Certaines inconséquences du régime soviétique refont aujourd’hui surface. Nous l’avons vu avec la Crimée, cédée, sans consultation populaire préalable, à l’Ukraine, nous le voyons ces deniers temps, bien que cela ne fasse pas la une des journaux, à l’image des tentatives de déstabilisation de l’Azerbaïdjan avec la problématique insoluble du Nagorny-Karabakh. Une nouvelle pièce à jouer à la fois sur l’échiquier ex-soviétique et moyen-oriental.
Sur un plan factuel, trois signes avant-coureurs permettent de prédire l’orage.
- Mise à jour par le Parlement européen d’une résolution cinglante sur la violation par Bakou des droits de l’homme dans ce qu’ils ont d’universel et d’irréfragable. Tant que les exigences avancées par Bruxelles ne seront pas satisfaites, les négociations sur la coopération stratégique du pays avec l’UE seront suspendues. La vieille rengaine, on la connaît, elle est redondante, voire barbante: “libérer les défenseurs des droit de l’homme”, “les journalistes d’opposition” et les “militants libéraux”. Nous sommes tous pour la liberté d’expression. Nous condamnons tous la tyrannie, cela va de soi. Mais il se trouve, primo, que les personnes en question sont de la trempe d’un Navalny ou d’un Khodorkovski, donc des escros à grande échelle et non point des Shalamov ou des Jigouline, deux vrais dissidents qui ont bu la coupe jusqu’à la lie, secundo, dénoncer l’emprisonnement de ces mêmes personnes en Azerbaïdjan et se dispenser de le faire au royaume miséricordieux des Séoudes ou en Ukraine pré-démocratique me semble relever d’un surréalisme purement kafkaïen.
- Rapport récent du Haut-Commissaire aux droits de l’homme, M. Zeid Ra’ad Al Hussein, sur la violation des droits de l’homme en République d’Azerbaïdan (RA). Le ministère des Affaires étrangères de la RA a qualifié ce rapport de partial et ne tenant pas compte des centaines de milliers de victimes de l’agression arménienne.
- Emission diffusée par France 2 dans le cadre du programme hebdomadaire Cash Investigation. Les journalistes Elise Lucet et Laurent Richard reprennent les détails du voyage de François Hollande à Bakou au printemps 2014 en soulignant le caractère dictatorial du régime au point d’en faire l’un des pires de la planète.
Les faits précités sont d’une grande importance dans la mesure où le Président de la RA, Ilham Aliyev, était très bien vu auparavant par les leaders des puissances atlantistes. D’abord parce que la RA jouissait longtemps du titre de “principal garant de la sécurité énergétique en Europe”, ensuite parce que, bien avant Aliyev, Bakou avait vocation à endiguer l’influence russe et à participer au containment de l’Iran. Dès 2003, année de son accession au pouvoir, Ilham Aliyev subissait les pressions des technocrates occidentaux qui le poussaient à réaliser des réformes draconiennes du système politique en place. En ce sens, son destin aurait pu être celui d’un Ianoukovitch, assis entre deux chaises pour finir au bout du compte déchu. Mais Aliyev n’est pas Ianoukovitch. Conscient des conséquences possibles de la campagne de désinformation déployée comme par hasard à l’approche des parlementaires (1 novembre) et armé de l’exemple ukrainien, le Président azéri vient de déclarer haut et fort qu’il rompait tous les accords de partenariat et de coopération établis avec l’UE depuis la fin des années 90 ce qui n’est pas une tâche bien facile sachant en plus que la RA est membre depuis 2001 de la GUAM (Organisation pour la démocratie et le développement), une organisation pro-occidentale regroupant 4 pays de l’ex-bloc soviétique “se sentant menacés par la Russie”. Espérons ceci dit que cette mesure soit salutaire sans quoi, comme tout est relatif, le scénario ukrainien paraîtrait presque sympathique.
Pourquoi?
Il est certain que le statut d’ “Etat en balance” qui caractérise si bien la RA détermine en grande partie la relation assez girouette qu’entretiennent les USA et l’UE à son égard mais le fait qu’elle soit membre de la GUAM précitée tout en oeuvrant à un rapprochement avec la Russie est déjà en soi matière à manipulation. Au surplus, le conflit larvé entre la RA et l’Arménie autour du Nagorny-Karabach qui a quand même fait près de 30.000 morts entre 88 et 93 catalyse cette duplicité. Dans les rapports publiés par le Parlement européen, on relève en effet une tentative d’instrumentalisation de cet abcès qui n’est pas prêt à crever sachant que le Nagorny-Karabach est majoritairement arménien, n’a pas de frontière commune avec la RA mais est formellement azéri par la grâce de Lénine. Soit depuis presque un siècle. La rencontre de Poutine avec Sarkissian et Aliyev à Sotchi en 2014 a montré la préoccupation russe quant au statut de cette région disputée entre Bakou et Erevan. Trois mois plus tard, un Mi-24 de l’armée arménienne a tenté une attaque contre les positions azéries ce qui n’a fait qu’assombrir le tableau d’ensemble. Les inquiétudes de Moscou se comprennent. L’Arménie est membre de l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective) dont la Russie fait partie. Toute exacerbation du conflit arméno-azéri entraînerait automatiquement l’implication de la Russie ainsi que de fortes tensions entre cette dernière et l’Azerbaïdjan. Qui plus est, une confrontation autour du Karabach plongerait la région dans un état de chaos propice à l’implantation d’éléments extrémistes vu qu’avec l’Arménie elles sont frontalières de la Turquie, un Etat politiquement instable car divisé à tous les niveaux et une zone de transit idéal pour les combattants de l’EI.
Ces éléments d’analyse réunis, on en déduit facilement que le bloc atlantiste oeuvre sur sur tous les fronts, que ce soit en Ukraine à travers les ambiguïtés de Minsk-2, que ce soit en Transnistrie à travers son statut d’indépendance quasi-non-reconnu et la présence de casques bleus russes sur son territoire, que ce soit, d’une manière un peu plus originale, en Azerbaïdjan à travers son conflit gelé avec l’Arménie vu l’absence de consensus autour du Karabach. L’objectif saute aux yeux: il s’agit de ceindre la Russie d’un anneau de guerres hybrides. Celles-ci feraient d’autant plus mal qu’elles concernent les Républiques de l’ex-URSS.<
L’heure n’étant pas encore aux pronostics, on ponctuera par deux points d’interrogation:
- Si Aliyev reste fidèle à son engagement en renonçant à toute coopération avec l’UE, serait-il possible qu’une solution au dossier karabakhien soit trouvée? Si oui, cela ferait un levier de pression de moins, tant sur l’Arménie que sur la RA.
- L’entrée de la RA dans l’OTSC (alors consécutive à son éventuelle sortie de la GUAM), serait-elle envisageable? Si oui, quelle serait la réaction du bloc atlantiste?
Sans doute y verra-t-on plus clair d’ici novembre, c’est-à-dire après les parlementaires.
Françoise Compoint
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