Après l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, il faut bien finir par crever l’abcès sur les soutiens étrangers dont les terroristes qui agissent en France bénéficient. Ces questions sont totalement occultées aujourd’hui, alors qu’elles ont toujours semblées naturelles par le passé.
Ainsi, durant les années 95-96, les attentats qui ont frappé Paris ont été attribués, en leur temps, au GIA, le groupe islamiste algérien. Inversement, l’attentat de Karachi de 2002 fut attribué à des islamistes puis à un règlement de comptes liés à des financements électoraux français.
On le voit, l’accusation de complotisme est assez récente pour tout ce qui touche à l’origine des attentats. Il n’y a pas si longtemps, il semblait naturel à tous (y compris à Bernard Cazeneuve, président de la commission parlementaire sur Karachi), d’incriminer des déterminants extérieurs aux terroristes pour expliquer le passage à l’acte. Il est assez regrettable que la liberté d’investigation cède peu à peu le pas à des doctrines figées.
Saint-Etienne-du-Rouvray et la Turquie
Comme l’a déjà expliqué le procureur de la République, François Molins, l’un des deux terroristes, Adel Kermiche, n’était pas un inconnu des services de police. En fait quelques semaines après l’attentat de Charlie Hebdo, il avait décidé de rejoindre la Syrie pour y mener le Jihad.
Selon le Wall Street Journal, c’est début 2015 que la religion a commencé à l’obséder. Le 23 mars, il a disparu et sa famille a donné l’alerte. Il a été arrêté en Allemagne, alors qu’il cherchait à rejoindre la Syrie avec la carte d’identité de son frère. Il est alors placé sous contrôle judiciaire en France.
Le 13 mai 2015, il parvient néanmoins à s’enfuir, mais il est arrêté en Turquie parce que la France émet un mandat d’arrêt international contre lui. Il est alors refoulé vers Genève, d’où il a embarqué, puis est rendu à la France, qui l’emprisonne quelques mois.
Autrement dit, et une fois de plus dans les affaires récentes de terrorisme, la Turquie a joué un rôle essentiel de tampon, ou de bouclier, dans les relations avec Daesh.
La Turquie et les candidats au Jihad
Ce qui frappe, dans de nombreux dossiers terroristes, c’est le rôle de la police turque dans la régulation du trafic entre la Syrie et l’Europe. Ce rôle est bien connu pour les réfugiés. Il éveille moins l’attention dans les allers-et-venues des terroristes. Pourtant, il soulève quelques questions.
La police turque ne ménage en effet ni son temps ni sa peine dans le contrôle de ses frontières, qui sont moins poreuses qu’on ne le croit. Elle a même adapté ses méthodes, avec le temps, pour identifier les candidats potentiels au Jihad qui arrivent sur son sol.
Les aéroports turcs disposent désormais de cellules qui examinent les passagers à l’arrivée. Cette innovation est consécutive aux attentats de janvier 2015 en France. On peut donc penser qu’un grand nombre de jihadistes sont au moins identifiés depuis cette date lorsqu’ils sortent de l’avion, à défaut d’être tous arrêtés.
Les polices européennes et la police turque
Au fil des dossiers, il reste en tout cas marquant de voir qu’un grand nombre d’arrestations ont lieu à l’arrivée en Turquie grâce aux signalements des polices européennes.
Par exemple, en septembre 2014, c’est la police française qui demande à la police turque d’arrêter à Istanbul Mourad Fares. Ce recruteur français pour le compte de Daesh avait quitté la Syrie et voulait rentrer en France. C’est en demandant curieusement un laissez-passer consulaire à Istanbul qu’il est repéré et que son arrestation est demandée.
L’histoire des arrestations de jihadistes européens en Turquie est pleine de ces signalements policiers européens à la Turquie.
Y a-t-il ou non complaisance de tout ou partie de la police turque?
Le cas de Mourad Fares est intéressant parce qu’il constitue l’un de ces cas limite où le filtre policier turc semble à géométrie variable.
Dans le cas de Mourad Fares, si la police française n’avait pas demandé son interception, l’intéressé aurait pu franchir la frontière turque comme une passoire. C’est d’ailleurs ce qu’il avait fait en passant de Syrie en Turquie.
Dans d’autres cas, la police turque paraît beaucoup plus réactive. Par exemple, le 12 novembre 2015 (veille du funeste Bataclan), la presse française révélait que la police turque avait arrêté, à Izmir, un djihadiste français, Mehdibend Saïd, retour de Syrie et soupçonné de vouloir commettre un attentat sur le sol turc.
Tout laisse à penser que ce terroriste potentiel connaissait ceux ou une partie de ceux qui ont commis les attentats de Paris. Et soudain on se demande pourquoi l’un fut arrêté et pas les autres. Parce qu’il voulait attaquer le sol turc alors que les autres visaient le sol européen?
On voit bien où mène cette pelote de questions… à examiner précisément le degré d’infiltration de Daesh par les services turcs.
Quand la gendarmerie turque accuse les services secrets d’Erdogan
Tout ceci nous ramène à cette troublante affaire révélée par l’agence Reuters, bastion bien connu du complotisme international, sur les dissensions au sein des services turcs.
En mai 2015, des officiers turcs de gendarmerie sont traduits en justice pour avoir dénoncé un étrange trafic. Ils affirment en effet avoir découvert un trafic d’armes organisés par les services secrets turcs au bénéfice de l’opposition syrienne. Voici le texte intégral de la dépêche en anglais.
Turkey’s state intelligence agency helped deliver arms to parts of Syria under Islamist rebel control during late 2013 and early 2014, according to a prosecutor and court testimony from gendarmerie officers seen by Reuters.
The witness testimony contradicts Turkey’s denials that it sent arms to Syrian rebels and, by extension, contributed to the rise of Islamic State, now a major concern for the NATO member.
Syria and some of Turkey’s Western allies say Turkey, in its haste to see President Bashar al-Assad toppled, let fighters and arms over the border, some of whom went on to join the Islamic State militant group which has carved a self-declared caliphate out of parts of Syria and Iraq.
Ankara has denied arming Syria’s rebels or assisting hardline Islamists. Diplomats and Turkish officials say it has in recent months imposed tighter controls on its borders.
Testimony from gendarmerie officers in court documents reviewed by Reuters allege that rocket parts, ammunition and semi-finished mortar shells were carried in trucks accompanied by state intelligence agency (MIT) officials more than a year ago to parts of Syria under Islamist control.
Four trucks were searched in the southern province of Adana in raids by police and gendarmerie, one in November 2013 and the three others in January 2014, on the orders of prosecutors acting on tip-offs that they were carrying weapons, according to testimony from the prosecutors, who now themselves face trial.
While the first truck was seized, the three others were allowed to continue their journey after MIT officials accompanying the cargo threatened police and physically resisted the search, according to the testimony and prosecutor’s report.
President Tayyip Erdogan has said the three trucks stopped on Jan. 19 belonged to MIT and were carrying aid.
« Our investigation has shown that some state officials have helped these people deliver the shipments, » prosecutor Ozcan Sisman, who ordered the search of the first truck on Nov. 7 2013 after a tip-off that it was carrying weapons illegally, told Reuters in a interview on May 4 in Adana.
Both Sisman and Aziz Takci, another Adana prosecutor who ordered three trucks to be searched on Jan. 19 2014, have since been detained on the orders of state prosecutors and face provisional charges, pending a full indictment, of carrying out an illegal search.
The request for Sisman’s arrest, issued by the Supreme Board of Judges and Prosecutors (HSYK) and also seen by Reuters, accuses him of revealing state secrets and tarnishing the government by portraying it as aiding terrorist groups.
Sisman and Takci deny the charges.
« It is not possible to explain this process, which has become a total massacre of the law, » Alp Deger Tanriverdi, a lawyer representing both Takci and Sisman, told Reuters.
« Something that is a crime cannot possibly be a state secret. »
More than 30 gendarmerie officers involved in the Jan. 1 attempted search and the events of Jan. 19 also face charges such as military espionage and attempting to overthrow the government, according to an April 2015 Istanbul court document.
An official in Erdogan’s office said Erdogan had made his position clear on the issue. Several government officials contacted by Reuters declined to comment further. MIT officials could not immediately be reached.
« I want to reiterate our official line here, which has been stated over and over again ever since this crisis started by our prime minister, president and foreign minister, that Turkey has never sent weapons to any group in Syria, » Erdogan’s spokesman Ibrahim Kalin said on Wednesday at an event in Washington.
Erdogan has said prosecutors had no authority to search MIT vehicles and were part of what he calls a « parallel state » run by his political enemies and bent on discrediting the government.
« Who were those who tried to stop MIT trucks in Adana while we were trying to send humanitarian aid to Turkmens?, » Erdogan said in a television interview last August.
« Parallel judiciary and parallel security … The prosecutor hops onto the truck and carries out a search. You can’t search an MIT truck, you have no authority. »
‘TARNISHING THE GOVERNMENT’
One of the truck drivers, Murat Kislakci, was quoted as saying the cargo he carried on Jan. 19 was loaded from a foreign plane at Ankara airport and that he had carried similar shipments before. Reuters was unable to contact Kislakci.
Witness testimony seen by Reuters from a gendarme involved in a Jan. 1, 2014 attempt to search another truck said MIT officials had talked about weapons shipments to Syrian rebels from depots on the border. Reuters was unable to confirm this.
At the time of the searches, the Syrian side of the border in Hatay province, which neighbors Adana, was controlled by hardline Islamist rebel group Ahrar al-Sham.
The Salafist group included commanders such as Abu Khaled al-Soury, also known as Abu Omair al-Shamy, who fought alongside al Qaeda founder Osama bin Laden and was close to its current chief Ayman al-Zawahiri. Al-Soury was killed in by a suicide attack in Syrian city of Aleppo in February 2014.
A court ruling calling for the arrest of three people in connection with the truck stopped in November 2013 said it was loaded with metal pipes manufactured in the Turkish city of Konya which were identified as semi-finished parts of mortars.
The document also cites truck driver Lutfi Karakaya as saying he had twice carried the same shipment and delivered it to a field around 200 meters beyond a military outpost in Reyhanli, a stone’s throw from Syria.
The court order for Karakaya’s arrest, seen by Reuters, cited a police investigation which said that the weapons parts seized that day were destined for « a camp used by the al Qaeda terrorist organization on the Syrian border ».
Reuters was unable to interview Karakaya or to independently confirm the final intended destination of the cargo.
Sisman said it was a tip-off from the police that prompted him to order the thwarted search on Jan. 1, 2014.
« I did not want to prevent its passage if it belonged to MIT and carried aid but we had a tip off saying this truck was carrying weapons. We were obliged to investigate, » he said.
(Additional reporting by Ercan Gurses in Ankara; Editing by Nick Tattersall and Anna Willard)
l ressort de tout cela que le paysage policier en Turquie est loin d’être monolithique. Selon toute vraisemblance, il existe (ou existait) une tension forte entre la gendarmerie «laïque» hostile aux mouvements islamistes en Syrie, et les services secrets proches du pouvoir, enclins à les soutenir.
Dans cette proximité d’une partie au moins du renseignement turc avec la mouvance islamiste, comment ne pas imaginer qu’il existe une multitude de passerelles, de complicités, de services mutuels rendus?
Une indispensable clarification
Tôt ou tard, on le sait tous, il faudra bien mettre sur la table la question du rôle joué par les services turcs dans l’émergence d’un terrorisme organisé et structuré en Europe. Il est troublant de voir que la vague d’attentats à laquelle nous assistons survient un an après la crise des réfugiés. Il est tout aussi troublant de voir que les enquêtes montrent très vite que les terroristes qui frappent sont entourés par une nébuleuse excentrique et trouble, dont les dernières ondes ramènent tôt ou tard à la Turquie.
Cela ne signifie pas qu’il existe un dessein officiel, ni des circuits simples de commandements. En revanche, on ne peut ignorer que, dans le réveil qui se confirme depuis la révolution iranienne, d’une conception islamique du monde, le terrorisme ne semble plus un levier normal pour le monde chiite (comme ce put être le cas à une époque), mais semble l’être devenu pour le monde sunnite.
Et dans ce monde-là, on ne peut ignorer l’ambition exprimée par la Turquie de devenir une puissance régionale majeure.
Éric Verhaeghe
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