Le Président ukrainien a annoncé la prochaine adoption d’une loi de “réintégration du Donbass”, qui semble fonctionner sur le double mécanisme de la carotte et du bâton, disons de la restauration partielle de certains droits violés par l’Ukraine, mais avec la déclaration de l’état de guerre sur certaines parties du territoire. L’Ukraine ne se battrait donc plus contre les “terroristes du Donbass”, mais contre les militaires russes qui occuperaient ce territoire. Voici la manière dont Poroshenko veut mettre en oeuvre les accords de Minsk.
Un nouveau plan de résolution politique du conflit ukrainien est apparu et vue la distance entre son appellation et son contenu, les conseils étrangers n’y sont pas pour rien. Il s’agit d’établir un texte suffisamment ambigü pour légaliser toute action dans le Donbass et en rendre responsable la Russie, plan dont la version définitive n’existe pasencore, mais dont les principales dispositions sont déjà connues. Demandé, au moins oficiellement, par P. Poroshenko, qui doit bientôt rencontrer D. Trump, la Rada s’est mise au travail:.
Cette information a été communiquée par Iryna Gerachtchenko, adjointe au président du parlement ukrainien lors du Forum «Points de croissance » :«Si nous voulons vraiment nous battre pour ces territoires, nous devons proposer à l’ordre du jour une loi sur la réintégration du Donbass, en voie d’élaboration, et que le président ukrainien soumettra très prochainement au vote de la Rada. Le vote montrera le réel positionnement de beaucoup de personnes sur cette question »
Il faut mettre fin à l’opération anti-terroriste? Avec plaisir, cette opération ne sera plus “anti-terroriste”, mais militaire, puisqu’il sera possible d’introduire la loi martiale et de déclarer l’état de guerre sur une partie du territoire frontalier de la zone de conflit.
Les territoires du Donbass doivent recevoir un statut juridique? Bien sûr, ils sont “occupés”. Ce qui justifie l’état de guerre, car il y a un changement d’ennemi. L’Ukraine, selon ce plan, ne se battrait plus contre des “terroristes”, des civils, mais contre une armée d’occupation, donc étrangère et évidemment russe. Ce qui justifie de passer le commandement de l’opération à l’armée ukrainienne.
Il faut des élections locales? Ce serait avec plaisir, mais les territoires sont occupés, nous n’y pouvons rien. Dès que “l’armée d’occupation” – russe – se sera retirée, nous les organiserons avec plaisir. En attendant, cela pourra même justifier de nouvelles sanctions contre la Russie, qui aura quelques difficultés à retirer des bataillons qui n’y sont pas. Et comme Tillerson vient de déclarer qu’il est impensable de remettre en cause les sanctions adoptées contre la Russie avant l’exécution des accords de Minsk – évidemment par la Russie qui n’en est pourtant pas partie – les sanctions seront pérennes. Ce qui entre tout à fait, comme nous l’avons vu, dans l’intérêt des Etats Unis.
Il faut redonner envie aux populations du Donbass de regarder vers l’Ukraine? Mais nous n’avons plus de visas avec l’UE (ce qui est l’argument principal dans la tautologie ukrainienne). Evidemment, ce n’est pas suffisant. Il est envisageable de favoriser l’octroi des pensions de retraite (autrement dit, d’octroyer ce à quoi dans tous les cas les habitants de LNR et DNR ont droit) ou de penser à la reconstruction des installations civiles – ces installations détruites par l’armée ukrainienne. Les radicaux de la Rada s’opposent déjà à ces mesures jugées trop souples, mais nous verrons bien dans quelle mesure leur poids politique et décisionnel est réel et dans quelle mesure ils sont utilisés pour maintenir un chaos contrôlable. La carotte et le bâton, même si les habitants de DNR et LNR n’ont plus acune confiance en Kiev.
Le bâton en cours d’élaboration peut, en revanche, se retourner contre la Russie, pour le plus grand plaisir d’une communauté internationale qui n’attend que cela. Finalement, l’Ukraine veut appliquer les accords de Minsk, reconnaître un statut légal au Donbass et régler la question des élections, certes d’une manière qui permettra de dénier toute possibilité d’opposition politique à Kiev. Et comme le conflit n’est plus interne à l’Ukraine, mais glisse vers un conflit international entre la Russie et l’Ukraine grâce à ce plan, la récupération des frontières du Donbass par Kiev peut être “légalisée” malgré la continuation du conflit sur le terrain.
Comme avec le nettoyage de la place Maïdan, qui était soi-disant impossible. Lorsque le moment favorable est arrivé, étrangement, aucun groupe extrémiste n’a fait le poids contre les bulldozers, aucune voix ne s’est élevée contre la radicalité des méthodes utilisées contre les “manifestants pacifiques, pro-européens et démocrates”. Ils sont partis. En passant à l’opération “réintégration du Donbass”, le commandement glisse vers les militaires et officiellement Kiev coupe l’herbe sous le pied des groupes extrémistes, dont la visibilité est devenue dérangeante pour une Ukraine “européenne”, comme le montre cet article du Washington Post.
Elle fait ainsi d’une pierre deux coups: améliorer son image à l’internationale et rendre la Russie entièrement responsable de la non exécution de ces étranges accords de Minsk, dont la signature fut une véritable erreur stratégique. La politique de louvoiement post-moderne a des limites, qui elles n’appartiennent pas au monde du post-réel.
Karine Bechet-Golovko
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