Ça ne tourne vraiment pas rond en Hollandie. Que l’état d’urgence déclaré suite au Bataclan réservait quelques menues surprises, on s’en doutait bien. Par contre, on ne pouvait pas s’imaginer que notre cher pays irait jusqu’à faire déguerpir des étudiants étrangers au seul motif que leurs résultats seraient jugés insuffisants. Si le fond est surréaliste, la forme ne l’est pas moins.
Figurez-vous une jeune fille russe venue faire des études à Perpignan. Des jeunes filles comme elles, j’en vois pas mal assurant à mes heures perdues des cours particuliers de FLE. Le profil est le même : toutes sont passionnées par le français, la culture française, les Français et de tout ce qui de près ou de loin est relatif au pays de Voltaire, de Dumas et de Saint-Exupéry. Un pays qui ne cesse de clamer sa piété droit-de-l’hommiste au point que ces jeunes filles que je côtoie se laissent tomber dans le piège des faux contrastes. En l’occurrence avec la Russie qui « contrairement » à la France aurait encore du chemin à faire (SIC). Jusqu’au jour où les masques tombent.
Tatiana Demidova, motivée, peut-être un peu plus amoureuse de la France de nos ancêtres que de ce qu’elle est en passe de devenir, a été traitée en terroriste. Le 8 janvier 2016, cinq policiers ont littéralement pris d’assaut son domicile, deux d’entre eux sont passés par le balcon. Arrêtée sur le champ, elle a été expédiée au centre de rétention de Toulouse après avoir passé 10 heures au commissariat de police. Les forces de l’ordre ne lui ont pas laissé le temps de se préparer. Au moment de son transfert, elle n’avait sur elle ni vêtements chauds, ni portable, ni documents, à croire que nous en soyons revenus à ces sombres années où la Gestapo se débarrassait sur un simple soupçon ou sur une simple dénonciation des éléments jugés délétères.
Le motif évoqué est d’un ridicule inénarrable : Tatiana manquant de motivation estudiantine, elle ne mérite pas de poursuivre son doctorat. Le verdict tombe aussitôt : déportation imminente. Il est vrai que Tatiana a un certain nombre de travers irrécupérables : ellen’a pas débarqué à Lampedusa sur un chalutier délabré, elle n’a jamais été listée pour implication dans une filière islamiste et elle n’a même pas balancé un caillou dans le dos des flics ou cramé une bagnole pour égayer Noël d’un feu de joie. Bref, pour nous qui aimons tant les apprentis sorciers takfiristes ou les petits caïds des cités, quel personnage enquiquinant que Mlle Demidova !
Prise dans l’engrenage administratif d’un système dans lequel il n’y a pas plus de démocratie que de beurre en branche, Tatiana refuse cependant de se rendre. Pourquoi le ferait-elle, d’ailleurs ? Comme les esprits courageux se rencontrent, ce n’est certainement pas le hasard si son directeur de thèse s’appelle Jean-Louis Caccomo. Il s’agit d’un universitaire, professeur émérite de sciences économiques, auteur de plusieurs ouvrages de renommée internationale et j’en passe. Vous pouvez prendre connaissance de son histoire sur Dreuz info (un site dont je suis loin d’être fan mais qui reste fiable sur un plan informationnel). Interné de force sur simple demande d’un certain Fabrice Lorente, président de l’université de Perpignan avec un diplôme de prof d’EPS, M. Caccomo a dû subir un traitement médicamenté particulièrement agressif et a échappé de justesse à une séance d’électrochoc (nota :je me suis renseignée, ce genre de méthode, extrêmement cruelle et d’un autre âge, est interdite en Russie). Long de 14 mois, son calvaire prit fin lorsqu’il s’avéra que le patient ne présentait aucun trouble psychique. 14 mois de pratiques dégradantes parce qu’un petit personnage a usurpé le pouvoir en jalousant les succès d’un subordonné dont il ne vaut même pas le petit doigt. Que M. Lorente soit ce qu’il est est une chose. Le monde n’est pas sans déchets. En revanche, qu’il ait pu faire ce qu’il a fait et que, deux ans après les injustices perpétrées, une jeune étudiante innocente connaisse un sort digne d’une fieffée délinquante, voire d’une criminelle, en dit très long sur le caractère hautement totalitaire de la Normalie pseudo-socialisante.
Associé à celui du professeur Caccomo, le cas de Tatiana pousse à croire qu’elle pourrait être une sorte de victime sacrificielle ou émissaire. Quelqu’un en voudrait à son directeur de thèse et chercherait à le déstabiliser par l’intermédiaire de sa protégée. Serait-ce essentiellement Lorente ? Essentiellement par jalousie professionnelle ? Rien n’est moins sûr. Encore faudrait-il connaître les opinions politiques du professeur qui, sauf grandissime erreur de ma part, ferait plutôt partie de cette blogosphère proche de la sensibilité droite souveraine actuellement mal perçue.
Une deuxième hypothèse semble également probable. Sans être exclusive de la première, elle est confortée par le fait que deux autres étudiants russes sont eux aussi menacés de déportation. Même argument : motivation insuffisante, résultats insuffisants. Sauf que l’avenir de ces deux jeunes gens a toutes les chances d’être plus radieux l’un étant homo, l’autre réfugié politique vu des origines ukrainiennes. Bien que tirées par les cheveux, ces circonstances atténuantes leur ont valu une vaste campagne de soutien. Mais autrement ? Trois malheureuses coïncidences frappant de plein fouet et simultanément trois personnes de la même nationalité, cela ne fait-il pas beaucoup ? Imaginons trois histoires du même genre à Moscou avec trois victimes françaises ! Je vous garantis un scandale d’envergure internationale ! Nos policiers sont bien forts quand il s’agit de « neutraliser » une ravissante blonde sensible et fragile … Mais ils le sont un peu moins à Calais ou un peu moins que leurs collègues de Cologne ou de Bavière où des retraités viennent de se faire tabasser parce qu’ils ont pris partie pour une jeune femme agressée.
En attendant la décision du tribunal de grande instance, il y a de quoi disserter – longuement et tristement – sur les étranges bienfaits de la psychiatrie abusive en Normalie et le racisme politique d’occasion qui hante certains couloirs … universitaires y compris.
Françoise Compoint
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