Des “groupes de la mort” ont été créés en Russie incitant les adolescents au suicide, en prenant petit à petit contrôle de leur esprit. Au minimum, 130 morts à leur actif en moins d’un an et 3 millions de pages sur Vkontakte ayant un hashtag lié au suicide. Certains organisateurs ont pu être arrêtés, d’autres continuent. Et les “Baleines bleues” arrivent en France. Au-delà d’une réponse pénale, n’est-il pas temps de repenser notre rapport à internet? Le réel est bien plus intéressant et riche que le virtuel.
C’est le journal Novaya Gazeta qui a attiré l’attention de la société et des organes publics sur l’ampleur de la catastrophe qui touche la société russe: les groupes sur les réseaux sociaux incitant les enfants au suicide. Dans une grande enquête publiée le 15 mai 2016, l’on apprend que, au minimum, 130 adolescents se sont suicidés en Russie entre novembre 2015 et avril 2016.
Les mécanismes d’incitation au suicide ont pris des allures presque industrielles. Des groupes sont créés sur le réseau social très à la mode en Russie VKontakte sous des appellations diverses et innocentes et les jeunes sont incités à réaliser des challenges, tout d’abord innocent, mais qui montent en intensité: mettre un hashtag je suis dans le jeu, dessiner une baleine bleue, résoudre des algorythmes ésotériques, puis se scarifer les mains et finir par se pendre ou se jeter dans le vide. Le Courrier de Russie a publié un excellent article en français reprenant les informations de la presse russe à ce sujet et montre le côté viral de ce phénomène chez les adolescents.
L’enquête de Novaya Gazeta démonte les mécanismes de “mise en condition”. Le symbole est devenu Rina, cette jeune fille de Sibérie qui a changé son nom pour prendre celui-ci est s’est faite décapiter par un train en Sibérie. Sa photo est devenue un symbole pour les adolescents. Plus de 1500 groupes sur VKontakte. L’administrateur de ce réseau social a lancé début 2016 une vaste opération de monitoring et a trouvé plus de 3 millions de message contenant un hashtag lié au suicide. Des mesures ont été prises. Les auteurs ont été contactés individuellement. Il leur a été demandé pourquoi ils mettaient ça en ligne. Selon la réponse, leur page fut temporairement ou définitivement fermée, lorsqu’ils apparaissent comme victime, ils furent orientés vers un soutien psychologique. Par ailleurs un bouton spécial a été mis en place pour prévenir de tout contenu inadéquate.
En novembre 2016, un des organisateurs de ces groupes, Philipp Lis, a été arrêté et est actuellement incarcéré pendant que l’enquête se poursuit. Il a à son compte la mort de 15 enfants et 5 tentatives. Il n’a que 21 ans. Dans différentes régions de Russie, des “administrateurs” sont interrogés, pour l’instant en tant que témoins.
Un groupe particulièrement dangereux, la Baleine bleue, incite les enfants à se lever à 4h20. Ce qui peut paraître innocent, mais permet de les mettre en manque de sommeil et de renforcer leur vulnérabilité. Surtout qu’ils doivent ensuite regarder des vidéos spéciales, écouter de la musique. C’est un conditionnement mental. Puis le décompte de 50 jours se met en marche et les challenges sont de plus en plus importants, ils sont “validés” et l’enfant est sous la pression de la communauté. S’il refuse, il reçoit des menaces. Ce jeu morbide arrive en France et la police nationale a déjà prévenu de ses dangers.
Sur Instagram aussi, plus de 45 000 post contenaient des hashtags contenant les mots liés à ces groupes de la mort. L’on y retrouvait les réveilles-moi à 4h20, des photos de bras avec des baleines artisanalement tatouées, des mains blessées etc.
Pour autant, ce jeu morbide n’est pas le seul. Il existe une tendance à utiliser les réseaux sociaux à des fins de manipulations. Conduire l’individu à se détruire, partiellement comme avec Salt and Ice Challenge, qui lui vient des Etats Unis, à mettre sa vie en danger comme ce défi lancé aux enfants russes de traverser les rues à la barbe des voitures par le “jeu” Cours ou meurs, ou l’incitation directe au suicide.
Mais d’où vient ce phénomène? L’on aurait pu penser qu’il s’agit d’un problème intérieur russe, si justement ce Bleu Whale Challenge n’exitait aussi dans l’espace post-soviétique (Kazakhstan Kirguisie …) et maintenant il arrive en France. Des enfants meurent, des organisateurs locaux, d’une vingtaine d’année sont arrêtés ou sous surveillance, déclarent qu’il ne s’agit que d’un jeu … qui est allé trop loin. Mais est-ce vraiment un jeu, même morbide? Vue l’ampleur, ce peut aussi être une arme. Une arme de manipulation massive.
Les autorités réagissent, le législateur russe est en train de discuter d’un renforcement de la responsabilité pénale pour les responsables de ces groupes, mais les autorités seules ne sont pas aptes à lutter contre ce mouvement. Il nous faut absolument repenser notre rapport à la technologie en général et à internet en particulier.
Le développement technologique présenté comme une révolution permettant la libération de l’homme de ses contraintes objectives conduit à une aliénation. Sans même parler des problèmes d’atteinte à la liberté liée à la surveillance générale dont nous faisons l’objet, illégalement avec les CIA ou légalement avec toutes les informations que nous donnons de nous-même en ligne, nous assistons à la transformation de ces outils en une “arme” qui se retourne contre nous-mêmes.
Et les adultes sont en partie responsable. Pourquoi donner des téléphones connectés à internet aux enfants? Pourquoi normaliser le tchat chez les ado et même chez les enfants? Mettre l’enfant tout d’abord devant l’écran de la télé pour qu’il ne pleure pas, ensuite avec une tablette dans les mains pour qu’il laisse nous tranquille et ensuite se demander où est passée la communication, lorsque d’un coup l’on sort la tête du sac. De cette manière, les enfants sont devenus particulièrement vulnérables, ils ont été déconnextés du monde réel, se renferment sur eux-même parce que le monde des réseaux sociaux est extrêmement violent et l’est en toute impunité. Ils se trouvent au milieu de “faux” amis oubliant qu’il peut en exister de véritables. Ce n’est pas qu’un monde virtuel, c’est un monde trompeur, destructurant au moment où les individus forment leur personnalité.
Vous avez remarqué ces tablées de “jeunes adultes”, tous assis autour de la même table, ne parlant peu ou pas ou simplement pour commenter ce qui se passe sur l’écran de leur IPhone? L’on pourrait en rire si ce n’était en fait angoissant.
Les parents ont créé ce problème, eux-mêmes, parce que “tout le monde” utilise ces gadgets, parce que c’est “tellement pratique”, parce qu’il “faut vivre avec son temps”. Dans ce cas, nous avons créé un monde particulièrement dangereux et vicieux. Est-ce réellement ce monde dont nous avons besoin?
NON
Karine Bechet-Golovko
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