Le ministre russe de l’économie et du développement vient d’être interpellé et est en ce moment interrogé par le Comité d’enquête pour flagrant délit de corruption: il est accusé d’avoir extorqué sous la menace 2 millions $ aux dirigeants de Rosneft afin de donner son accord à la privatisation de Bachneft. L’on se souviendra de ses grands discours sur ce fameux “climat d’investissement”, les lois du marché et autres slogans contemporains. S’il a pu faire cela avec Rosneft, c’est-à-dire I. Sechin, imaginons ce qui a pu se passer avec des hommes d’affaires ayant moins de carrure politique … Mais le couperet est tombé et tous les politiques de répéter en coeur: tous égaux devant la loi. Les temps ont changé, la Russie d’aujourd’hui ne peut pas se permettre ce genre d’individus.
Selon le Comité d’enquête, Alekseï Oulioukaïev a été interpellé le 14 novembre au soir, en flagrant délit, suite à une enquête sérieuse menée contre lui et les preuves sont solides. Elles résultent, notamment, des écoutes téléphoniques dirigées contre lui et son entourage. Il en a résulté que, pour mener à bien la privatisation de l’entreprise pétrolière Bachneft, le ministre de l’économie a exigé, sous peine de rétorsion, une somme de 2 millions $ aux dirigeants de Rosneft. A. Oulioukaïev est actuellement interrogé par le Comité d’enquête, qui déclare toutefois que la transaction de la privatisation elle-même ne fait pas l’objet de l’enquête.
La seule personne qui estime que son arrestation n’était pas nécessaire est, sans grande surprise, le chef de l’association des entrepreneurs, A. Chokhine, qui se déclare choqué par la nouvelle et estime qu’une assignation à domicile aurait très bien pu suffir, n’excluant pas non plus une provocation. Il est vrai que pour lui, le business est sacré, donc le ministre aussi… Position toutefois très étrange, car par ce comportement, le ministre de l’économie porte atteinte aux intérêts économiques du pays, et donc au business, mais la réflexion de Chokhine ne peut manifestement faire ce lien. Et pourquoi ces gens qui appellent tant à la lutte contre la corruption sont les premiers effarouchés lorsqu’elle est réelle?
Toute la classe politique est unanime: il ne peut y avoir de passe-droit, la lutte contre la corruption n’est pas un vain mot. Le président de la chambre basse du Parlement, V. Volodine, déclare que chacun doit être égaux devant la loi, le président du comité du Sénat pour les relations international, déclare que, comme l’expérience le montre avec les gouverneurs ou les vices-ministres, s’amuser à prendre de l’argent de cette manière est comme jouer à la roulette russe, le couperet tombe.
Le porte-parole du Président affirme que V. Poutine a été tenu au courant depuis le début de l’enquête. Et c’est alors que l’on se souvient de la procédure de privatisation de Bachneft. Dès le départ, le Président avait voulu exclure du cercle des acquéreurs les entreprises étatiques et c’est pourquoi en août les opérations furent suspendues. Mais fin septembre, I. Chuvalov, vice Premier ministre, ne voit aucune raison pour restreindre les droits de Rosneft, entreprise détenue à plus de 60% par l’Etat, dans la privatisation de Bachneft et le 10 octobre D. Medvedev, le Premier ministre, met officiellement 50,755% du capital de Bachneft en vente. Et malgré la position présidentielle, Rosneft s’est adressé au Gouvernement pour obtenir l’autorisation de participer à la privatisation. Autorisation obtenue.
Cette démarche a, semble-t-il, quelque peu surpris le Kremlin. Car, lors du Forum international économique d’octobre, lorsqu’une question est posée à V. Poutine sur cette transaction, il déclare:
Vous savez, peut être que cela vous semble étrange, j’ai moi-même été un peu surpris par la position du Gouvernement. Mais c’est effectivement la position du Gouvernement de la Fédération de Russie, avant tout de son bloc économico-financier.
L’on comprend mieux la déclaration de D. Peskov, oui le Kremlin était au courant de l’enquête depuis le début.
Imaginons ce que ce type d’individus, venus d’un autre âge, a pu faire d’autres, contre des compagnies qui n’avaient pas les ressources politiques pour se défendre contre un ministre. En tout cas, le signal lancé est très clair et parfaitement bien perçu par les acteurs du système politico-économique: cela ne fait pas partie des pratiques admissibles. En ce qui concerne concrètement A. Oulioukaïev, ce ne sera certainement pas une grande perte pour l’économie russe et surtout pour son développement. En dehors de cette affaire de corruption, l’on se souviendra de ses prognostics d’une puissance de réflexion épatante: si ça ne se dégrade pas, ça va s’améliorer. Voyons maintenant qui entrera dans ce bloc économico-financier, qui ne fait pas la popularité du Gouvernement auprès de la population, en attendant le vice-ministre A. Vedev remplira temporairement ces fonctions.
Karine Bechet-Golovko
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