d’eux a demandé pardon aux collaborateurs des forces de l’ordre, s’est repenti et a dit qu’en effet, on les avait induits en erreur. Djemilev crie sans arrêt : allez, coupons l’électricité à la Crimée, ça suffit de les ménager, coupons leur l’eau, qu’ils périssent tous là bas ! Mais quelle sorte de chef peut vouloir cela pour son peuple ?
– C’est-à-dire que dans l’acception habituelle du terme, il n’y a pas de cinquième colonne ?
– Ici, tout va bien, tout est stable.
Un accent tataro-ukrainien
– Avez-vous pu venir à bout, sur le plan légal, des réquisitions sauvages de terrains par les Tatars ? Du plus loin que je me souvienne, si j’entends le mot « Crimée », le mot suivant sera « réquisition sauvage ».
– Des poursuites judiciaires ont été engagées contre Guemedji, le représentant de la diaspora des Tatars de Crimée. Il exhortait les gens : « Prenez des terres, je légaliserai tout, il faut telle somme ». On lui a apporté de l’argent ils ont installé des espèces de petites maisons cubiques. Il en a roulé tellement ! Nous avons entamé des poursuites judiciaires. Au cours de l’enquête, Guemedji a rendu à chacun son argent, s’est excusé, repenti. Il n’y a plus d’amateurs de réquisitions. Ils avaient pensé : il y a prescription, ou encore autre chose, ou bien le pouvoir aura peur de les toucher. Non, personne n’a peur. La loi est la même pour tout le monde. Pourquoi certains auraient-ils le droit de s’approprier un terrain et les autres non ? Cela n’est pas correct. Cela peut générer une division dans la société.
Ce n’est pas possible. Tout le monde reçoit des terrains en conformité avec la loi. Et toute la terre, nous l’avons remise en propriété républicaine. Les gens ont démoli les bâtiments de leur propre initiative.
– J’ai remarqué que par rapport à l’année dernière, il y avait moins de petits hangars le long des routes. Et aucune guerre civile n’a débuté sur la presqu’île.
– Il y a une spéculation artificielle. Ici, les gens ne vont pas sur les places crier : renversez le pouvoir. Nous n’avons pas ça. Tout le monde trouve du travail. Et à l’exemple de la procurature : le quart de nos collaborateurs sont des Tatars de Crimée.
– On voit ça et là des drapeaux tatars. J’en ai vu sur les maisons, dans les voitures.
– Et qui interdit l’usage des drapeaux tatars ? Personne ne l’interdit. Mais l’usage des drapeaux chez nous est réglementé par la loi : où on peut en suspendre, où on ne peut pas, en quelles occasions. Nous l’expliquons aux gens, et ils le respectent.
Nous avons une seule loi pour tous, nous n’avons pas de privilèges, ou au contraire de brimades basés sur des critères nationaux. La langue ukrainienne, je vous en prie, ouvrez un document officiel, des formulaires-types : c’est en russe, en ukrainien, en tatar. Comme il est écrit dans la constitution. Simplement maintenant, les gens supportent mal d’entendre la langue ukrainienne.
Je peux donner ceci comme exemple. L’année dernière, à la fin de l’été, nous avions des réfugiés du Donbass. Nous sommes allés au village de Mazanka, on y avait organisé un camp de réfugiés. Nous avions apporté des cadeaux aux enfants, des jouets. Voilà, et il y avait aussi des sœurs du monastère. Et le prêtre dit : allez, chantons une chanson, mais en ukrainien. Les gens commencèrent à lui dire : il vaut mieux pas. Les sœurs chantèrent quand même en ukrainien. Une jeune femme avait un petit enfant dans les bras, elle était en pantoufles (elle avait fui telle qu’elle était). Vous savez, les larmes coulaient. Parce qu’ils aimaient cette langue. Mais seulement, avec les actes qu’on accomplit en Ukraine, les meurtres de civils qui ne sont coupables de rien… S’emparer d’une maison, la ruiner, la détruire… L’enfant avait les bras et les jambes amputés. On fait des choses si terribles. Les gens voient bien tout cela. Bien sûr, ils ont l’âme pleine de dégout. Pourquoi agir de la sorte ? Car la langue ukrainienne est belle, chantante, elle est chère à certains…
« L’euphorie a pris fin, la frénésie a commencé»
– J’ai parlé avec beaucoup de gens, en Crimée, ils se plaignent principalement de ce qu’on n’a pas réussi à renverser complètement l’appareil administratif. Il reste beaucoup de gens qui se sont enfuis du parti des régions de Ianoukovitch, et se sont vite refait une beauté. Et ces dernières semaines, vous avez eu ici des arrestations retentissantes de gouvernants du premier échelon. Les forces de l’ordre ont entendu ces plaintes ?
– Ces arrestations, si retentissantes et actuelles, c’est le résultat du travail du bloc des gardiens de l’ordre. Et je considère que c’est un très bon résultat. L’enquête se déroule, et par la suite, les activités ou l’absence d’activité des fonctionnaires concernés seront appréciées à leur juste valeur. Et que les autres pensent à travailler pour le bien de la république, et non pour celui de leur poche ! Parce que la Crimée doit devenir un modèle. Et nous y arriverons, qu’on le veuille ou non. Voilà que demain est un jour de congé, et nous travaillons quand même.
Depuis le moment du référendum, ce n’est plus ici l’euphorie mais la frénésie. Je peux le dire pour moi, la frénésie n’est pas passée. Depuis que nous sommes entrés dans ce régime, nous ne nous arrêtons plus. Car le temps n’est pas venu de nous arrêter, de nous relâcher et de dire : enfin, tout s’est bien passé. Prendre des vacances ? Quelles vacances ? Tu prends 10 jours de vacances, et tu les passes ici, derrière ton bureau.
– Vous avez personnellement, en tant que haut fonctionnaire, un but supérieur, dans cette frénésie ?
– Je veux que les gens réagissent favorablement à la procurature. Et que le gouvernement du pays voit qu’il ne s’est pas trompé sur la Crimée. Et là, il faut faire un choix : ou tu penses à toi, ou tu penses à ta fonction.
«Dieu merci, il y a les sanctions»
– C’est en Crimée que j’ai pour la première fois ressenti l’effet des sanctions occidentales. Je n’ai plus d’argent liquide. Et les distributeurs automatiques ne prennent pas ma carte… Vous avez ressenti vous-même des limitations ? Vous êtes en effet sur la liste personnelle de sanctions de l’Occident. Ou bien est-ce vraiment en dehors de vos préoccupations ?
– Mais je veux remercier l’Occident pour les sanctions. Car c’est une bonne estimation de mon travail en faveur de la Russie. C’est qu’ils me craignent autant que la Russie ! Oui, Dieu en soit loué, nous avons les sanctions. Ils ont là bas les mariages homosexuels, une dégradation morale complète, la décomposition d’absolument tout. Les sanctions peuvent être une motivation pour que les fonctionnaires développent ici le tourisme, les lieux de villégiature, et mettent tout en ordre. Qu’ils comprennent qu’ils ne pourront pas eux-mêmes filer se reposer dans les îles lointaines, à cause des sanctions. Faites que tout soit beau ici. Et personnellement, je ne souffre pas du tout de ces sanctions.
«Les gens du Donbass racontent qu’on les appelle des sous-hommes»
– J’ai remarqué qu’en Crimée, les gens ont l’air de craindre ou de ne pas vouloir discuter de ce qui se passe en Novorussie. Ils se referment aussitôt. Vous suivez ce qui se passe là bas ?
– Oui, bien sûr que je le suis. Qui plus est, j’y ai des amis. Le Donbass, c’est ma patrie. C’est ma terre. Une terre ingrate. Là bas, c’est la travail infernal, les mines, les usines. Mon père a travaillé 13 ans à la mine, je sais ce que c’est. Je sais combien vivre là bas n’est pas simple, même d’après mes souvenirs d’enfance. Mon arrivée en Crimée, c’était quelque chose de lumineux, le soleil, tout est clair et coloré. Alors que le Donbass, c’est dur. Il n’y a aucune écologie, là, bas. Et voilà que boum ! Les gens ont pris ce paquet sur la tête.
Les gens ne veulent pas en parler, en Crimée, parce qu’ils ont peur. Et il n’y a pas à cela d’explication logique… Dans l’ensemble, c’est la complète incompréhension : pourquoi une telle impunité et pourquoi ne voit-on pas, dans le reste du monde, ces meurtres terribles, ces crimes terribles ? Les gens du Donbass qui sont venus à mes réceptions m’ont dit qu’en Ukraine, on les appelle des sous-hommes. Une petite fille se repose chez nous, à Eupatoria, elle se soigne. Elle a 11 ans. Elle roulait avec ses parents. Ils sont tombés sous un bombardement. Son papa, sa maman sont morts. Elle a une blessure à la tête. On l’a opérée. A la place du crâne, on lui a mis une plaque. Elle a 11 ans ! Dieu merci, elle a survécu. Ces yeux d’enfant, ils ne sont déjà plus enfantins, à l’intérieur. C’est une personne qui a subi une douleur épouvantable. Elle se pose sûrement la question : en quoi papa et maman étaient-ils coupables, et moi-même, à proprement parler ? Dites-moi, de quoi sont coupables les gens du Donbass devant le gouvernement ukrainien ? Ils ne sont coupables de rien. Je souhaite et je veux que tout se rétablisse selon la volonté de Dieu. Qu’à un moment, les gens s’arrêtent simplement et regardent autour d’eux, ce qu’ils ont fait. Il n’est peut-être pas encore trop tard pour sauver une partie du peuple. Car ce n’est qu’un seul peuple, l’Ukraine, la Russie, la Biélorussie. Un peuple fraternel.
– L’Ukraine pourra-t-elle se purifier par la souffrance, revenir à elle ? Ou bien sera-ce tout de même un processus de paix des concessions réciproques ?
– Il me semble que ce n’est pas en notre pouvoir, que c’est une sorte de lutte entre le bien et le mal. Il faut seulement se souvenir des commandements de Dieu. Compatir avec les gens, déjà avec ceux à qui on a causé de la douleur.
E, fin de compte, l’histoire se fait elle-même. Il nous faut nous rappeler que celui qui ne se souvient pas de sa propre histoire et ne sait pas en tirer de leçons n’a pas d’avenir. L’Ukraine et l’Amérique, ce ne sont pas des peuples frères. Le peuple fraternel, c’est nous tous ensemble. Ensemble depuis des siècles et des générations. Nous sommes un tout.
– Tout le monde connaît votre relation particulièrement intense à la famille du dernier empereur russe. Pourquoi ? Vous croyez au retour de la monarchie ?
– Quand fut renversé notre souverain Nicolas Alexandrovitch fut commis un crime absolument affreux. Et fut commis l’épouvantable et bestial assassinat de toute sa famille. Ce qui est le mieux, et ce que nous aurons, une monarchie, une république, ce n’est pas du tout mon affaire. Vous savez, quand on a tué la famille impériale, une moniale a eu la vision qu’elle descendait dans le sous-sol de l’église à Kolomenskoïé et trouvait une planche « noire », la lavait, pour que la planche « devint rouge » et elle vit que c’était une icône de la sainte Mère de Dieu. Et l’on a vraiment trouvé une icône de la Mère de Dieu « du Pouvoir », dans le sous-sol de l’église. Il y avait un sens profond à cette trouvaille. Après l’assassinat de la famille impériale, la très sainte Mère de Dieu a pris en main le gouvernement de la Russie. Dans son voile rouge, l’Enfant sur le bras, elle protège notre Russie et la conduit. Et Dieu veuille que tout nous réussisse.
Propos recueillis par Dimitri Stéchine pour Kp.ru
Traduction Laurence Guillon
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