Dans une récente prestation consacrée au conflit otano-ukraino-donbassien, Pietro Porochenko avait mentionné trois types de solution:
– Offensive radicale des Républiques rebelles, offensive suivie d’une croisade contre Moscou.
– Edification d’un mur signifiant l’abandon définitif des Républiques.
– Restitution de la souveraineté ukrainienne et soumission totale des Républiques à la juridiction de Kiev.
Inutile d’être bien versé dans les réalités du terrain pour s’apercevoir que la proposition numéro 3 n’est qu’une reprise, en termes plus mainstream, de la proposition numéro 1 à laquelle, restons raisonnables, il conviendrait de soustraire la mystérieuse percée vers Moscou. La proposition numéro 2 est elle aussi boiteuse: 25% du PIB ukrainien tient au Donbass, si l’OTAN soutient encore le régime de Kiev ce n’est évidemment pas pour s’accaparer d’un petit bout de terre dans les environs de Lviv ou pour la belle monture de M. Iatseniouk qui n’en est pas à son premier cauchemar près le dernier étant que Kiev a dû relancer, début septembre, ses importations de charbon depuis les RPD et RPL! Le Donbass est presque aussi vital au reste de l’Ukraine que l’est la Russie la Rada ayant déjà exigé (!) de ce pays agresseur une restructuration de la dette ukrainienne selon la recette proposée par Mme Lagarde. Imaginerait-on Staline renégocier une dette avec Hitler? (je na fais que reprendre les références du prince Charles, maître du reductio ad hitlerum) Voilà qui est fait!
Un autre paradoxe est à relever. Il tient avant tout à une transgression d’ordre juridique. Si Porochenko souhaite récupérer les territoires sécessionnistes, l’Ukraine doit officiellement déclarer être en guerre. C’est déjà fait en partie vu que les vagues de mobilisation vont bon train mais c’est juridiquement aberrant puisque le FMI exclut toute aide ultérieure en cas de déclaration de guerre. Qui plus est, si guerre il y a, avec qui est-ce que l’Ukraine est en guerre? Avec ses propres régions? La résistance n’est pas le fait de groupuscules terroristes isolés, elle est liée de manière organique à la volonté d’un peuple qui s’est déjà plus d’une fois exprimé par voie référendaire et qui redemande un référendum en présence d’observateurs internationaux. S’il ne considère plus ces régions comme étant siennes, autant édifier le mur en question et laisser tomber. S’agit-il maintenant d’une guerre avec la Russie? Il faudrait alors prouver que l’armée russe combat sur les lieux, arrêter de quémander des rabais sur le gaz et un rabais de 20% sur la dette suite à sa restructuration. Mais il faudrait aussi expliquer l’exode de 1.100.000 réfugiés ukrainiens vers un territoire ennemi.
On en convient facilement que les options proposées par Porochenko sont en fait réductibles à une seule option, hypothèse corroborée par une intensification sans précédent des exercices de l’OTAN dans plusieurs régions d’Ukraine dont Lviv, épicentre gothique du bandérisme new age galicien, dont Odessa qui subit pleinement le cocaïnisme de son nouveau maître géorgien, dont la frontière ukraino-transnistrienne la Transnistrie restant un levier de pression sur la Russie autant qu’un modèle d’expérience indépendantiste réussie et qui de fait donne des nuits blanches à Kiev. Ces manoeuvres coûtent cher sans oublier qu’il faut bien nourrir les quelque mille instructeurs présents sur le terrain. Les USA ont certainement d’autres chats à fouetter que d’entraîner à de nobles fins “humanitaires” une armée très peu aguerrie et dont les effectifs se réduisent comme peau de chagrin vu le nombre de désertions. Les intentions étasuniennes semblent donc assez claires, cela d’autant plus que les régionales approchent (25 octobre) et que l’hiver, pas si loin non plus, n’est pas propice à des opérations d’envergure. Conséquemment, Washington prépare Kiev à une sorte de Blitzkrieg dont on entend certes parler depuis l’hiver dernier mais qui au vu du désastre financier frappant le pays, de nouveaux défis sociaux et du renforcement des luttes intestines au sein de l’oligarchie régnante devrait cette fois avoir lieu pour de bon. Si ce n’est pas le cas, comment expliquer le déploiement, depuis fin août-début septembre, de 90.000 hommes et de 130 chars sur la ligne de front? Reste à savoir quand est-ce que le mot d’ordre sera donné et quelle sera alors la réaction d’une part de l’UE, la France et l’Allemagne étant garantes des accords de Minsk, d’autre part, de la Russie dont on (les USA) voudrait qu’elle intervienne tout en appréhendant en parallèle les conséquences de cette éventuelle intervention sachant qu’il faudrait en ce cas convaincre l’UE du caractère illégal de la riposte russe. Or, cette riposte si elle advient serait légale.
Les propositions avancées par Porochenko de même que la démonstration de force entreprise par l’OTAN s’invalident donc en grande partie d’elles-mêmes. Un autre aspect est à signaler. Il renforce davantage encore cette impression grandissante d’impasse.
Un analyste nommé Jacques Frère (manifestement présent sur le terrain donbassien) dit très bien que ” [Le] pays part en lambeaux de toute part”. C’est tellement vrai que Iatseniouk (Iats pour les intimes) et Kolomoïski dit Benia regardent d’un œil noir Saakachvili auquel d’aucuns promettent la place de Iats. Saakachvili n’hésite pas à manifester son dédain à l’encontre de Porochenko ce qui ne prouve que deux choses: de un, l’ancien dictateur géorgien jouit des bonnes grâces de Washington, de deux, Porochenko semble tomber en disgrâce. Connaissant l’hystérie sanguinaire de Saakachvili, le pronostic laisse à désirer bien que l’impasse déjà signalée plus haut rendrait cette nomination plutôt étrange et hâterait le morcellement du pays. N’oublions pas au surplus que les Svoboda et Pravy Sector donnent des kilomètres de fil à retordre au régime mais que, dans un même temps, il lui faut accepter leur existence: premièrement, en vertu de la loi du plus fort, deuxièmement, parce qu’il s’agit d’une force de frappe considérable dans le Donbass. Nous relevons donc un rapport conflictuel extrêmement complexe entre une oligarchie corrompue jusqu’à l’os et des groupes radicaux de sensibilité bandériste. Iatseniouk cristallise joliment les deux tendances: membre dans les années 90 du groupe néo-nazi ukrainien UNA-UNSAO, il avait combattu aux côtés des islamistes tchétchènes de Doudaïev. Nous le retrouvons aujourd’hui à cheval sur ses avoirs d’oligarque, ses ambitions pro-européistes et sa sympathie à peine dissimulée à l’égard des nervis de Iarosh, à en déduire que le triangle infernal “extrémisme-fric-mondialisme” peut très bien être incarné par une seule et même personne. Sauf que l’extrémisme n’est qu’un outil parmi d’autres pour ceux qui se goinfrent de fric et que le mondialisme n’est qu’un cadre idéologique illusoire au fond dénué de sens. On ne meurt pas pour le mondialisme comme l’on meurt pour la Patrie ou pour une religion. Peut-être est-ce bien pour cela que l’on voit partir de plus en plus de jeunes Ukrainiens et que le Donbass a rejeté le Maïdan comme un vaste leurre.
Résultat: l’Ukraine se retrouve tiraillée entre les illusions qu’on lui vend à très grand prix, la nécessité d’en finir avec la Citadelle Donbass vu que le temps presse et la nécessité, peu compatible avec la précédente, de composer avec la Russie qui avec son projet de Nord Stream-2 n’hésiterait plus à couper l’Ukraine de son gaz. Ces illusions divisent une société de plus en plus exaspérée et violente, la chute du Donbass est difficilement envisageable vu que les garants de Minsk-2 ne sont pas les Américains, enfin, l’Ukraine pourrait véritablement devenir ce “Gabon” récemment évoqué par Saakachvili à titre de comparaison avant de finir éclatée. Comme quoi, une politique fondée sur une somme d’illusions mène inéluctablement à l’impasse. D’où l’incohérence des trois options présentées par Porochenko.
Françoise Compoint
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