Silencieuse, invisible, instantanée, non soumise à la gravité et pointée avec une précision telle qu’il puisse franchir 800 km avant d’abattre des cibles jusqu’ici intouchables, comme des missiles sol-air ou de croisière, des obus d’artillerie ou de mortier, – l’arme laser, baptisé le «Graal» des conflits militaires de demain, n’est plus l’apanage d’Hollywood.
Après avoir levé le voile sur ses armes brillantissimes telles que les chars T-14 Armata (une plateforme blindée qui servira de base à plus de dix véhicules) ou KV (du nom du maréchal Kliment Vorochilov); les chasseurs de 5ième génération comme l’avion de chasse polyvalent PAK FA connu sous le nom de Sukhoï T-50; les moyens de lutte électronique, par exemple, les complexes mobiles Krassoukha permettant de brouiller les radars des avions ennemis sur une zone de 300 km; – la Russie a renforcé son arsenal militaire des armes laser, a annoncé, début août, le vice-ministre russe de la Défense, Iouri Borisov.
Faut-il s’en inquiéter ? Serait-ce un coup de foudre dans un ciel serein ou l’évolution logique des moyens de faire la guerre ? Plusieurs hypothèses sont plausibles.
Dans cette annonce, primo, il y a une dimension de communication politique et géopolitique. «C’est une façon de signifier tant à Washington qu’aux responsables de l’OTAN que l’armée russe est très à la pointe dans ses nouvelles technologies et peut non seulement tenir la dragée haute aux armées occidentales, mais aussi les devancer. Les armes russes ont été testées en Syrie pour montrer que la Russie redevient une grande puissance non seulement dans l’Arctique, de Mourmansk à la mer de Béring, non seulement en Asie, du côté de Vladivostok, non seulement en mer Noire, mais aussi au Proche- et Moyen-Orient; une grande puissance avec laquelle il faut compter, notamment, dans l’évolution de la guerre civilo-régionale ou plutôt civilo-internationale de Syrie,» a indiqué à Pravda.ru Richard Labévière, journaliste et essayiste français, rédacteur en chef de la revue de l’Institut des hautes études de défense nationale Défense (2003 – 2010).
Il en découle que, secundo, c’est un moyen pour la Russie d’affirmer son leadership dans la «course aux armements de pointe», une course technologique, sinon une course spatiale, qui date depuis les années 1980, quand Ronald Reagan avait repris le programme SDI (Strategic Defense Initiative, «Initiative de défense stratégique», plus communément appelée Guerre des Etoiles).
Bien que le premier laser (plus précisément, maser optique) ait été créé, en 1960, par l’Américain Theodore Maiman, il a fallu plus de 50 ans pour en faire un moyen de guerre. Or, cela fait belle lurette que la Russie a mis au point le rayon à énergie plasma, théorisé par l’inventeur de génie serbe Nikola Tesla, banalement appelé «rayon de la mort» et embarqué sur les bateaux de la flotte militaire russe. Nous n’avons qu’à citer : a) les programmes Terra et Omega, dans les années 1960; b) le test du système Aïdar, installé sur le navire expérimental de la Flotte de la mer Noire Dikson, dans les années 1980; b) le système de tir au laser Akvilon qui avait pu viser un missile à basse altitude. Cerise sur le gâteau: à l’époque où la première arme américaine LaWS (Laser Weapon System) fut installée sur le bâtiment de transport l’USS Ponce qui croise dans le Golfe Persique, le fameux vaisseau spatial soviétique Polious (ou Skif-DM) muni d’un réflecteur laser s’était déjà envolé sur le dos de son lanceur Energia, en 1987.
Grâce à de nombreuses expériences soviétiques, reprises dans les années 2000, la Russie a un bond d’avance sur la technologie équivalente américaine. Après avoir englouti sept ans de recherches et près de 40 millions de dollars, les Etats-Unis équiperont chasseurs et drones avec des canons laser vers 2018. En l’occurrence, la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency, « Agence pour les projets de recherche avancée de défense») envisage de renforcer le dernier drone MALE (Moyenne altitude longue endurance), Predator C Avenger, d’un laser peu encombrant de 150 kW HELLADS (High Energy Liquid Laser Area Defense System).
Concernant l’armée russe, le programme emblématique Sokol-Echelon prévoit de placer un canon laser dans le nez de l’avion de transport lourd Il-76, connu sous le nom A-60. Après avoir subi de nombreuses modifications, l’appareil est facilement reconnaissable grâce à sa tourelle dorsale rétractable qui contient l’arme laser. Le système a pour mission de neutraliser les satellites de reconnaissance, ainsi que les cibles volant à basse altitude telles que les avions et les missiles, à portée de 1.500 km.
Un examen plus ou moins lucide des caractéristiques des nouveaux types de laser, dans des gammes d’ondes et des puissances très variées, aurait montré que ce «Graal» a des avantages indéniables. D’abord, c’est un type d’armements qui sont facilement adaptables à l’ensemble des vecteurs militaires : terre, air, mer. L’argument suivant concerne son prix relativement bas : d’une part, il n’y a pas ou presque pas d’usure des composants mécaniques (un canon de char est limité à quelques milliers de coups) et, d’autre part, le coût unitaire du tir est faible (un obus de char coûte plusieurs milliers d’euros). Finalement, une très grande précision du laser limite les dommages collatéraux. Quoi de mieux pour modéliser les algorithmes militaires traditionnels ?
Sauf que ce n’est pas si simple. Comme toute arme, celle-ci a ses points faibles. Plusieurs restrictions sont à craindre : la taille de la cible; les conditions météo; le tir direct (le rayon se propage de manière rectiligne et de ce fait, ne permet pas d’attaquer des cibles qui se dissimulent derrière un obstacle ou la ligne d’horizon); l’encombrement (il faudrait miniaturiser le laser pour en faire une arme individuelle); l’énergie (les puissances oscillent entre 10 kW et 1 MW; celle du LaWS testé récemment dans le Golfe Persique s’élève à 30 kW). Richard Labévière évoque, en outre, l’existence de contre-mesures laser. Il rappelle qu’en 2013, «les frégates et les stations-radar russes avaient pu intercepter missiles antimissiles (pas de croisière) partis de la base de l’OTAN en direction de la Syrie».
Aussi significative soit-elle sur le plan militaro-politique, la décision russe d’équiper ses soldats d’armes laser, tertio, ouvre la voie à des discussions approfondies et sérieuses sur les armes futuristes et la révolution des moyens de faire la guerre.
Dans le sens strictement militaire, le laser (à l’origine un acronyme pour Light amplification by stimulated emission of radiation, «Amplification de lumière par émission stimulée de rayonnement»), fait partie des armes à énergie dirigée, au même titre que toutes les armes utilisant une partie du spectre électromagnétique, comme les armes à micro-ondes (Active Denial System), les armes à impulsion électromagnétique IEM (E-bomb et CHAMP) ou encore les canons électriques (railgun américain, arme à projectile accéléré par une force électromagnétique). Au sens plus large, ce n’est qu’un élément de la palette des nanotechnologies qui travaillent à la fois sur l’intelligence artificielle, la biologie, les nouvelles adaptations numériques. En Russie, les armes futuristes sont généralement associées à celles basées sur «des principes physiques nouveaux», en l’occurrence, les armes à énergie dirigée, à action géophysique, à onde-d’énergie, à radiofréquences ou bien les armes cinétiques, génétiques, psychotroniques et autres qui détermineraient en grande partie l’image des forces armées russes jusqu’en 2025. S’y ajoutent les recherches sur « ce sur ce qu’on appelle le “soldat ajouté, le soldat dépassé, le soldat transformé”, continue précise Richard Labévière. Je pense notamment au système français FELIN (Fantassin à équipements et liaisons intégrés). Dans la Silicon Valley, Google travaille sur des drones terrestres. Les Israéliens travaillent sur un drone maritime pour surveiller les plateformes de gaz et d’hydrocarbures qu’ils gèrent en Méditerranée en face des côtes libanaises, égyptiennes et chypriotes. Ils travaillent même sur des drones sous-marins.»
Quelles que soient les armes futuristes, on a déjà passé le cap de ce qu’on appelait, dans les année 1980, la «Révolution dans les affaires militaires». On on n’est plus dans les formats quantitatifs, avec des centaines de milliers de fantassins de l’armée conventionnelle, on est dans les formats qualitatifs qui ont recours aux nouvelles technologies. Pour le moment, il est difficile de juger si les armes futuristes se substitueraient à leurs équivalentes traditionnelles et si la fusion entre l’homme et la machine aurait lieu. Une chose est sûre : les guerres du futur seraient beaucoup plus technologiques et impliqueraient la dimension spatiale à travers les faisceaux laser qui iraient à la vitesse de la lumière.
Valéria Smakhtina, Pravda.ru
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