L’heure la plus sombre vient toujours avant l’aube. Simplement, quelle sera donc cette aube ? Terrible à vomir ou rassurante, claire, porteuse d’espoir ? Comme celui qui rit bien est toujours celui qui rit le dernier, il se fait que Fabius est parti alors donc qu’Assad est toujours là où il est. Il se fait que Yann Moix et co continuent à verser dans le ridicule le plus abject en accusant la Russie de bombarder une opposition syrienne armée/modérée alors même qu’Obama avait reconnu – avant de retourner sa veste pour une énième fois – que cette opposition aux vertus tant vantées par l’Occident n’était rien de plus que les filiales d’Al-Qaïda, gentilles en Syrie contre Assad, méchantes en Afghanistan où elles se font récuremment taper après y avoir été formées contre l’URSS. Biden, m’en souvient-il, avait lui aussi confirmé que l’opposition modérée était une chimère.
N’empêche, dès lors que la Russie a proposé un projet de résolution pour la Syrie insistant, primo, sur la non-intervention de puissances étrangères, secundo, sur la nécessité de conserver coûte que coûte la souveraineté du pays, le couple USA/France s’est empressé de la rejeter en tenant Moscou pour responsable de la dégringolade … de l’EI, je présume, quoiqu’il soit question d’ « escalade » lato sensu.
Voici ce qui intrigue :
- La résolution russe ne diffère en rien de la Résolution 2254 formulée en décembre 2015. C’est du réchauffé. Il y est entre autres question d’élections anticipées ce qui rend seul valide le choix des Syriens eux-mêmes. Il n’y est pas question d’intervention étrangère non cautionnée par Damas comme le sont les ingérences conjointes turque et saoudienne. Il n’y est pas question d’un groupe de travail pour la Syrie rassemblé par Riyad dont on connaît les véritables ambitions et les nobles méthodes malgré une place d’honneur au Conseil des droits de l’homme ! Si Jayche el-Islam et Ahrar al-Cham sont modérés, je suis la reine d’Angleterre.Il est frappant à quel point est-ce que le conflit OTANO-Salafiste/Syrien à progression sinusoïdale depus cinq ans part en vrille engageant de plus en plus d’acteurs régionaux de taille qui eux n’aspirent pas à une solution diplomatique répondant aux intérêts et du peuple syrien et des Kurdes dont la quasi-totalité a enfin fait un choix d’alliances. Ce dernier fait qui tient lieu d’évidence n’en est pourtant pas une pour une coalition chapeautée par les USA et qui en 18 mois semble avoir bombardé un désert parsemé de fantômes.
- On s’accorde à dire que l’ennemi numéro 1 c’est Daesh, une synthèse de délinquants libérés par les monarchies du Golfe, d’anciens officiers revanchistes d’Hussein et d’individus adhérant initialement à l’idéologie salafiste. Or, à bien analyser les débats passant sur les grandes chaînes atlantistes, on s’aperçoit que la réalité est différente. On apprend ainsi que la majeure partie des réfugiés syriens fuient non pas la terreur takfirisite mais les frappes russes. On apprend ainsi que sur 8000 sorties aériennes 300 seulement auraient concerné Daesh. Ces chiffres dédaigneux des réalités du terrain font penser à cette autre ineptie de la propagande atlantiste selon laquelle les Syriens fuiraient l’AAS alors que, à l’inverse, on s’aperçoit qu’ils fuient les régions contrôlées par les fameux « modérés » pour se placer sous la protection de l’armée gouvernementale. Sur fond de critiques permanentes des activités russes en Syrie, on se rend compte que Daesh, quoiqu’ingérable depuis quelques temps, n’est pas la bête noire à abattre forcément. Ou alors, même si elle est à abattre, elle l’est en tant qu’Etat en gestation sorti de sous le contrôle comme Al-Qaïda à l’époque ce qui explique la curieuse fidélité des puissances atlantistes aux franges salafistes non moins sulfureuses dans les faits mais dont la réputation médiatique est moins entachée. J’en veux également pour preuve l’interruption des pourparlers, début février, au moment où l’AAS a notablement percé avec l’appui aérien russe. Comme par hasard, alors donc qu’il aurait fallu s’en réjouir et redoubler d’efforts – cette fois en symbiose avec la coalition russo-irano-kurdo-syrienne – Munich ordonne l’arrêt des combats qui n’est cependant pas un cessez-le-feu et qui s’interprète sans équivoque quand on sait que la Turquie a tout intérêt à faire capoter cet accord et prépare, avec les Séoudes, une opération au sol alors donc que Damas ne leur a rien demandé.
- D’une manière générale, le mainstream occidental carbure aux provocations. Celles-ci sont insensées parce que patentes. Suintant la mauvaise foi, elles concourent à redorer le blason de puissances complices de morts abominables et indénombrables. C’est plus fort que moi, je pense à France 2 qui a fait un sacré travail d’investigation en piquant au ministère de la Défense russe des vidéos montrant les frappes russes contre l’EI et en les faisant passer pour celles de la coalition occidentale. Comme quoi, la guerre des images va aussi loin que le jeu des priorités et des faux-semblants déployé par une coalition anti-souverainiste alliée des pétromonarchies et de la Turquie.
Schématiquement, que peut espérer Ankara et ses soutiens de l’OTAN ? Deux choses.
- Premièrement, Ankara rêverait de se faire rosser d’importance par les forces armées russes, de préférence à quelque kilomètres de la frontière syrienne où elle excelle en provocations. C’était déjà très clair lorsqu’Erdogan ordonna la liquidation d’un SU-24 et que la réaction de Moscou – comme d’ailleurs celle des Américains – ne fut pas vraiment celle à laquelle le nouveau Sultan s’attendait. Erdogan peut toujours rêver. Si le Kremlin a déjà su résister à plusieurs tentations fort naturelles, il y résistera cette fois encore. Par contre, s’il arrive que l’ingérence au sol turque – tout comme saoudienne – devienne massive, donc aberrante, il est certain que l’armée russe frappera la Turquie qui d’un pays membre de l’OTAN éventuellement agressé par Moscou sur son territoire souverain se transformera en pays agresseur bon à être réprimé par tous les moyens disponibles. Idem pour le dossier kurde. Est-ce la hasard si une heure à peine après l’attentat à la voiture piégée du 19 février Erdogan désigna immédiatement les coupables … pour qui douterait, le PKK qui certainement a bien des raisons de se venger après le récent massacre par le feu de 150 de ses membres à Cizra mais dont l’implication catégoriquement affirmée avant même que l’enquête ne soit lancée sert tout à fait les ambitions expansionnistes d’Erdogan et consors ? Voilà que nous y sommes.
- Nous y sommes, en effet, car la reconquête de la Syrie par, si j’ose dire, la majorité légitime syrienne passe actuellement, d’abord, par la reprise intégrale d’Alep et de ses environs, ensuite, par la reprise à la fois stratégique et symbolique de Raqqa. On sait depuis le 11 février que les milices kurdes de Syrie ont arraché aux salafistes la base de Minnigh jouxte Alep. En parallèle, l’AAS avance à grands pas vers Raqqa qui se trouveau nord-est d’Alep et qui côtoie, au niveau d’une autre ville martyre bien connue qu’est Mossoul, l’Irak. Si donc l’armée gouvernementale parvient à reprendre ce point de jonction capital qu’est Raqqa, je ne suis pas sûre que la coalition occidentale apprécierait. En ce sens, sans être toujours approuvés par ses collègues (et précepteurs) de l’OTAN, les caprices et folies apparents d’Erdogan trahissent plus ou moins les états d’esprit de ces derniers. On sait ainsi que les USA sont en train de réanimer l’aérodrome agricole de Tal Hajar situé en plein milieu des champs pétrolifères syriens dans la province orientale d’Hassaké. Laisseront-ils l’AAS remettre la main sur SON pétrole qui est l’une des raisons fondamentales de cette guerre qui est tout ce qu’on veut sauf syro-syrienne ? Bien sûr que non. Ce qui compte pour eux, à l’heure ô combien avancée qu’il est et eu égard à l’avancée spectaculaire de l’armée, c’est de gérer deux axes cruciaux : l’axe Alep-Raqqa et l’axe Hassaké-Raqqa. S’il advient donc que les Américains, appuyés par l’intervention turco-saoudienne, « débarquent » à Raqqa les premiers, la donne se compliquera considérablement. Toutes les conditions seront alors réunies pour la création d’un Sunistan à la frontière irako-syrienne.
D’après une récente analyse de Bassam Tahhan, les USA voudraient entraîner la Russie dans une guerre d’usure. Si je comprends bien, celle-ci serait encore et toujours poussée à intervenir vu ses engagements et intérêts mais elle ne saurait le faire qu’à échelle réduite ce qui revient à la précipiter dans un piège qu’on avait déjà essayé de lui tendre dans le Donbass où elle aurait été amenée à combattre en cas d’intervention, outre l’armée et les milices ukrainiennes, des pays de l’OTAN tels que les Pays Baltes, la Pologne ou la Roumanie. Je vois mal une confrontation directe de la Russie avec les States à Raqqa d’où la nécessité pour l’AAS de mettre le turbo, préférentiellement avant le 27.02, date à laquelle l’accord russo-américain sur la suspension des hostilités entre en vigueur et date au-delà de laquelle il pourrait y avoir de lourdes provocations de la part de la coalition US via son allié turc et ses alliés de salafistes « modérés » éparpillés à travers la Syrie.
Supposer envisageable une guerre d’usure serait supposer que le conflit syrien à tendance mondiale reste contrôlable. Or, il y a trop de protagonistes pour qu’il le soit. Qui plus est, leurs intérêts divergent. Il y a donc urgence à ce que les principaux axes stratégiques de Syrie soient repris par l’armée et que des élections anticipées confirment une fois de plus la légitimité d’Assad.
Ce qui se joue ces mois-ci est d’une extrême gravité. Si le Pape et le Patriarche se sont décidés à mettre fin à une rupture millénaire et que le primat de l’église syriaque orthodoxe a solennellement demandé aux puissances occidentales d’arrêter d’armer des « terroristes », c’est qu’en plus d’une guerre de pipelines nous voyons, sans précédent, une guerre civilisationnelle alimentée par ceux qui demain pourraient commencer à en payer les frais chez eux.
Françoise Compoint
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