En me promenant dans le centre de Tbilisi en Géorgie, au numéro 2 de l’avenue Rustaveli, deux camions de chantier bloquent soudain le passage sur les trottoirs. La foule s’arrête, s’échauffe. J’ai le temps de tourner la tête pour chercher à voir quel bâtiment est en train de se faire détruire. Le théâtre Griboedov, premier théâtre professionnel du Caucase, plus de 170 ans d’existence. Une opération spéciale est en cours dans le silence médiatique!
Le théâtre Griboedov est le symbole de la culture russe au Caucase. Symbole culturel tout court. En 2015, il a célébré dans la pompe ses 170 ans, toute une époque, toute une histoire. Un théâtre célèbre en dehors des frontières de la Géorgie et du Caucase. Tout un symbole.
Actuellement, la troupe du théâtre est partie en tournée. Elle est attendue à Moscou, en Ukraine, en Moldavie etc. Ses spectacles sont le monde russe.
Et pendant ce temps-là, alors que son rôle peut être fondamental pour garder le lien entre les peuples, pour garder le lien entre les générations, tout ce qui fait la force et la colonne vertébrale d’un peuple, son histoire, sa culture, des camions de chantier le mettent à sac. Seul indice, son site est suspendu.
Un centre commerciale est prévu, selon l’affiche qui trône au milieu de la poussière des travaux exécutés à toute allure et dans la précipitation.
Un peu plus tôt dans la matinée, je suis entrée par hasard dans un autre centre commercial flambant neuf rue Atonelli. Des magasins de marques diverses et variées. Il ne manquait que les acheteurs. Le Centre était vide, totalement silencieux, drôle d’ambiance. Un pressentiment de cérémonie mortuaire. On ne voulait parler qu’en baissant la voix, de peur de déranger. Et en sortir le plus vite possible.
Les acteurs sont-ils seulement au courant? La presse, elle, est silencieuse, en russe ou en français. Un massacre de la mémoire se perpétue comme une opération secrète. Peut-on rester sans réagir?
Karine Bechet-Golovko
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