S’indigner de la convocation de l’ambassadeur de France en Russie par le ministère russe des affaires étrangères suite à l’arrestation, pour le moins sommaire, des supporters russes dans le bus à Cannes relève soit de la mauvaise foi, soit de l’hypocrisie. Le fait que la France ait suspendu la Convention européenne des droits de l’homme et applique la loi sur l’état d’urgence n’a ici aucune incidence. La France ne s’autorise pas pour autant à suspendre toutes les conventions internationales et à bafouer la législation nationale. Revenons sur certains aspects juridiques de ce triste évènement.
Il semblerait que les autorités françaises aient réussi à violer tant le droit international que la législation nationale. Prenons donc les choses dans l’ordre.
Sur le plan international
Lorsque les forces de l’ordre françaises interpellent le bus, rappelons que le Consulat russe n’a pas été informé du sort de ses ressortissants, ce qui est obligatoire. Les diplomates russes en France l’ont appris par la presse, car le sulfureux Chpriguine, président de l’association russe des supporters de foot se trouvant dans le bus, a contacté la chaîne russe d’informations continues notamment Life News immédiatement par téléphone. Celle-ci a diffusé l’information, publicité qui ne semblait pas entrer dans le plan des autorités françaises. Les supporters russes n’ont pas eu droit à un interprète non plus, ce qui est prévu non seulement par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, mais également par la législation nationale (art. 63-1 3° du Code de procédure pénale).
Ce sont au moins ces deux éléments qui permettent de dire que la France a violé ses engagements internationaux lors de l’interpellation des supporters russes, comme le rappelle le ministe russe des affaires étrangères S. Lavrov. Ce qui pose déjà la question de la légalité, en conséquence, des actes juridiques qui en découlent.
C’est dans ce cadre que l’ambassadeur de France, qui représente la France à l’étranger, a donc été convoqué pour donner des explications.
Par ailleurs, S. Lavrov a envoyé une note diplomatique aux autorités françaises leur demandant de ne pas fermer les yeux sur les actes et provocations des supporters anglais à l’égard des supporters russes. Notamment lorsqu’ils ont piétiné le drapeau russe. Autrement dit, il est demandé aux autorités françaises de contrôler la situation pour éviter que ça ne se reproduise.
Vue la manière dont les supporters anglais se sont comportés à Lille hier soir après le match Russie/Slovaquie, alors qu’ils ne jouaient pas dans la ville, les autorités françaises ne peuvent ou ne veulent contrôler la situation.
Sur le plan intérieur
Selon l’article 63 du Code de procédure pénal tel qu’en vigueur:
Seul un officier de police judiciaire peut, d’office ou sur instruction du procureur de la République, placer une personne en garde à vue.
Or, fait intéressant, après avoir finalement fouillé le bus et n’avoir strictement rien trouvé, et contrôlé l’identité de chacun des supporters qui étaient tous en règle, les gendarmes de Cannes veulent libérer les supporters russes. On notera qu’ils cherchaient des armes et de la drogue, comme dans les chambre d’hôtel la veille. Nous sommes bien dans le cadre de l’extrémisme. Il semblerait que soit la Gendarmerie française ait été malheureusement mal informée, soit elle ait été manipulée.
C’est alors que sort un ordre du procureur de Marseille, comme un lapin d’un chapeau, qui demande de mettre tout le monde en garde à vue, avec femmes et chaffeurs. Absurde, si l’on regarde l’article 62-2 CPP qui prévoit l’existence de:
une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement
Or, à ce moment, il faut qualifier juridiquement les faits et expliquer les fondements de la mise en gadre à vue. Et rappelons que les autorités n’ont strictement rien entre les mains, à part des articles de presse hystériques, mais qui ne tiennent pas devant un tribunal.
Justement, le supporter anglais va bientôt mourir. Les supporters russes sont donc tous arrêtés dans le cadre de cette affaire pénale, ça n’a plus rien à voir avec ce que les gendarmes recherchaient au départ. Nous ne sommes donc pas du tout dans le cadre de l’extrémisme et du terrorisme, la législation dérogatoire sur l’état d’urgence ne s’applique pas, nous sommes dans le cadre d’une banale affaire pénale.
Mais c’est ici que les choses se compliquent, car juridiquement, c’est intenable. Les autorités françaises furent très mal conseillées, ou par des personnes qui ne maîtrisent manifestement pas les détails de la législation française. Car maintenant, il faut en sortir.
Bref, à la fin de la première garde à vue de 24h, une vingtaine de supporters russes sont libérés, rien n’est retenu contre eux. Mais que faire des autres?<
L’histoire a été médiatisée, on ne peut plus s’arranger entre soi, la Russie a réagie et convoqué l’ambassadeur, l’affaire prend une ampleur qui n’était pas attendue – bizarrement. On continue dans l’absurde.
Or, selon la législation, pour prolonger la garde à vue, il faut motiver l’acte. Et pas globalement, mais individuellement. Donc chaque personne retenue, ils sont plus d’une vingtaine encore, doit, selon les art. 63 et 62-2, être soupçonnée d’avoir porter atteinte à la vie du supporter anglais. J’aimerais beaucoup voir la vingtaine d’actes du procureur et lire la motivation… Pour chacun.
Surtout que, après avoir ainsi prolongé encore de 24h, ils en libèrent encore 20 avant la fin de la garde à vue. Et ceux-ci doivent être expulsés. Pour “trouble potentiel à l’ordre public“. Ils ont été interpellés car soupçonnés officiellement d’avoir tué quelqu’un et se trouvent explusés en groupe car innoncents, mais pouvant constituer une menace à l’ordre public. Nous sommes assez loin de l’état de droit … C’est un peu comme mettre quelqu’un dehors avec un coup de pied aux fesses pour qu’il ne raconte pas ce que l’on a sur la conscience.<
La justice a choisi trois supporters VIP qui sont là jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’un tribunal décide de leur sort. Il s’agit des directeurs des fans clubs de l’Arsenal de Toula, du Lokomotiv de Moscou et du représentant du club de foot Dinamo de Moscou. Qui sont donc soupçonnés d’avoir tué le supporter anglais. Espèrons que les juges feront preuve de plus d’indépendance que le procureur.
Mais c’est compréhensible. L’ambassadeur a quand même été convoqué, on ne peut pas dire que l’on s’est trompé. Car finalement, l’on ne s’est pas trompé. C’était volontaire. Et mesquin. Que faire, l’époque est comme ça, mesquine.
Alors il est plus facile pour les médias maintenant de lancer une campagne contre celui qui a lancé l’information aux médias que de se poser des questions sur la légalité des procédures suivies.<
Quelles procédures? Ce ne sont que des russes.
Karine Bechet-Golovko