Ce mercredi 28 janvier avait lieu dans les locaux de l’institut de la démocratie et de la coopération une conférence sur le thème : « La Turquie d’Atatürk à Erdogan : quelles évolutions ? »
Participaient à cette conférence, le Professeur Darko Tanaskovic, ambassadeur de la Serbie auprès de l’UNESCO et auteur de l’ouvrage, «neo-ottomanism» (Belgrade Civis 2010), Fabrice Monnier, auteur de «Atatürk, naissance de la Turquie moderne» (Paris CNRS édition, 2015) et Victor Nadein-Raevskiy, chercheur à l’institut de l’économie mondiale et des relations internationales (Moscou) et bien sur sous la présidence de Madame Natalia Narotchnitskaïa, présidente de l’I.D.C. Et ancienne député à la Douma.
En introduction, Madame Narotchnitskaïa présenta ses invités, ainsi que les représentants de l’ambassade turque (présents dans l’assemblée) et nous gratifia d’un petit résumé géopolitique des relations entre la Turquie et l’Europe. Elle nous livra également son sentiment sur l’abandon par l’actuel régime, de la voie tracée par Atatürk pour s’engager vers une nouvelle direction, celle du néo-ottomanisme. Madame Narotchnitskaïa rappela également que le «revival» du pan-turquisme réapparut et se développa à l’aube des années 90 à la chute du mur de Berlin et de l’effondrement de l’Union Soviétique.
Ce fut ensuite à Mr Fabrice Monnier de nous présenter sa vision de l’évolution de la géopolitique turque. Monsieur Monnier insista sur le fait que la politique turque a toujours été expansionniste. Que la Turquie, même sous le nationalisme kémaliste, était toujours conquérante. Il nous rappela, par exemple, l’interventionnisme des kémalistes au delà de l’état nation turc, que ce soit à Mossoul ou Alexandrette. Monsieur Monnier mit en parallèle ces interventions à visée expansionniste avec l’actuel politique du régime de Recep Tayyip Erdogan dans le Kurdistan irakien en faisant allusion, notamment, aux revendications envers le Vilayet de Mossoul… région, comme chacun sait, très riche en pétrole…. Le néo-ottomanisme de Monsieur Erdogan cherchant à réussir la où les kémalistes avaient échoué, c’est à dire reprendre Mossoul.
Ensuite le professeur Tanaskovic évoqua avec érudition, l’histoire turbulente de la Turquie en relevant ses incessantes continuités et discontinuités, ses conquêtes et ses reculs, sa politique tantôt agressive tantôt sereine. Le professeur Tanaskovic insista, par contre, sur une constante de la politique turque au cours des siècles : sa stratégie expansionniste (qu’elle soit guerrière, linguistique, culturelle ou économique). Stratégie représentée aujourd’hui, selon le professeur, par le néo-ottomanisme développé par le régime de Monsieur Erdogan. Un néo-ottomanisme nié par les chancelleries occidentales, la Turquie étant, pour nos élites, un exemple de république musulmane et moderne. Le professeur insista également sur la synthèse idéologique, mis en place par le régime Erdogan, les premières années, amalgamant islamisme, kémalisme et impérialisme. Cet équilibre tend à disparaître petit à petit, pour laisser place, de plus en plus, au premier point de ce «triptyque», l’islamisme de moins en moins modéré.
L’intervention suivante fut plus concentrée sur l’histoire turque des XXème et XXIème siècle, sur la naissance du Kémalisme et sur les changements apportés par cette idéologie. Tout d’abord, ce fut l’abandon de la politique pan-turquiste d’expansion pour ériger un nouvel état moderne, ensuite ce fut la mise à l’écart du clergé de toutes les sphères du pouvoir et bien sur la mise en place de la laïcité. Malgré tout, Atatürk se lança également dans une réforme ambitieuse de la langue afin de faciliter les communications entre populations turcophones au delà des frontières des états nations. Ce dernier point, pour Mr Nadein-Raevskiy, réactiva une forme de pan-turquisme basé sur la langue.
Ensuite notre dernier orateur, rappela les premières années du régime Erdogan en évoquant ses prises de position. Tout d’abord en faveur de la population Kurde avec la possibilité de parler leur langue, avec l’ouverture de journaux, radios, télés en langue Kurde et sur les négociations avec le leader Kurde Öcalan. Monsieur Nadein-Raevskiy insista également sur les relations entre Erdogan et Gulen, sur leur lune de miel idéologique et sur la mise en place de la part de Gulen d’un véritable renouveau estudiantin. Ce renouveau créa une nouvelle génération de jeunes turcs, une nouvelle élite avec une vision du monde très influencée par l’islamisme de Gulen. Puis Monsieur Nadein-Raevskiy se montra plus vindicatif envers Recep Tayyip Erdogan et se livra à une charge virulente contre le régime turc actuel, accusant notamment le président Turc de multiples traîtrises aussi bien envers ses alliés (en l’occurrence Gulen) qu’envers ses partenaires économiques (évoquant de manière à peine voilée, le dossier Turkish-stream). Mr Nadein-Raevskiy s’éloigna du sujet de la conférence et évoqua la traitrise de l’état turc suite à la destruction du bombardier russe en Syrie, accusant ouvertement la Turquie de guet-apens prémédité avec l’appui de ses alliés de l’OTAN…
Ce fut certainement ces derniers propos qui provoquèrent la colère noire de l’attaché de l’ambassade turque de Paris…qui pris la parole à son tour, afin de dénoncer les «accusations calomnieuses» faites à son pays et à son gouvernement. Ce Monsieur se lança ensuite dans une charge immodérée contre la Russie et son président, les accusant de violer les frontières de leurs voisins (faisant allusion à l’Ukraine), de massacrer de nombreux civils (en Syrie)… des crimes que la Turquie, quant à elle, ne commettait pas (sic). La jeunesse de cet attaché d’ambassade, probablement, lui faisait oublier le génocide arménien, les massacres des populations grecques, l’occupation de la partie Nord de Chypre mais aussi les actuelles incursions de l’armée turque en Irak ou en Syrie. Suite à cela, la délégation turque quitta la salle….laissant le soin à Mr Nadein-Raevskiy de terminer la conférence en nous mettant en garde contre le soi-disant islamisme «modéré», qui selon lui….n’existe pas !
Bernard Decocq
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