Pour bien comprendre les tensions entre la Russie et l’Ukraine durant les quinze dernières années, il est essentiel de ne pas négliger le rôle primordial du Port de Sébastopol dans la géostratégie russe.
A la fin du 17éme siècle, la Russie est considérée par le reste de l’Europe comme un pays arriéré, comme le «cul de sac» de l’Europe. Le Tsar Pierre le Grand, désireux de moderniser son pays décide de rompre son isolement géographique et économique en développant le commerce maritime. Son projet repose sur l’ouverture de deux portes sur le monde, l’une donnant accès aux mers froides et l’autre aux mers chaudes. Cette politique entraîne la fondation en 1703 du Port de Saint-Saint-Pétersbourg.
Le seul accès possible aux mers chaudes pour la Russie est alors la mer noire, à l’époque sous contrôle de l’empire Ottoman. Grâce à la prise du Fort d’Azov en 1696, une porte est temporairement ouverte, mais il faudra attendre 1783 pour que la ville de Sébastopol soit fondée, concrétisant ainsi le plan de Pierre le Grand.
A partir de cette date le monde russe possède deux pôles géostratégiques majeurs Saint-Pétersbourg et Sébastopol. Deux siècles plus tard, ces pôles sont encore fondamentaux pour la Russie. Ainsi en Décembre 2014 Vladimir Poutine déclara à la Douma :
«Sébastopol, est l’équivalent pour la Russie du Mont du Temple dans le judaïsme ou l’Islam».
L’écroulement du monde soviétique.
Six mois avant l’indépendance de l’Ukraine, la Crimée devint par un référendum «la République Socialiste Soviétique Autonome de Crimée». L’année suivante la «République de Crimée» indépendante fut proclamée.
Avant même l’indépendance de l’Ukraine, la CIA avaient déjà fortement infiltré le principal partie du pays (Rukh). C’est donc sans surprise que le gouvernement Kravtchouk, tenta de prendre le contrôle de la flotte de la Mer Noire. La crise atteint son paroxysme le 5 avril 1992, lorsque l’Ukraine envoya deux unités de forces spéciales prendront le contrôle du port. Le 3 août, un compromis est trouvé lors des accords de Yalta, concluant à un contrôle conjoint de la flotte. Néanmoins, il fallut attendre 1997 pour régler définitivement le problème. En 1995, en violation du droit international (accords de Budapest) l’Ukraine par un vote et l’envoie de forces spéciales repris le contrôle de la péninsule.
Cette annexion de fait de la Crimée par l’Ukraine créa une tension politique avec la Russie, retardant de nouveau l’application des accords de Yalta. Ce n’est que deux ans plus tard qu’un accord est conclu le 28 avril 1997. Pour plus de détail sur cette crise (1991 à 1997), je vous conseille, la lecture de l’excellent article d’Igor Delanoë.
Le traité de 1997, stipule que le Port de Sébastopol est loué à la Russie pour 20 ans contre un loyer de 96 millions de dollars payés en grande partie en gaz. Il était stipulé qu’en l’absence de discussion avant le 28 mai 2016, le bail serait reconduit tacitement pour 5 ans.
La location russe : un bail houleux et menacé.
En 2004, l’Ukraine est le cadre de la Révolution Orange téléguidée par les USA. Le président Iouchtchentko est ouvertement pour l’adhésion de son pays à l’EU et à l’OTAN.
Il laisse régulièrement entendre qu’il ne souhaite pas le renouvellement de l’accord de 1997.
La renégociation d’un contrat portant sur le gaz l’année suivante (premier conflit gazier russo-ukrainien) est prétexte à la première mise sous tension des russes au sujet du port de Sébastopol. Cette micro-crise se soldera par la prise le 3 août 2005 par les forces spéciales russes du phare criméen du Cap Sarytch.
La Guerre de Géorgie (2008) est de nouveau le cadre de nouvelles tensions entre la Russie et l’Ukraine. Pour empêcher la livraison d’armes de l’Ukraine à la Géorgie, la marine russe met en place un blocus le long des côtes Géorgiennes. En réaction, Kiev menace de mettre à son tour un blocus du Port de Sébastopol. Le 13 août, la Rada vote un décret pour restreindre les libertés de mouvement de la Flotte de la Mer Noire. Les russes doivent annoncer 72 heures à l’avance les mouvements de leurs bateaux.
La politique ouvertement pro-américaine et la volonté de Iouchtchentko de lancer l’Ukraine dans la guerre aux côtés de la Géorgie, entraîna l’explosion de la coalition née de la Révolution Orange. Ioula Tymochenko bien que pro-européenne, mais chargée des négociations gazières, misait sur des relations équilibrées avec l’Europe et la Russie.
Cette rupture se concrétisa le 10 septembre 2008, par le rapprochement du parti de Ioula Tymochenko et celui de Viktor Ianoukowitch.
Iouchtchentko, le Président marionnette est éliminé au premier tour des élections de 2010 avec seulement 5,45 % de votes (score calamiteux jamais atteint par aucun président sortant à l’échelle mondiale). Les élections portent au pouvoir l’ancien Premier Ministre originaire du Donbass et pro-russe Viktor Ianoukowitch.
L’incendie provoqué par la Révolution Orange étant circonscris, il était urgent pour la Russie de pérenniser la présence de sa flotte en Mer Noire.
En Avril, soit moins de deux mois après son élection, Viktor Ianoukowitch signe avec son homologue russe, Dimitri Medvedev les accords de Kharkov. Leur ratification provoque des troubles à la Rada.
Reportage de la chaîne ukrainienne Kanal 5 (appartenant à P. Porochenko et ayant été trè active lors de la Révolution Orange et l’Euro-Maïdan).
Le bail est prolongé de 25 ans (jusqu’en 2042). En plus du loyer de 96 millions de dollars, la Russie accorde à l’Ukraine une réduction de 30 % sur le prix du gaz. Cette réduction représente 7 milliards de dollars pour 2011 et 2012. Cette somme providentielle permit au pays de rentrer dans «les clous» du FMI et ainsi recevoir un prêt lui évitant la banqueroute.
Néanmoins, l’accord de Kharkov présente des lacunes. Ianoukowitch est accusé par l’opposition d’avoir contourné la Constitution et violé la loi du pays sur les traités internationaux.
De plus, ce traité n’annule pas l’accord de 1997, il ne fait que le prolonger. Donc rien n’interdit dans ce traité au Président ukrainien qui sera alors en exercice de prévenir par écrit son homologue russe le 27 mai 2016 de son intention de dénoncer le traité.
Ce qui revient à dire que le sort de la flotte de la Mer Noire ne reposait que sur la volonté du Président élu aux élections de 2015. Il était donc primordial pour ceux qui voulaient mettre fin à la présence russe en Crimée de gagner ses futures élections.
En 2011, éclate la crise Syrienne. Sébastopol n’est qu’a 4 jours des ports Syriens contre 20 jours pour Mourmansk et 34 jours pour Vladivostok. Il joue alors un rôle primordial dans l’aide russe à Bachar El-Assad. Pour les pays occidentaux œuvrant au renversement du Président Syrien, la présence dans les «mers chaudes» devint encore plus encombrante qu’elle ne l’était dans le passé.
Aux élections législatives de 2012, le Parti des Régions (parti du Président Ianoukowitch) garde par le biais d’une alliance avec les communistes la majorité à la Rada. Ce qui n’avait pas été le cas de son prédécesseur pro-OTAN Iouchtchenko qui avait été désavoué par les urnes en 2006. Les résultats des législatives montrent que le Président pro-russe est encore bien placé pour être réélu en 2015. De surcroît, il était évident aux observateurs étrangers que la Russie lui apporterait toute l’aide financière possible pour présenter le bilan le plus favorable au moment des élections. Au milieu de l’année 2013, le sort de la base russe de Sébastopol s’annonçait sous les meilleurs augures.
Maïdan ou le feu aux poudres.
A l’automne 2013, Viktor Ianoukowitch, est toujours sur les rails pour sa réélection en 2015. Pour ceux qui souhaitent affaiblir la Russie, en lui fermant l’accès aux mers chaude, il est temps d’agir.
La négociation de l’accord d’association à l’EU sera l’occasion de provoquer le déraillement du pays. Au moment des négociations, la situation économique de l’Ukraine est comme souvent catastrophique, le défaut de paiement point à l’horizon. Il sera donc facile de mettre Ianoukowitch dos au mur.
Contrairement à ce qui était avancé par les manifestants de l’Euromaidan, le Président ukrainien était prêt à tous les compromis pour signer l’accord avec l’EU. En réponse à cette attitude pro-européenne, la Russie déclara qu’elle réduirait de manière drastique ses aides à l’Ukraine, l’invitant à les obtenir auprès de ses nouveaux partenaires.
Le Gouvernement ukrainien s’adressa alors à Bruxelles pour obtenir un prêt de 20 milliards de dollars et aussi pour lui demander de faire infléchir le FMI sur les conditions pour l’obtention d’un nouveau prêt. Or, ni Bruxelles, ni le FMI ne voulurent prêter de l’argent à l’Ukraine. Ianoukowitch n’avait que la solution de reporter la signature de l’accord d’association, pour renégocier avec la Russie.
Sous le prétexte fallacieux d’avoir mis fin à la procédure d’association de l’Ukraine à l’EU, le Président Ianoukowitch est renversé par un coup d’état qui comme la Révolution Orange fut piloté d’outre-Atlantique.
Manipulés, bernés par le mirage européen (promis actuellement vers 2027) le peuple ukrainien renverse le gouvernement lors de la révolution de l’Euromaïdan.
Il devient alors évident que le Président en place le 28 mai 2016 serait ouvertement pro-OTAN et remettrait en cause les accords de Kharkov donc le renouvellement du bail de Sébastopol en 2017.
Quelle solution restait-il à la Russie ? Perdre Sébastopol ? Ou aller ans le sens de la population russe de Crimée (80 % des habitants) qui affolée par l’abrogation du décret sur les langues régionales se déclare en sécession ?
La suite est connue : une occupation «pacifique» de la péninsule par les forces russes sans réelle confrontation avec l’armée ukrainienne (les bilans les plus pessimistes et non vérifiés évoquent 3 morts ukrainiens entre le 22 février et le 19 mars 2014).
Le 16 mars, la population de la Crimée vote son rattachement à la Russie mettant ainsi fin à 25 ans de tension autour du port de Sébastopol.
Les réactions des occidentaux bien qu’opposés à la réunification de la Crimée restaient symbolique. La Russie paiera la péninsule du seul et unique prix des sanctions économiques*.
Cet état de fait provoque un profond mécontentement des ukrainiens qui se retrouvent «gros Jean comme d’avant.» En effet, ils perdent leur carte maîtresse dans les relations avec la Russie et les négociations gazières. La perte du tarif préférentiel du gaz représente annuellement 2,5 milliards de dollars. A ceci, se rajoutent l’annulation des 12 milliards de prêts russe sans contrepartie.
En échange l’Ukraine se voit accorder un prêt de 18 milliards de dollars du FMI contre une très lourde restructuration économique qui se réalisera au dépend du peuple ukrainien.
Pour se consoler de ces déconvenues le pays doit se contenter de sanctions économiques bien faibles jusqu’au drame du MH17…
La réintégration de la Crimée aurait pu être considérée comme un chef d’œuvre de géopolitique pour la Russie si il n’y avait pas eu le soulèvement spontané du Donbass. Voulant rattacher l’est de l’Ukraine aux wagons de la Crimée, des habitants de Donetsk prennent d’assaut les bâtiments publics. Le 7 avril 2014, l’ATO est lancé. A partir de cette date, Kiev fit payer aux populations russophones de son pays la perte de la Crimée et la mollesse de la réaction occidentale vécue comme une trahison. Peu à peu le pays sombra dans une folie augmentant progressivement jusqu’à atteindre son paroxysme durant l’été et l’automne 2014.
Maintenant que nous avons évoqué la raison qui a poussé les russes à intervenir en Ukraine, (plus précisément en Crimée et seulement elle). Il serait intéressant de nous poser la question suivante : Qui a actuellement le plus d’intérêts à faire perdurer l’état de guerre dans l’est de l’Ukraine ?
Laurent Courtois
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