Ce 12 mai, avec une amie, nous sommes allé de nouveau à la rencontre de la communauté musulmane d’Oktyabrsky qui nous avait invité aujourd’hui dans la mosquée de Donetsk située dans leur quartier bombardé.
Alors qu’en France la communauté musulmane, médiatiquement prise en otage par un salafisme extrémiste cachant la forêt des vrais croyants, est soit instrumentalisée soit diabolisée, dans un monde russe majoritairement chrétien orthodoxe, l’identité musulmane est ici dépassionnée tout en étant vécue normalement intensément et en parfaite harmonie avec les autres communautés civiles ou religieuses.
La vraie question que devrait se poser la société occidentale moderne qui a oublié les musulmans couchés dans ses cimetières militaires, n’est pas quelles réponses apporter aux problèmes sociétaux religieux qui entourent cette communauté, mais pourquoi ils existent en Occident seulement aujourd’hui mais pas en Russie par exemple … La réponse est peut-être plus à chercher plus du coté occidental et politique que du côté oriental et religieux, par exemple dans les soutiens néocolonialistes actuels au terrorisme salafiste, dans l’abandon des valeurs civilisationnelles qui cimentent une cohésion sociétale en imposant à toutes les communautés à la fois force, respect et protection etc., mais ceci est un autre débat…
Principalement composée de tatars, cette communauté d’Oktyabrsky nous a accueilli les bras ouverts, nous invitant à suivre l’office religieux avant de partager un thé et des gateaux au rez de chaussée d’une mosquée moderne qui abrite, outre la salle de prière, une bibliothèque, un dortoir, une salle à manger et cuisine, des bureaux, ainsi qu’une école coranique…
Avant la guerre, cette communauté musulmane dans l’oblast de Donetsk était estimée à environ 7000 personnes, dont certaines familles venues du Tatarstan ou du Daghestan russes se sont implantées depuis plus d’un siècle dans le Donbass. Les salles de prière étaient alors organisées dans les lieux privés des uns des autres, jusqu’à ce que la Turquie réalise cette mosquée, dont la construction a été financée par le milliardaire Rinat Akhmetov, lui même tatar et musulman et qui a exercé un fort mécénat dans ce quartier nord de Donetsk dont il est originaire (école, hôpital, etc…)
Quand la guerre éclate, la communauté se retrouve en première ligne, surtout le secteur de sa mosquée qui a été construite à l’Ouest d’Oktyabrsky (en 1994) entre Peski et l’aéroport, à quelques centaines de mètres seulement d’une ligne de front particulièrement active. Autour de la mosquée les immeubles et les maisons sont frappés de plein fouet depuis 3 ans, l’immense piscine et le marché voisins sont détruits par les bombardements…
Mais la coupole et ses 2 minarets couleur émeraude survivent depuis 3 ans aux orages d’acier quotidiens malgré des éclats qui régulièrement viennent crever les fenêtres ou griffer les murs.
Au moment des premiers bombardements ukrainiens, de nombreuses personnes quittent le quartier pour se réfugier dans le centre ville, en Russie ou pour quelques unes en Ukraine où elles ont de la famille.
Le quartier devient alors un champ de ruines où seules quelques personnes, par choix ou obligation, tentent de survivent. Lorsque le front se stabilise et malgré la poursuite des bombardements du secteur, la vie revient peu à peu autour et à l’intérieur de la mosquée que les fidèles avec des amis et voisins déblaient et réparent. Ce lieu de culte, devient même un centre d’accueil pour les personnes ayant perdu leur logement ou qui ne peuvent plus subvenir à leur subsistance…
Au milieu de l’esthétique ésotérique d’une calligraphie arabe ornementale, l’Iman Rushan nous accueille les bras ouverts et le coeur sur la main, nous expliquant par l’exemple comment, avec une poignée d’hommes et de femmes restés ici depuis 3 ans, la survie s’est organisée sous les bombardements.
Ici, la “Zakat”, ce soutien financier qui est un des piliers de la foi musulmane, a pris avec la guerre une dimension élevée, vitale et urgente…
“Ceux qui n’ont rien ne donnent rien mais ceux qui ont de l’argent doivent partager avec les premiers, c’est un devoir sacré qui doit être fait pour aider tous ceux qui sont dans le besoin et ce quelle que soit leur communauté car tous nous sommes les fils du divin quel que soit le nom qu’on lui donne” souligne Rushan, cet homme de foi, imam humble au sourire accueillant qui tient à nous offrir lui même le thé de l’hospitalité au coeur de son sanctuaire…
Dans les conversations qui vont bon train, la guerre, bien sûr occupe les esprits mais surtout aussi les aides à apporter aux voisins, aux amis, aux enfants que côtoient les membres de cette communauté qui évacuent les pollutions politiques et propagandistes pour ne considérer ici que la détresse appelant à une solidarité responsable.
Ces femmes et ces hommes aux allures discrètes et aux sourires chaleureux, à l’image de “l’auvergnat” de Brassens invitent passant, et voisin, et bien au delà d’une déclinaison religieuse particulière en passant toutefois à travers elle, à venir s’abreuver à la source d’un humanisme universel. (mais non universaliste).
Je remercie Rushan, Khalima, Kamil et toutes ses femmes et ses hommes de l’accueil à la fois simple et chaleureux qu’ils nous ont réservé, qu’ils soient assuré de mon amitié et respect les plus sincères .
En début d’après midi, nous quittons cette mosquée qui depuis les bombardements de Kiev est devenue pour beaucoup un oasis de paix et de réconfort, et nous nous engageons dans le désert de ruines calcinées, salués une dernière fois par des invitations à revenir encore à l’ombre de ces minarets accrochant le soleil, pour partager un nouveau thé fraternel et un bouquet d’espérances qui dans les coeurs d’Oktyabrsky ne fane jamais…
Un grand merci également à Yulia, cette habitante et amie courageuse qui a choisi depuis 3 ans de rester sous les obus dans ce quartier où elle est née et a grandi et qu’elle porte au plus profond de son coeur.
Guide des rues de son enfance et traductrice patiente et dévouée, Yulia m’aide depuis des mois à rencontrer ces hommes et ces femmes exceptionnels du Donbass, comme ces tatars d’Oktyabrsky, qui humblement et quotidiennement, par le respect et le partage nous montrent ce qu’est la vraie noblesse de coeur.
Erwan Castel, pour Novorossia Today