Je n’ai jamais beaucoup apprécié le manichéisme. Réducteur jusqu’à exclure tout ce qui est entre le Noir et le Blanc, il m’a longtemps semblé que le monde était infiniment plus complexe que cela. La lecture en classe de Terminale du Prince de Machiavel m’en avait définitivement convaincu. La politique ne puit être fondée que sur le realpolitik, nos prises de position individuelles ne sont dignes d’intérêt que si elles prennent en compte le Gris et ses 50 nuances. Qu’importe, au fond, que certains principes moraux édifiants en pâtissent, de toute façon, notre vie n’est qu’un combat harassant que se livrent le Bien et le Mal et en plus, dans une optique dialectique, ces deux entités produisent de petits démons souvent bien sympathiques. Les années ont vite passé. L’expérience personnelle mariée à mes activités de journaliste m’ont démontrée que le manichéisme avait non seulement droit d’existence mais que, dans un cadre bien défini, il avait le devoir de régner en politique à côté du realpolitik qui lui fonctionne avec des nuances morales marquées. Le drame ukrainien et, simultanément, le drame syrien, ont conforté ce point de vue. J’ai alors commencé à mieux comprendre ce que sous entendait l’Apocalypse selon Saint Jean par la fin des Temps, ce que sous-entendaient les révélations faites à Léon XIII où Satan parle de détruire l’Eglise du Christ 75-100 ans plus tard (c’était vers la fin du XIXème siècle) et les révélations faites à Pie XII dans le même esprit. Le Bien et le Mal interagissent en se livrant un combat acharné. Aucun combat ne dure indéfiniment. Tôt ou tard, l’un des partis va l’emporter. Il n’y a donc pas de place pour les nuances auxquelles nous, hommes doués de raison, sommes habitués, et qui nous arrangent tant.
Il y a peu, un journaliste russe dont je ne retrouve plus le nom avait remarqué que la position souverainiste russe différait en cela de celle de l’opposition libérale genre Echo de Moscouque même quand elle commettait des erreurs tactiques, elle croyait bien faire. Ce trait de probité est aux antipodes d’une hypocrisie qui devrait être indigeste mais que nous nous contentons de critiquer mollement considérant que le drame des Autres (Syriens, Irakiens, Ukrainiens, etc.) n’est pas spécialement le nôtre. Nous restons tièdes. Cette déclaration avait été faite lors d’une émission-débat entre souverainistes et libéraux. Curieusement, ces derniers ne trouvèrent rien à répondre. Pourquoi donnerais-je raison aux premiers et non pas aux seconds ? Serait-ce par sympathie pour Poutine ? Non. C’est simplement que je m’appuie sur les faits. Tout comme l’analyse politique, les choix moraux s’appuient sur des faits. Ils sont empiriques.
Lorsque des enfants syriens se font massacrer par les ordures de l’EI dont nous connaissons pertinemment les sources de financement, c’est à peine si les peuples occidentaux ou les libéraux russes se prononcent. Au mieux, quelques organisations du type SOS Chrétiens d’Orient dont j’admire le courage essayent d’attirer l’attention du grand public après s’être rendues sur place. Autrement, RIEN. 13 novembre 2015. Paris vit en un soir « le quotidien des Syriens ». Quelques médias commencent à se réveiller en se disant que peut-être, finalement, le Président syrien démocratiquement élu est un moindre mal. Et si le Bataclan se reproduisait ? Après s’être adressé, voix tremblante, aux Français, François Hollande revient à son engagement auprès d’Erdogan qui est de contribuer à la création d’une espèce de Kurdistan au nord de la Syrie. La famille d’Erdogan achète et revend le pétrole syrien volé par Daesh.Cherchez l’erreur.
Le 22 mars, Bruxelles vit lui aussi le quotidien des pays en voie de démocratisation. Peu avant cet-te tragédie, l’UE entendait réviser sa position vis-à-vis du conflit syrien. Assad n’était plus tenu de se retirer sans conditions. La Belgique est même allée jusqu’à accueillir des leaders du PKK. Le 5 mars, un attentat est perpétré en plein centre d’Ankara. S’ensuit le discours en fait menaçant d’Erdogan qui déclare, lors du sommet UE/Turquie, que la bombe qui a explosé à Ankara pourrait exploser dans n’importe quel pays de l’UE. La façon dont la mise en garde est formulée est absolument fabuleuse : l’Europe accueillerait et subventionnerait des organisations terroristes qui ne manqueront pas de se retourner contre elle. S’agirait-il du PKK allié au PYG contre Daesh ? Il n’en demeure pas moins que la « prophétie » d’Erdogan se vérifie très vite. Bruxelles pleure toujours ses morts, le gouvernement d’Erdogan vit les heures les plus noires de son existence mais il n’est pas question de virer la Turquie de l’Alliance, quant à Assad, réélu ou pas réélu, finalement, il doit partir.Ah, j’oubliais ! La Turquie est allée jusqu’à abattre, en février 2016, des réfugiés (enfants y compris) à la frontière syrienne. C’est peut-être fort regrettable mais, que faire, un membre de l’Alliance n’a rien à se refuser. Le maximum de ce qu’il risquerait, c’est d’aller récolter une formidable raclée chez l’oncle Sam. Ce qui vient de se faire avec ordre de reprendre contact avec le Kremlin, cela, le hasard a porté ses fruits, après la visite du chef de la CIA, John Brennan, à Moscou.Entre-temps, Vitaly Tchourkine, ambassadeur russe auprès de l’ONU, présente au Conseil de sécurité des documents fiables faisant état des sommes coquettes déboursées durant l’année 2015 par Ankara à ses partenaires de Daesh, quelque chose comme 1.909.800 de dollars si bien sûr ma calculette ne délire pas.
L’UE paye les pots cassés. Un attentat d’envergure imminent vient d’être déjoué à Argenteuil, mais … Assad est méchant. Il doit partir. Les Molenbeek en acte et en puissance menacent réellement la France et l’ensemble de l’UE mais … Assad est méchant. Il doit partir. Sauf que ! La France se met le doigt dans l’oeil croyant peut-être (ou du moins feignant) contrôler quoi que ce soit non pas seulement en Syrie mais sur l’ensemble du Moyen-Orient. On sent bien ce mélange infernal d’égarement et de mauvaise foi à la lumière d’une interview recueillie le 28 mars par BFM TV auprès du député et ancien ministre Thierry Mariani : « Vous avez donc fait votre choix entre le régime insupportable d’Assad et les djihadistes? », demande le journaliste, imbu de cette suffisance malsaine caractéristique des donneurs de leçon atlantistes. OUI, répond, sans ciller, le député. Il en va des intérêts nationaux, dit-il, mais ilen va aussi, compléterais-je de mon côté sachant qu’il revient de Syrie, d’un choix moral. L’on ne peut et l’on ne doit en faire abstraction.
Face au sommeil de la raison et à l’ébat des monstres, le choix de Mariani a donc à sa façon une dimension morale. Comme celui, à sa façon à elle, périlleux, de Mère Agnès-Mariam de la Croix, supérieure du monastère Saint-Jacques le Mutilé sis Qâra. Comme celui de Daniel Maes, père Prémontré de l’abbaye flamande Postel-Mol parti servir le Christ à Qâra, al-Qalamoun, et qui a écrit une lettre ouverte au ministre des Affaires étrangères belge. Je pourrais poursuivre cette énumération jusqu’à l’infini. Cependant, s’il y a nom sur lequel je voudrais m’arrêter, une âme vers laquelle vont souvent mes pensées de ces derniers jours, c’est bien celui du jeune officier russe,Alexandre Prochorenko, tombé lors de la reprise de Palmyre. Piégé par Daesh et se sachant perdu, il a appelé des frappes aériennes sur sa position. Très franchement, plus j’en apprends sur des gens de cet acabit, plus les élites atlantistes et les pseudo-libéraux criards de Russie me donnent la nausée. Plus j’en apprends, plus je conçois que la Syrie, au bout de cinq années de cauchemar abyssal, est devenue le terrain, direct et/ou médiatique, d’une Lutte ultime dont le dénouement annoncera le début de la fin d’un Monde. Duquel ? Le longuissime dossier syrien n’étant qu’une case départ, je pense que l’alternance des défaite/victoires du Bien et du Mal durera pendant quelques années encore s’étendant progressivement, comme le feu gagne un immeuble. Les délais se préciseront après la reprise (ou la perte, Dieu en préserve Damas) de Raqqa, l’attitude ultérieure d’Erdogan après sa reprise en main, le degré d’impatience du salafisme à soumettre l’Occident, enfin, les présidentielles US qui approchent. J’espère alors, de tout coeur, qu’il se trouvera en UE plus d’Alexandre Prochorenko que de journalistes de BFM TV. Car je désire vivement la survie et le triomphe de l’Europe comme je désire le triomphe de cet élément transcendant que nous appelons Moraleet sans lequel le droit international, garant de la stabilité dans le monde, n’aurait aucun fondement.
Françoise Compoint
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