Le 7 novembre 1941, il y a eu un défilé militaire sur la place Rouge en l’honneur de l’anniversaire de la Révolution d’Octobre. On peut en penser ce que l’on veut du point de vue idéologique, mais il y a tout de même un exploit à reconnaître : les troupes qui participaient à ce défilé partaient au front qui n’était qu’à une dizaine de kilomètres de la capitale de la Russie. Peu d’entre les soldats qui y ont été ont vu la victoire, en 1945. Selon les statistiques, moins de 5 % de ceux qui ont été enrôlés en 1941 purent vivre jusqu’à la fin de la Guerre. Alors aujourd’hui Pravda.ru rend hommage à ceux qui présentèrent les armes devant le Kremlin (Staline y fut d’ailleurs, il refusa de s’en aller de Moscou en bravant le danger) il y a tout juste 75 ans. L’un des participants de ce glorieux fait d’armes – défilé suivi du combat dans la banlieue de la capitale, l’historien militaire Boris Outkine est toujours en vie. Et cet homme a vraiment du vécu ! Interviewé par la rédactrice-en-chef de Pravda.ru Inna Novikova, il donne ses commentaires sur les derniers événements de la vie internationale qu’il jauge à l’aune de son passé de vétéran.
Boris Outkine. Je connaissais Merkel en sa prime jeunesse. Je l’avais rencontré à plusieurs reprises lors de sa maturité, lorsqu’elle a entamé la deuxième moitié de son mandat de chancelière. Je l’observe aujourd’hui. J’ai comme l’impression que personne parmi les chanceliers allemands d’après la Deuxième Guerre ne s’est comporté avec autant de superbe et de rigidité à l’égard de la Russie. Il me semble que les musées du Troisième Reich reprennent vie. De nouveau on est confrontés à la même ligne politique : faire rentrer la Russie dans le rang, nous faire comprendre que nous sommes tellement horribles, tellement mauvais que nous valons bien que l’on se comporte avec nous comme on le faisait au temps jadis !
C’est pourquoi, en tant que vétéran, je refuse net de l’observer tranquillement. C’est pourtant bien vous, les Allemands, qui aviez signé l’acte de la Capitulation ! On vous a bien désigné votre place et il faut savoir raison garder. Vous avez bien préservé le musée des forces armées de l’Allemagne lors de la période du nazisme. Allez-y et restez-y au lieu d’essayer de nous dicter quoi que ce soit ! Si vous avez capitulé, vous pouvez vous retirer maintenant. Mais, malheureusement, aujourd’hui nous voyons resurgir beaucoup de nouvelles menaces.
– Croyez-vous que les tentatives de réécriture de l’histoire peuvent aboutir ? C”est qu’en Ukraine a grandi toute une génération qui croit que c’est les Anciens Ukrainiens qui eurent creusé la mer Noire et que Jésus Christ et Bouddha furent Ukrainiens… Est-ce qu’une telle vision erronée peut faire changer le cours de l’histoire ?
Boris Outkine. De telles tentatives ont toujours existé, de tout temps. En Allemagne hitlérienne, plus d’une dizaine de centres de recherches eurent travaillé sur les origines de la race allemande aryenne dans le Tibet ! Pour quelle raison les Allemands ont-ils justifié leur théorie par les sources qu’ils eussent tiré du Tibet ? Beaucoup de fonctionnaires haut-placés ont travaillé à l’Anenerbe – Ordre chevaleresque mystique secret de la Gestapo – qui touchait des subventions d’État. Mais il existe un dicton russe qui dit : « On ne peut se coudre une peau si on n’en pas une ». C’est pourquoi Bouddha et autres personnages historiques sont empruntés puisque l’on n’a rien d’authentique chez soi et que l’on ne peut rien s’inventer de son propre cru.
Ca peut, bien sûr, influencer d’une certaine façon la mentalité de certains groupes. Mais l’opinion publique existe à 2 niveaux ; niveau du café de commerce et niveau intellectuel. Au niveau intellectuel, je ne crois pas que de telles théories puissent changer la mentalité des gens qui ont la formation supérieure. Ils ne feront que sourire sceptiquement. Pour ce qui est des ragots, des rumeurs, etc. il y aura certainement ceux qui y prêteront foi. A vrai dire, tout cela est décrit dans la psychologie. Alors le vrai objectif des organismes des vétérans comme le nôtre est de préserver et transmettre la vérité.
– Avons-nous un moyen d’influencer l’opinion publique en Europe ?
Boris Outkine. Nous devons le faire. Et nous n’avons qu’un seul outil d’influence – c’est notre savoir pur et véridique. Où qu’un patriote se trouve, surtout si c’est un homme de travail intellectuel, il est censé dire la vérité. C’est son obligation morale. Et nous avons ce droit moral. La guerre est quelque chose de très dur. Il va de soi que 75 ans ans plus tard, les vétérans ont du mal à se remémorer tous les détails. Les vétérans n’aiment pas d’ailleurs se souvenir de la guerre. Ils le font peu, mais ils le font de façon honnête. Judicieusement ! Et chacun d’eux apporte sa part de vérité.
On doit réfléchir à tout un tas de détails. On doit se rappeler que le maréchal de l’URSS, commandant des troupes Konev dirigeait personnellement les travaux d’évacuation de la galerie de Dresde. Autrement dit, les Russes ne se souciaient pas que du sauvetage des gens, mais ils cherchaient également à préserver les œuvres d’art.
– Comment s’est-il passé que les Américains et les Britanniques aient pilonné le patrimoine culturel international – la galerie de Dresde que nous avions sauvé d’ailleurs ? Même ces faits-là sont calomniés maintenant !
Boris Outkine. A la guerre, il ne faut s’étonner de rien. Et nous sommes en guerre maintenant bien qu’elle soit différente. Il y a beaucoup de ces calomnies qui courent. Mais c’est bien eux qui ont bombardé Dresde. Croire que l’on peut détruire une ville juste par des bombardements est d’une naïveté ! On peut provoquer des dégâts. On peut amoindrir la puissance militaire des troupes qui y sont cantonnées. Les Américains adorent se glorifier des bombardements réalisés. J’ai été à Dresde beaucoup de fois. Des pans entiers de la région militaire d’alors eurent été épargnés par les bombardements, les ponts aussi, mais la ville à proprement parler eut beaucoup souffert. Dresde connut des frappes en puissance.
Bien qu’elle n’eût pas été aussi endommagée que Stalingrad. Le 23 août 1942, il y a eu un raid aérien de 2.000 avions allemands sur la ville. Sans parler de la 14ième brigade de blindés dont son chef, le commandant de division sortit sur le bord de la Volga et ensuite vit les chars soviétiques avancer de l’usine des tracteurs. Il vit que les équipages portaient toujours leurs blouses bleues de travailleurs. Cela veut dire que ce ne fut même pas l’armée, mais le peuple qui prit alors les armes. Et il ordonna le retrait de sa division, de sa brigade de blindés. Stalingrad, elle, fut en flammes. Elle fut embrasée toute, mais dans la banlieue sud de la ville la centrale électrique et les boulangeries industrielles continuaient à tourner. A la différence de la partie nord où tout fut rasé de la surface de la Terre.
La guerre est un phénomène bien difficile à appréhender. Aujourd’hui il ne reste guère plus que quelques 25.000 combattants sur les 12 Millions de l’armée de la Victoire. Nous sommes déjà peu nombreux. Mais les gens formés doivent répondre par eux mêmes à cette question, comprendre par eux mêmes l’histoire et en tirer des leçons.
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