Professeur agrégé de philosophie et essayiste, Yannick Jaffré grandit à Nantes où il fait une bonne partie de ses études, qu’il poursuit ensuite à Strasbourg et à Paris. Il devient professeur de philosophie en 1999 et occupe un premier poste à Marseille, puis à Grande-Synthe, en «zone sensible », dans l’agglomération de Dunkerque. C’est ici que cet enfant de 68 confirme en lui le sentiment que le «vivre ensemble multiculturel», exalté par le système, est parfaitement intenable.
Cette prise de conscience l’incite en 2000 à rejoindre Jean-Pierre Chevènement, à la campagne présidentielle duquel il participe.
En 2012 il se rapproche de Marine Le Pen. A la demande de celle-ci, il préside de mai 2013 à octobre 2015 le Collectif Racine des enseignants patriotes. Il quitte le Front National en 2015, considérant que le travail collectif y était entravé par l’entourage de Marine Le Pen.
Russophile dans l’âme, Yannick Jaffré est également l’auteur de l’essai « Vladimir Bonaparte Poutine » paru en 2014 aux Éditions Perspectives Libres, ouvrage de philosophie politique et billard à trois bandes nous menant du Consulat de Bonaparte à la Russie de Poutine pour revenir à la France contemporaine.
C’est désormais au travers de son blog « Sévèrement Français ! » qu’il poursuit cet ouvrage métapolitique.
Novorissia Today : Le couple Magué a tout récemment offert à la veuve du jeune officier tombé à Palmyre, Alexandre Prokhorenko, des médailles de famille (une croix de guerre 39-45 et une légion d’honneur). Que vous a inspiré ce geste?
Yannick Jaffré : C’est un geste émouvant, qui m’emplit en même temps d’une certaine mélancolie. A sa petite échelle, il renoue entre les deux pays des liens que les élites françaises veulent distendre ou même trancher ; il rapproche aussi symboliquement les générations des deux pays devant l’ennemi commun, d’hier et d’aujourd’hui ; il rappelle enfin la condition militaire du politique que le gaucho-libéralisme ambiant fait sortir de notre champ de vision. Tandis que nos soldats meurent dans l’anonymat, loin de nos regards, les Russes honorent les leurs plus personnellement. En faisant don à sa veuve d’une croix de guerre et d’une légion d’honneur familiales, les époux Magué ont donné pour nous un visage au soldat Alexandre Prokhorenko. Encerclé par les djihadistes de Daesh, il a commandé à l’aviation russe un tir sur sa propre position. Héros de guerre par le sacrifice conscient de soi, il serait resté, sans les Magué, dans les ténèbres médiatiques françaises. Ils l’ont remonté par leur initiative vers les limbes, la pleine lumière étant, hélas, réservée au migrant, à l’antifa et à Bernard-Henri Lévy.
Par delà cette partialité habituelle des médias français, ma mélancolie vient du contraste entre la noblesse de ce dialogue – le président Poutine ayant fait écrire une réponse reconnaissante aux Magué -, et la misère symbolique dans laquelle nos élites plongent l’histoire de France. Si une mobilisation énergique des internautes patriotes a empêché le rappeur francophobe Black M de salir à Verdun la mémoire des poilus avec son « ambiancement », le grand cimetière a quand même été le théâtre d’un pathétique « flash mob » de MJC. Devant le spectacle de ces jeunes courant entre les tombes, on a mesuré, une fois de plus, combien nos élites ont perdu tout sens de gravité historique. Privé de cette oreille interne, on perd pied, on titube, on s’agite comme un coq sans tête dans un espace sans profondeur. On est Hollande. Que le coq français retrouve une tête, d’urgence !
En tenant compte du nihilisme mercantile qui s’empare d’une partie de sa population, la Russie présente un autre bilan de santé. Ayant connu il y a 25 ans un changement radical de régime, au terme d’un XXe siècle convulsionné, les Russes conservent une conscience aiguë de la violence de l’histoire. Peuple de tradition entre tous, on n’imagine pas chez eux la « cérémonie » de Verdun, ni d’ailleurs nos processionnaires de la place de la République qui « luttent » contre Daesh à coups de bisous. D’où ma mélancolie devant ce couple de vieux Français de toujours, plus vivant que tant de jeunes. Mais ne cultivant pas le goût douteux de chanter sur les ruines, je ne cède pas à l’élégie. Je suis profondément convaincu que cette sensibilité est encore ancrée en France chez les invisibles majoritaires, et que les Magué ne sont pas une île perdue dans un océan d’oubli. Après tout, j’ai bien été pris moi-même dans l’idéologie post-nationale des années 80 et j’en suis sorti – sauf, net et patriote !
Pour s’élever au plan méta-historique, il y a une loi ou, plus exactement, une contre-loi qui commande la vie des temps : aucune époque n’est jamais parfaitement synchronique (la preuve par les Magué), et jamais aucun pouvoir n’a conquis une hégémonie sans failles. Reste qu’on peut se faire exploser, à l’échelle d’une vie d’homme, par le dominant de l’heure. Les témoignages moraux ne suffiront pas…
Novorossia Today : L’année dernière François Hollande avait, à l’instar d’Angela Merkel et de Barack Obama, décliné l’invitation de la Russie à venir assister aux célébrations du 70ème anniversaire de la victoire des troupes soviétiques sur l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre Mondiale. Une attitude prévisible selon vous ?
Yannick Jaffré : Je vois dans cette attitude un lamentable manque de sens diplomatique et surtout, plus profondément encore, de magnanimité au sens littéral. Les élites françaises, président de la République en tête, ne sont pas animées par ce sens du grand qui propulse, au-dessus des conflits actuels, vers les horizons du temps long. C’est-à-dire le temps des peuples avec leurs héros, leurs œuvres collectives et, en l’espèce, leurs alliances passées. Être magnanime ne signifie pas, pour un chef d’État, qu’il élude les antagonismes présents – et le gouvernement français est libre d’avoir tort en ostracisant la Russie. Mais il revient aux dirigeants de respecter le passé et l’honneur des nations – ce qui permet aussi de ne pas insulter un avenir dont nul ne sait de quoi il sera fait…
En l’occurrence, passant sur l’affront, le président Poutine a rendu hommage, lui, aux Alliés en général et à Normandie-Niemen en particulier. Dans un discours de haute tenue, magnanime donc, il a placé les dirigeants français sous un cruel contraste révélant leur nanisme politique. Hollande devrait s’inspirer de De Gaulle et de Mitterrand qui séparaient (avec toutefois plus d’évidence et de légitimité pour le premier que pour le second…) le Pétain de Verdun et celui de 1940-44. Dans cet élément du verbe et de l’histoire, on m’objectera qu’un médiocre peut toujours emprunter les habits de la grandeur. Et c’est en effet ce qui advient depuis Sarkozy au moins qui, récitant des discours écrits par plus cultivés, rappelait à lui les mânes de Jaurès et de la Résistance. Faut-il être extra-lucide pour voir qu’elles n’ont jamais animé ce parvenu « bling-bling » des années 80 ? Si je voulais être optimiste, je dirais, en démarquant La Rochefoucauld, qu’il rendait alors l’hommage du vice communicationnel à la vertu politique. Mais il y a tout de même des limites au transformisme. On reste fatalement ce qu’on est, et le Fouquet’s a délivré la vérité de toutes les parades commémoratives dans le maquis du Vercors. Pour revenir à notre affaire, Hollande et son gouvernement n’ont pas été dans cette circonstance inférieurs à eux-mêmes. C’est dire le niveau…
Novorossia Today : À l’issue du dernier sommet du G7 qui s’est tenu au Japon, les 26 et 27 mai derniers, les leaders des pays membres se sont exprimés pour le maintien de la politique des sanctions à l’égard de la Russie. Que penser d’un tel acharnement ?
Yannick Jaffré : A cette mesquinerie symbolique que j’évoquais à l’instant s’adosse en effet la politique des sanctions poursuivie contre la Russie. Elles sont aussi agressives qu’impuissantes. Témoins de l’échec complet de la stratégie atlantiste en Ukraine, elles éloignent la France de la Russie, de ses ressources, de sa profondeur continentale et de sa puissance diplomatico-militaire – éclatante en Syrie. Par le jeu des contre-sanctions russes, elles nuisent en outre à des pans entiers de notre agriculture et de notre industrie. Enfin, servant l’erratique camarilla kiévienne, elles retardent cet indispensable renversement d’alliance qui, faisant renouer la France avec la Russie, ne l’y soumettrait aucunement : la France possède une capacité de projection mondiale, maritime éminemment, qui lui donne les moyens de la liberté. Pour peu qu’elle le veuille.
Mauvaises pour nous, ces sanctions sont-elles nocives pour la Russie ? Elles ont bien occasionné quelques dégâts dans l’économie russe mais, rapportées aux objectifs euratlantistes, elles ont échoué. J’ai montré dans mon ouvrage Vladimir Bonaparte poutine, Essai sur la naissance des républiques, paru en avril 2014 aux éditions Perspectives libres, que la Russie n’était pas sujette au fameux « syndrome hollandais ». Un pays en est atteint quand l’une de ses ressources, généralement énergétique, lui assure une rente qui rétracte sur elle l’activité productrice. L’économie russe est en réalité bien plus diversifiée que ses adversaires le prétendent (ainsi dans les services, les technologies, nouvelles et de pointe, l’industrie automobile). Mais il est vrai aussi qu’elle souffre de carences liées à la faculté importatrice que sa rente pétrolière lui assure. C’est notamment le cas dans le secteur agricole qui, avec quelques autres, pâtissait d’un manque d’entraînement politique. Or les sanctions ont pour la Russie cet effet paradoxal, et vertueux, qu’elles la forcent à développer son agriculture.
Bref, tandis que les États-Unis ne pâtissent pas pour eux-mêmes de cette faible politique, celle-ci enfonce la France dans un atlantisme (presque) sans Américains. Alors que leur maître détourne ses regards d’une Europe qu’il contrôle en pilote automatique, les dirigeants européens continuent de servir une conception de l’ordre mondial remontant à George Bush Sr. Refusant de voir que le Protectorat américain a vécu, que les États-Unis sont désormais un problème plus qu’un appui, ils persévèrent dans leur servitude volontaire. C’est pitié pour la République de France ! Mais il y a des initiatives qui visent à renouer avec la Russie pour penser et agir dans la nouvelle configuration du monde – à renouer, je le précise, en fonction de l’intérêt national français. Je pense notamment au Cercle Pouchkine de mon camarade Pierre Gentillet qui réunit, avec un succès réconfortant, des conférenciers de qualité devant un public aussi nombreux que varié.
Novorossia Today : Selon le journaliste suisse, Guy Mettan, ancien directeur et rédacteur en chef de La Tribune de Genève, auteur de “Russie-Occident, une guerre de mille ans : La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne”, paru en 2014, les Jeux olympiques de Sotchi, furent l’événement déclencheur de ce décalage entre la réalité du pays et l’image véhiculée par les médias. Êtes vous d’accord avec ce constat ?
Yannick Jaffré : Je n’ai pas encore lu cet ouvrage mais, connaissant un peu la question, il existe en effet une représentation négative de la Russie qui, remontant au schisme orthodoxe, s’approfondit à partir du 18e siècle. Et je trouve salutaire de démonter certains stéréotypes pour rendre justice à la réalité de ce grand pays. Tout particulièrement dans le contexte actuel où la russophobie des élites atlantisées prend un tour hystérique. Eltsine était inoffensif, Poutine leur dame le pion, et les euratlantistes « jacques-attaliens » convulsent !
Mais, soyons justes, la Russie n’est pas totalement innocente de l’image noire qui s’en est formée en Occident. Depuis Ivan le Terrible, un État violent, laboratoire totalitaire, des mœurs rugueuses et un univers social impitoyable par certains aspects, ont été le revers d’une littérature sublime, d’une science puissante, d’une hospitalité profonde et d’une spiritualité vivante. Custine et Hergé n’ont pas eu tort sur tout, et on n’est jamais meilleur russophile qu’en évitant d’être « russomane ». En revanche, à figer ces traits négatifs, à enfermer la Russie dans une veine de son passée, on s’interdit de comprendre la Russie poutinienne. Passionnante, paradoxale, dynamique et substantielle, « moderne-tradi », elle mérite mieux que les caricatures financées par George Soros. Elle métabolise toutes ses traditions politiques, morales et culturelles. L’ours de la steppe, ayant renoncé à tout messianisme, opère une mue extraordinaire. Assumant son immense territoire et sa faible population, la Russie est redevenue par elle-même, son peuple et ses élites, un acteur de l’histoire mondiale. C’est un véritable miracle, si l’on se souvient de son état en 1998.
Si je peux dire un mot de ma relation personnelle à la Russie, je pratique avec elle l’amour libre ! Je ne me sens tenu ni à l’apologie systématique de ce qui n’est pas une terre promise, ni à l’exaltation romantique de l’âme slave. C’est en Français que j’aime la Russie, comme un cousin éloigné, sans fascination mais avec des admirations. J’aime chez les Russes une forme de brutalité honnête, une compacité morale, leur relation à l’histoire et à la littérature, leur patriotisme simple et tourmenté à la fois. Et puis il y a les femmes russes, ces déesses au visage fermé… Bref, quand on voit la Russie telle qu’elle est, on l’aime comme elle est.
Novorossia Today : L'”affaire Black M” a tout récemment secoué la France. A cette dernière, certains analystes y ont opposé l’émouvant concert en plein air organisé par la Russie de Vladimir Poutine dans l’amphithéâtre de la Cité antique de Palmyre. A raison ?
Yannick Jaffré : J’ai évoqué le manque de sens historique de nos gouvernants. Il trouve son prolongement naturel dans un mauvais goût carabiné. Black M ou l’orchestre à Palmyre – il n’y a pas photo ! J’ai décrit dans mon ouvrage la politique de réconciliation identitaire menée par Poutine. Investissant la fonction symbolique de l’État, il réunit publiquement les différentes époques de la Russie – tsariste, soviétique et contemporaines – dans un esprit national-syncrétique. Rétablissant la musique de l’hymne soviétique avec d’autres paroles du même auteur, honorant des figures aussi variées que Denikine, Vissotski, Soljenytsine, établissant un jour du tchékiste, exaltant l’histoire de l’Armée Rouge, favorisant la réconciliation des églises orthodoxes russes, traitant en tout le passé tsariste et soviétique avec nuance, il affirme l’identité russe par les symboles et la culture. Je montre que ce syncrétisme national fut pratiqué en son temps par Bonaparte Consul, avant que l’Empereur Napoléon ne fasse sortir la France de son lit historique.
A cette enseigne, on voit mal Poutine demander au rappeur russe « bling-bling » Timati (qui vient d’ailleurs de lui consacrer une chanson « Mon meilleur ami est Poutine » (sic!)) de participer à la commémoration de la Grande Guerre Patriotique ou encore aux rappeurs racailleux de Jushniy Kray de venir animer une cérémonie pour les vétérans d’Afghanistan…. Il choisirait à la limite ces rappeurs russes un peu « boy scout » ou Nachi qui professent une vie saine, sans drogue et patriotique. Je précise que je ne suis pas snob en matière esthétique. J’ai aimé le rap dans les années 1990, et j’en écoute encore. Mais il faut distinguer entre les goûts privés qui peuvent se porter sur toutes sortes de productions, y compris violentes, et le goût public promu par l’État. A défaut d’une grandeur manifestement hors de sa portée, on pourrait espérer de Hollande un peu de décence et de tenue. Avec Black M, c’était encore raté !
Novorossia Today : Toujours en rapport avec l’actualité de ces dernières semaines, vous avez, sur votre blog «Sévèrement Français !», tout dernièrement pris position sur l’affaire Benzema.
Dans la soirée du samedi 11 au dimanche 12 juin derniers des échauffourées ont eut lieu, notamment à Marseille, suite au match Angleterre/Russie, échauffourées provoquées par la présence de racailles locales, information dont les médias occidentaux n’ont nullement fait état, préférant s’en prendre aux supporters britanniques et russes, mais surtout russes. Pour quelle raison selon vous ?
Yannick Jaffré : Efforçons-nous à l’exactitude et à la probité. Il est vrai que des hooligans russes ont sévi à Marseille. Entraînés, froids, quasi-militarisés, équipés de gants à coques et d’autres armes sans feu, ils tranchaient par leur discipline haineuse sur la viande soûle des Anglais qui, pour plus désordonnée qu’elle soit, n’en reste pas moins éminemment dangereuse (l’ensemble de leur œuvre le démontre, avec le cauchemar du Heysel pour sommet). Cependant l’UEFA a chargé la seule barque russe en infligeant à sa sélection une suspension avec sursis, l’Angleterre étant étrangement épargnée. Moscou a d’ailleurs réagi avec mesure en acceptant la sanction. Mais le plus insupportable c’est encore, toujours, l’immunité médiatique dont jouissent les racailles maghrébines qui se sont, elles aussi, illustrées sur le Vieux Port. Rebaptisées « jeunes » quel que soit leur âge réel, on n’évoque leurs forfaits qu’avec gêne, componction et élision. Ce sont les vaches sacrées, et les anges violents, de notre société. Et il y a en marre !
On assiste plus généralement dans ce domaine, le sport étant la continuation de la politique par d’autre moyens, à une offensive contre la Russie qui, comme toujours, s’appuie sur des éléments réels. Ainsi y a-t-il certainement eu des athlètes russes dopés à Sotchi ; sans doute y a-t-il même un dopage organisé au plus haut niveau. Que les innocents, et il s’en trouve, me pardonnent mon cynisme, mais je crains qu’on n’évolue à ce niveau dans un monde de coupables où, selon des agendas géopolitiques, on sélectionne des accusés. Ainsi la mise aux arrêts de la divine Maria Sharapova pour avoir consommé un produit interdit depuis le 1er janvier dernier, outre qu’elle fait saigner mon coeur, me semble-t-elle relever d’un acharnement suspect. Aussi suspect que ces Panama papers où ne figure pas un seul Américain disposant d’un compte off shore…
Bref, dans ce monde ambigu, troublé et changeant, il faut des boussoles. La mienne c’est, entre autres, Dany Cohn-Bendit. Quand je l’entends réclamer que le mondial 2018 soit retiré à la Russie, il dissipe sur-le-champ les doutes éventuels qui pourraient m’assaillir. S’il exècre la Russie de Poutine, et combat le rapprochement franco-russe, c’est que je ne peux avoir tout à fait tort de soutenir l’une et l’autre. Affaire de conception du monde : celle de Dany le vert est l’antipode exacte de tout ce que je défends. A travers la Russie de Poutine, il combat la souveraineté de l’État-nation au profit du mondialisme, milite pour l’irresponsabilité libertaire contre la liberté civique, dissout l’histoire dans le présent des « bobos » de centre-ville. Tout ce qui est national lui est étranger, odieux – à l’exception d’Israël, quand même… Par rapport à ces enjeux, les hooligans russes, le dopage et les défauts bien réels de la Russie poutinienne deviennent parfaitement secondaires. Somme toute merci, Dany, pour ces moments de clarté retrouvée. Bon, avec toi, le temps dure tout de même très, très, très longtemps. Tu étais déjà là quand j’étais dans les limbes. Mais tu es sur le départ, et ton monde avec…
Novorossia Today : Pourquoi, d’après vous, les supporteurs de Vladimir Poutine sont-ils souvent brocardés comme “extrémistes” ?
Yannick Jaffré : Supporteur… Suprêmement Français avant tout et, s’il le fallait, contre les Russes, je ne chante pas « Allez Poutine ! » dans un virage de stade ! Mais je compte, oui, parmi les soutiens de sa politique d’un point de vue national français, je le répète. Cette imputation d’extrémisme a quelque chose de comique, au fond. J’en ai souvent éprouvé l’ironie quand j’étais au Front National. En effet, en butte à l’hostilité des « modérés », j’avais le sentiment de me tenir dans la sagesse des nations. Où a-t-on vu dans l’histoire qu’il était raisonnable d’accueillir des peuples entiers chez soi ? D’organiser soi-même l’abolition de ses propres frontières ? Quelle civilisation, sinon à la veille de s’effondrer, a jamais conçu pareils projets ?
Finalement, je me sens dépositaire de la vertu aristotélicienne qui recherche le juste milieu entre un excès et un manque – le courage repoussant à la fois la lâcheté et la témérité aveugle, par exemple. Ni socialisme d’État ni ultra-libéralisme, mais colbertisme ; ni communautarisme ethnique ni cosmopolitisme, mais nationalisme républicain ; ni autarcie albanaise ni tour de Babel européiste, mais indépendance nationale – tout cela est somme toute assez raisonnable, non ? Quant à Poutine, sa politique est elle aussi à mes yeux raisonnée, gaullienne, westphalienne, soucieuse des équilibres du monde. Il mène la politique de la Russie et, contre l’éventuelle accusation de « poutinolâtrie », je n’attends pas de lui qu’il « sauve » la France. Il offre un exemple duquel s’inspirer, en procédant par soi, pas un modèle à imiter. Il reprend d’ailleurs lui-même la tradition française du parti des politiques qui, à l’époque des guerres de religion, défendait le primat de l’État sur les églises mais aussi les puissances marchandes. Nous font face aujourd’hui le messianisme théocratique des djihadistes d’un côté, la finance anglo-saxonne ivre de sa puissance de l’autre, les deux se croisant par endroits dans une religion du marché ou un marché du religieux. Ce sont, pour les nationaux français, les deux ennemis à combattre.
Novorossia Today : La problématique des relations franco-russes pourrait-elle être, selon vous, une des questions centrales de la toute prochaine campagne présidentielle ?
Yannick Jaffré : Non, pas de manière directe. Les élections se décidant toujours sur les questions intérieures, la politique étrangère n’entraîne l’esprit des citoyens qu’en leur étant explicitement liée. Bien sûr, Poutine jouera dans les médias français le rôle de repoussoir qu’ils lui assignent depuis des années. Ses incontestables réussites diplomatiques, et ses introuvables exactions intérieures, rendent certes l’exercice de plus en plus malaisé. Mais Elkabbach et consorts continueront d’interroger sur un ton accusateur ceux qui prônent le dialogue avec lui. A savoir Marine Le Pen et, nouveaux venus, Mélenchon et Fillon. A chaque candidat d’inscrire les enjeux internationaux dans un discours clair sachant, je le redis, qu’il faut toujours les greffer aux problématiques intérieures.
Toutefois le Brexit, événement de portée historique, change en partie la donne. Marquant le retour de l’histoire réelle contre le mythe d’une Union Européenne nécessaire, irréversible, éternelle, il donnera certainement un poids inhabituel aux questions internationales. Sans doute rendra-t-il plus directement perceptibles les liens entre l’euratlantisme et les problèmes économiques, migratoires, sécuritaires et identitaires. Et peut-être permettra-t-il aux Français de reconsidérer leurs alliances en s’affirmant à nouveau, dans l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, comme une nation indépendante. Cette Europe est d’abord une civilisation, elle peut être un espace de coopération inter- et non supranationale (ainsi dans la lutte anti-islamiste, par exemple, je vois mal comment la France pourrait se dispenser de travailler avec la Russie). Car il n’y a pas aujourd’hui pour les Français 36000 alternatives : soit l’ordre euratlantiste maintenu, soit une politique souveraine qui, inévitablement, rencontrera la Russie.
Car je suis de ceux qui pensent qu’il n’y a pas d’autre Union Européenne possible, qu’elle est congénitalement, du traité de Rome à celui de Lisbonne, une construction oligarchique, libérale et atlantiste. Avec ceux qui ne croient pas, ou plus, à une « Europe-puissance » ou, plus comique encore, à une « Europe sociale », je cherche un candidat pour rétablir la souveraineté et l’identité françaises. Dans les circonstances actuelles, il y a une équation Marine Le Pen. Je voterai probablement pour elle l’an prochain, avec des réserves qui tiennent à la vie interne du Front National. Les Russes connaissent comme les Français le topos monarchique du Tsar mal conseillé…. eh bien je crois, non, je sais que la Tsarine est mal entourée !
Pour revenir à votre question, je pense qu’elle devrait davantage assumer un renversement d’alliances en direction de la Russie. On lui fait craindre de paraître s’y inféoder. Mais c’est absurde ! Pour revenir à Aristote, il conseillait de prendre le risque, pour rejoindre la vertu au juste milieu, d’aller vers le vice opposé à celui dont on souffre – vers la témérité pour le lâche, pour reprendre cet exemple. En l’espèce, le fléau de la balance penche tellement du côté de l’atlantisme, la France est à ce point corsetée dans l’européisme, qu’un franc coup de barre vers la Russie ne ferait pas de mal. Sans y perdre une once de souveraineté.
Ayant quitté le Front National, je suis déchargé de mon devoir de réserve. La Tsarine étant mal conseillée, donc, je me sens même le devoir de le rompre. Marine Le Pen m’avait confié en juin 2014 dans son bureau, alors qu’à l’occasion d’une réunion de travail je lui offrais mon livre, avoir rencontré Vladimir Poutine au cours de son séjour à Moscou au mois de mai de la même année. Elle a eu raison de l’avoir nié quand on l’a interrogée, par loyauté à la clause de secret entourant cette rencontre. Puisse Poutine me pardonner, je porte cette entrevue à la connaissance du public pour le bien de la France ! Après tout, elle confère à Marine Le Pen un peu de cette envergure internationale qu’elle doit encore acquérir. Et elle la place du bon côté de l’échiquier mondial. Mais inutile de me remercier, je ne suis mû, aujourd’hui comme hier, que par la volonté de servir.
Propos recueillis par Christa Milléquant
comments powered by HyperComments